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Y a-t-il une différence entre se croire mort et l’être vraiment ? Certes, oui, avec comme corollaire que votre serviteur peut continuer la narration. Cependant l’espace d’un instant, je me suis cru mort.
Peut-être l’étais-je un peu… On raconte qu’au moment de mourir on revoit les moments importants de sa vie, les faits marquants, les étapes majeures.
Pour ma part rien de tout cela, car ma vie n’est qu’un échec répétitif, un bug existentiel, une fonction mathématique erronée, un mouvement perpétuel dans le mur. De toute façon, pour moi, point de mariage, de naissance de chiard, de divorce… Certes, j’eus des succès d’estime, souvent illégaux voire répréhensibles mais qui sont prescrits, madame le juge, je tiens à le signaler… Je m’égare, je suis innocent !
Il faut en convenir, je suis déficient ; je n’ai jamais pu marcher au pas comme les autres sur une musique, je n’ai jamais cru en quoi que ce soit et par-dessus tout, jamais je n’ai eu, tant soit peu, la fibre socialo-paternaliste. Je suis un idiot nonobstant la célèbre citation d’Einstein : “Ceux qui aiment marcher en rangs sur une musique : ce ne peut être que par erreur qu’ils ont reçu un cerveau, une moelle épinière leur suffirait amplement.”
J’ai un cerveau qui pense mal, voilà la triste vérité.
Alors vous vous demandez : mais il a vu quoi, le Lorenzo, se croyant mourir ? Une scène fugace, fugitive, un instant privilégié comme hors du temps, se déroulant avec une netteté étonnante, au ralenti. Une fille d’une beauté époustouflante (elles le sont toutes en réalité, il faut être con pour ne pas le voir), qui d’un geste naturel rassemble ses longs cheveux en arrière et les noue tout en s’agenouillant avec grâce devant moi en ne cessant de me fixer d’un regard tendre. Chaque fois que je vis une telle expérience, je crois en Dieu et je sais que Dieu est un mec !
Qui était-elle, cette douce déesse, cette ambubaïe ? Impossible de me rappeler son prénom ! Mais pire que tout, la frustration suprême, impossible de me remémorer son 06 ! C’était à crever ! Il y avait une chose à ne pas oublier, une donnée à mémoriser, c’était ça et je l’avais zappé ! Je connais la masse atomique du Bore, calculer un million de décimales de pi, les détails anatomiques complets du périnée féminin, un fatras de connerie sur la mécanique quantique, mais ce simple numéro… Macache !
Il n’en fallait pas plus pour me faire revenir d’entre les morts.
— Il est mort ?
— Il n’a pas été touché ! Il n’y a pas de sang ! C’est une chochotte !
— C’est passé à ça ! À ça ! Vous êtes totalement inconsciente !
— Il m’a poussée à bout !
— Bébé, elle a bousillé le « moulage d’une ombre » de Skiban !
— T’inquiète ma douce, en miettes ça augmente sa valeur !
— Mais il bande, ce con ! Jamais il arrête ?
— Ah oui… C’est… Oh ! C’est… Mais quelle trique ! Jamais vu ça !
— Mais quel con ! Même inconscient, il me tue ! Lorenzo, espèce de porc!
— Laissez-moi ! Il faut que je me rappelle… Il le faut !
— Lisbeth, laissez-le respirer ! Vous en avez assez fait comme ça ! Vous me décevez beaucoup. Après un coup pareil, il ne nous donnera jamais le code du serveur.
— Filez-lui du fric et vous verrez.
— Quelqu’un parle d’argent ? Combien ?
— Ah, monsieur Lorenzo, vous nous avez fait peur.
— Vous allez bien, fit la voix de velours, me regardant avec du miel dans les yeux.
— Babababa… T’es trop belle toi !
C’est fou comme certaines femmes sont ignorantes des signaux qu’elles envoient aux hommes. Était-il possible que je plusse à cette beauté ? L’expérience me dit que non, qu’une telle femme ne consent au moindre bisou si tu n’as pas six zéros sur ton compte en banque. Pour mon malheur je n’avais qu’un zéro et j’étais moi-même un zéro. Alors ?
