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Donc, je reprends le fil de mon récit… Après cette lamentable soirée riche en émotions, dégoulinante de sentimentalisme et une courte nuit (fort heureusement j’ai besoin de peu de sommeil), je rentrai en Belgique, ma nouvelle patrie, pour le week-end. Quasi-Belge. Ne plus être Français est un soulagement en réalité, ce pays d’inactifs parleurs me hérisse le poil. Quoi ? Ailleurs, c’est pire ? En réalité, la France est un pays où il fait bon vivre quand on est pauvre et con : assisté, materné, payé peu mais suffisamment pour ne pas clamser, vacciné, subventionné par les impôts, gavé de conneries par la télé-réalité et les chaînes d’infos continues, tout est parfait. On passe sa vie dans les hypers et chez le doc. Pour les autres, certes, ils ne sont pas nombreux, c’est l’enfer. Mais tout cela s’éloignait de moi… Oui, ce n’est pas forcément mieux ailleurs,mais c’est différent et pour les gens comme moi, on peut prendre le meilleur des deux mondes...

J’allai retrouver ma régulière du moment, Liliane. N’allez pas croire que mon absence d’une semaine la perturbait outre mesure, quoiqu’elle en dise et s’en plaigne très fort.

Comme toutes les femmes, elle est totalement et irrémédiablement surbookée. Entre ses activités « culturelles », club d’écriture et de lecture avec ses copines (transformé en papotage et médicances), cours de danse country, yoga, soins esthétiques divers et variés, shopping compulsif, consultations médicales et examens multiples… sans parler de ses gosses… Ai-je omis de dire que Liliane a deux filles de précédents maris, Océane 12 ans et Ilana 7 ans ? La semaine d’avant, elles étaient chez leurs pères, mais devaient être rentrées au bercail la semaine passée. Inutile de préciser que je n’aime pas ces gosses qui me le rendent bien. C’est simple, elles me détestent, va savoir pourquoi.

Comme toutes les femmes, Liliane se considère multi-tâches, pense pouvoir toujours tout gérer et trouver une solution à tout. Quand les gosses rentrent de l’école, le goûter c’est une banane chacune, « c’est plus sain et bon pour le transit ». Le dîner ? Un sachet de chips dans l’assiette et un paquet de jambon non déballé sur la table, parce que « j’ai ma migraine, j’ai pas la force de cuisiner ! ».

Avec les femmes, attends-toi à tout et surtout au pire, arrête les illusions pernicieuses frérot, ça te fait du mal.

Je débarquai en pleine crise familiale (la normalité en réalité) : des cris, des menaces, des trépignements. Liliane se précipita vers moi.

— Ah, Lorenzo ! Je n’en peux plus ! Fais quelque chose, fit-elle au bout de sa vie, me prenant dans ses bras, comme si j’étais l’amour de sa vie.

— Je les corrige à la savate ? fis-je.

Les filles éclatèrent de rire et vinrent me faire le bisou (pure politesse, n’allez pas imaginer une quelconque affection), puis me submergèrent de questions.

— T’étais où ?

— T’as fait quoi ?

— Tu nous ramènes un cadeau ?

— Nan ! Je suis fauché !

— Avec toi, c’est toujours pareil ! Pfff !

— Demande à ton père !

— Bah, il est fauché aussi…

— Comment ça se fait que t’as jamais de fric ?

Je chassai ces mouches impertinentes, avec mon fameux « bzzz ! », mais je n’en avais pas fini avec les questions. Me restait la mère…

— Lorenzo, tu as fini ta mission ?

— J’en sais rien… J’ai eu une semaine é-pou-vantable en trois mots. Ma vie est un enfer...

— Ah bon ? Mais…

— J’ai pas été payé ! Il y a des voleurs partout. La patronne est une cinglée, elle veut que je prolonge ma mission...

— Mais c’est bien, c’est plus de fric ! Pourquoi, cinglée ?

— C’est compliqué.