Une baffe me ramena à la réalité.
— Lorenzo ! fit Lisbeth avec acrimonie.
— Quoi ? Enlevez-moi cette mocheté de la vue ! Assassine !
— Lisbeth, éloignez-vous, vous l’énervez… Vous êtes instable, ma chère, complètement instable. C’était une erreur de faire appel à vous.
— Pfff ! De toute façon, je vais le casser son système. J’ai pas besoin du code. Donnez-moi quelques heures et c’est plié.
— Dans tes rêves. Il est blindé le serveur. Tu seras ménopausée que tu essaieras encore, la vilaine.
— Allons, allons… Gardons notre calme. Après toutes ces émotions… Si nous allions prendre un peu de repos ? La chambre d’ami vous attend, Lorenzo.
— Bonne idée. J’ai une grosse fatigue la.
— Sophie, conduisez notre ami, voulez-vous ?
La beauté se prénommait Sophie ? Était-elle sage ? Il y a des gens qui ont trop de tout, ils cumulent les attraits tandis que d’autres, comme Lisbeth, cumulent les tares. C’est la loi divine : certains vont galérer grave dans la vie.
Dans ce palais moderne, tout était beau, le marbre, les essences de bois rare, la décoration, les objets d’art, les vitrines éclairées, les toiles de prix. Il y avait du lourd, les chiffres s’additionnaient dans mon esprit inconsciemment. Je repérai les caméras, les détecteurs volumétriques et la centrale d’alarme dernier cri sans la moindre intention malveillante, je vous l’assure. Je suis le bon Lorenzo, le Belge.
La belle me fit les honneurs d’une suite magnifique, très claire, double exposition avec accès terrasse, salle de bain privative, lit double, plasma géant au mur.
— Je peux faire quelque chose, monsieur Lorenzo ?
— Épouse-moi, pitié !
Elle s’en fut en riant. Oui, elle n’était pas pour moi. Je songeai que Liliane ne se débrouillait pas mal en câlinous et ne rechignait pas à la tâche, il y avait plus malheureux que le Lorenzo.
Je me laissai tomber sur le lit et sombrai dans un coma.
Je fus réveillé sauvagement par une vision de cauchemar. Lisbeth était sur moi, sa face de Cruella totalement allumée me scrutait à deux centimètres de mon visage.
— Tu vas me filer le code d’accès !
— Jamais !
— Je te préviens… Je ne plaisante pas !
— Pfff ! Tu vas me faire quoi ?
— Je vais te tuer s’il le faut !
— Sérieux ?
— Oui ! Donne ce code, Frédéric te filera le fric. Pourquoi tu fais des histoires ? Prends l’argent et tire-toi, va retrouver ta femme !
— T’as pas pu casser le pare-feu, la nullarde ?
— Tu as piraté mon ordi, tu as siphonné mes données ! Tu vas les filer à qui toutes ces infos ?
— Je dirai rien. Pas un mot.
— Tu veux jouer à ça ?
— …
— OK. Je peux te tuer sans risque, sans être inquiétée…
— Mais nan. Tu divagues. Ma pauvre, faut prendre tes pilules de Dragonal.
— Le MIFUCHI, japonais, tu connais ?
— Le quoi ? Qu’est-ce que c’est que ce truc encore ?
— Si un homme à quatre orgasmes consécutifs, ses testicules deviennent minuscules, puis explosent et il meurt d’une jouissance extrême. Mourir de plaisir. On conclura que tu es mort d’épectase comme Félix Faure.
— Tu veux baiser quatre fois ?
— Oui !
— Avec moi ?
— S’il le faut… Alors ?
— Je réfléchis…
— Alors ?
— Mais t’es lesbienne ! Tu peux pas faire ça…
— Je fais les mecs aussi… Je ne suis pas sectaire. Enfin… avec toi, je me ferai violence, parce qu’au fond, je te hais. Alors, décide-toi… Tu es prêt à mourir pour cette connerie de code ? Elle te paye si bien que ça, la mère Chiffon ?