— Tu as sauté cette pouffe ?

— Hein ? C’est quoi cette question ? Tu me prends pour qui ?

— Lorenzo ! Je te connais ! Ne me mens pas !

— Quand on joue de la flûte avec Lefut, on fait profil bas ! On ne calomnie pas son homme !

— Tu es odieux ! Je l’ai fait pour toi ! Tu le sais très bien, ça n’a rien à voir ! Tu étais clandestin, bordel !

— T’as fait quoi m’man, demanda Ilana, toujours à laisser traîner ses oreilles partout.

— Rien ! File dans ta chambre ! Tes devoirs !

— Mais… J’y comprends rien !

Le temps que Liliane s’en dépêtre, j’avais filé. Avec deux gosses et une mère de famille, une maison est toujours trop petite pour l’honnête homme.

— Lorenzo, tu m’aides pour mes maths ?

— Demande à ton père.

— M’man, Lorenzo est encore méchant !

— Lorenzo ! Tu avais promis de faire un effort !

— Dis Loulou, tu me répares mon vélo quand ?

— Tu avais promis à la petite ! Et il y a le robinet de la cuisine qui fuit toujours et l’essuie-glace de la voiture et…

Je levai les yeux au ciel. Mais que faisais-je dans cette vie ? Pourquoi Dieu se jouait-il de moi ? Pourquoi cette injustice ? Je méritai mieux ! Pourquoi ?

Consterné, tout grommelant, je tentai de trouver un espace de calme et de liberté. Le froid glacial du garage me tendit les bras. Changer des essuies-glace ? Mais qui est incapable de faire ça ? Qui ?

Je resserrai les roues du vélo d’Ilana pour la n-ième fois, tandis que la petite me racontait mille choses, comme si elle avait attendu tout ce temps pour avoir quelqu’un à qui parler. Il me suffisait de mon « mum-mum » pour faire semblant d’acquiescer et de participer à son mono-dialogue.

— Dis, Loulou, tu m’écoutes ?

— Bah ouais…

— Je t’ai manqué ?

— C’est sûr.

— C’est vrai ?

— Mais oui.

— Océane dit que tu nous aimes pas.

— Ouais…

— Mais moi je sais que c’est pas vrai.

— Ouais.

Il me fallut supporter la minute câline d’Ilana. Beurk ! Mais je n’étais pas encore au bout de ma vie.

Comme Liliane n’avait pas le courage de faire à manger, il fallut aller au Fast-food, puis faire les boutiques avec les petites qui couraient partout comme des folles. Le fric filait, pour acheter des tas de stupidités, j’en étais malade. La femme est la ruine de l’homme. Quoi ? C’est Liliane qui paye ? Je suis fauché, comme tous les français, faut être un peu compréhensif ! Un chapeau pour Ilana, un petit haut pour Océane, des bracelets pacotille pour Liliane, puis un arrêt à la Macaronerie pour se goinfrer de sucreries, puis de nouveau des Oh et des Ah devant des vitrines de fringues. Et la carte bancaire chauffait, le flouze partait en fumée comme l’intelligence qui n’avait pas sa place en ce monde. Liliane me prenait le bras et babillait, puis Ilana me tirait par la main tandis que sa sœur me poussait dans le dos sans ménagement. J’observais des gens qui paraissaient nager dans le bonheur : c’est l’effet de la privation d’intelligence : le bonheur est inversement proportionnel au QI. Que dire ? Que faire ?

De retour à la maison, les filles étaient excitées comme des puces après cette overdose de stimulations sensorielles, elles se battaient, couraient et braillaient. Liliane régla le problème en leur rendant leurs smartphones et l’écran hypnotique abrutissant prit le contrôle de leurs mini-cervelles sans problème.

La mère se plongea elle aussi dans une partie de Roblox ; je n’existais plus.

Pourquoi ne pas en profiter pour faire mon sac, le jeter dans la voiture et partir, rouler, rouler, loin. J’aime rouler, voir le monde tel qu’il est, être nulle part et hors du temps dans la voiture, voir l’horizon lointain des plaines à perte de vue et deviner la rotondité de la terre, me perdre dans les masses nuageuses aux formes incroyables.

J’allai à la véranda et collai mon front sur le vitrage glacial. La vie ne pouvait pas se résumer à ça. Il y avait forcément mieux ailleurs. Le bonheur devait bien exister quelque part, j’en étais convaincu, parce que j’avais été heureux dans ma vie, pas longtemps, certes, mais à certains moments, j’avais été heureux. Enfin, je crois.

Je songeais au passé, aux frérots que j’avais laissé (abandonnés?), aux aventures folles que j’avais vécues. Une évidence s’imposa à moi : jamais aucune femme ne m’avait aimé. Était-ce le drame de ma vie ? Qu’étais-je devenu ? Un raté ? Un nullard ? Était-il déjà trop tard pour moi ?

La minute de paix ne dura pas bien longtemps car Ilana constata avec effroi :

— On a rien acheté pour Loulou !

— Mais non, qu’est-ce que tu racontes, fit Liliane avec une certaine gêne.

— C’est vrai, m’man, confirma Océane.

— Mais si, voyons ! Vous dites n’importe quoi ! J’étais sûre d’avoir pris un t-shirt avec le slogan de la Belgique : Eendracht maakt macht !

— Nan, tu l’as laissé, tu n’aimais pas la couleur…

Liliane s’aperçut de mon absence et s’affola, me cherchant, m’appelant.

— Lorenzo ! Mais qu’est-ce que tu fiches, là ?

— Je songeais…

— Je n’aime pas que tu penses comme ça… Tu vas partir, c’est ça ?

Je la regardai. Elle se mordillait les lèvres, signe d’une certaine confusion, puis ni tenant plus, elle éclata :

— Je ne le supporterai pas !

— Liliane…

— Non, je te préviens Lorenzo, je t’aurais prévenu !

— Liliane…

— Après tout ce que j’ai fait pour toi, tous les sacrifices… Et tout le fric que je t’ai filé…

— Liliane…

— Tu étais un… gueux ! Un SDF ! Tu n’as pas le droit !

— Liliane…

— Salaud !

La soirée se passa, les filles devant la télé, Liliane décida que j’avais besoin d’un massage ; elle s’imagine être une experte en massages et pouvoir tout régler avec ça. Elle me papouilla le dos et le cou, m’oignit de corps gras divers et variés, ce que je déteste par-dessus tout, me bisouillant au passage abondamment tout en m’affublant de noms ridicules. La totale.

J’aurais préféré une bonne baise… Quoi ? Non, la veille au club, c’est passé, ça ne compte pas. Un athlète a besoin de son entraînement quotidien, mais Liliane était trop perturbée « émotionnellement ». Avec une régulière, il y a toujours un truc qui coince, c’est dingue.

— Lorenzo ?

— Quoi ?

— Tu n’es pas heureux avec moi ?

— Non.

— Qu’est-ce qu’il te manque ?

— La liberté, l’aventure, le frisson du risque, la richesse… Tout quoi…

— Tu ne grandiras donc jamais ?

— Non.

— Tu ne vois donc pas qu’il n’y a rien d’autre dans la vie ?

— Je ne peux pas le croire.

— Quand tu me parles comme ça, tu me fais tellement de peine.

— Je sais.

— Tu t’en fous !

— Non.

— Je te hais ! souffla Liliane, tout en m’embrassant fougueusement.

Elle me fit l’amour à mon corps défendant, car huilé comme un nem, je glissai dans ses bras, fuyant toute étreinte. Tentative désespérée de sa part. Certaines femmes ne peuvent baiser que si c’est utile, il leur faut une bonne raison, sinon, tu te brosses, chéri !

Non, décidément, ma vie n’était pas satisfaisante. Il fallait que ça change…

Bzzz...

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