— Je réfléchis.
— Tu réfléchis à quoi ?
— Tu me suceras ?
— Je ferai ce qu’il faut ! Bordel ! Il comprend rien. Tu as capté qu’à la fin, tu meurs ? Attends… Non… Je le crois pas… C’est ta joie que je sens pointer, là?
— Je réfléchis.
— Mais il bande, ce con !
— C’est pas moi… Mon sgeg a sa propre conscience.
— Dis pas de connerie ! Je te préviens, Lorenzo ! Une fois commencé, je n’arrêterai pas avant…
— Je réfléchis.
Lisbeth me pinça la bouche me faisant un cul de poule et me galocha avec une sauvagerie peu commune. Ensuite…
La scène qui se déroula fut d’une horreur absolue et sort du cadre de cette narration. Hein ? Quoi ? Vous voulez des détails ? Mais nan… Vous allez être choquée ! Enfin pour vous être agréable…
À califourchon sur moi, Lisbeth était au galop, monte française. Elle râlait, grognait, mordait, m’enserrait avec une hargne terrible.
— Alors tu vas jouir, oui ?
— Je réfléchis.
— Ta gueule !
N’allez pas croire que nous ne parlions point tout en faisant. Bien au contraire, tout à la tâche, nous devisions.
— T’es complètement con, Lorenzo !
— Tu crois ?
— Dis-moi, pourquoi tu ne me donnes pas le code ?
— J’aime trop la baise.
— Tu vas mourir, idiot.
— Une gitane me l’a prédit quand j’avais huit ans.
— Mais nan… Tu te fous de ma gueule… Aaahh !
C’était le premier jet. Restait encore trois. Comme Lisbeth était en nage et très essoufflée, je pris le relais, j’étais à peine en rodage. Je la pilonnai avec entrain, car je la savais pressée et je ne voulais pas abuser de sa bonté. J’en profitai pour la suffoquer un peu et la baffer. Elle méritait et certaines femmes en sont friandes.
— Espèce de porc ! Tu le regretteras !
— Ouais, ouais… Parle à ma main.
— Je te hais tant, si tu savais… Aaaahhh !
Deuxième extase. Restait deux fois avant le trépas prévu. Lisbeth reprit les choses en bouche main. Telle un Shadok, elle pompa et pompa encore, bien en peine de parler malgré qu’elle en avait gros sur le cœur, mais sa détermination était sans faille comme sa haine à mon encontre.
À quoi pensai-je à ce moment crucial de mon existence ? Je regrettai que Sophie ne fût à la place de Lisbeth, elle aurait su donner l’illusion de l’affection. Mais, faute de grive on se contente d’ortolans, non ?
Lisbeth, un brin hagarde et très rouge refit surface. Je venais de l’inonder… Oups, j’avais omis de la prévenir. Une sorte de frénésie se lisait dans ses prunelles aux reflets de flamme. Finalement, elle avait de beaux yeux cette fille diabolique. Le beau est souvent dans le mal. Sans la moindre hésitation, elle remonta en selle et repartit au triple galop, cravachant et fouettant sa monture.
L’heure du trépas approchait. Je me préparais à remettre mon âme à Dieu en espérant aller direct au paradis, celui avec les vierges… J’avais mérité étant mort assassiné, j’avais un ticket d’or.
— Putain, Lorenzo, donne ce code de merde… Tu vas crever !
— Le code c’est 1234, la vilaine…
— Ahhhh !
Je venais de jouir et d’un coup, elle s’affala, inerte. Elle était morte, complètement cassée, ratatinée, baisée à mort, ruinée, saccagée, en vrac.
Et moi ? J’étais comme le canard de l’histoire de Robert Lamoureux que personne ne connaît plus, j’étais toujours vivant.
Vous vous dites que c’est impossible, qu’on ne peut survivre à l’implacable Mifuchi ? Bah si. C’est simple, c’est une connerie, une légende urbaine. Tu peux baiser tant que tu veux, cousin, profite, si tu croises une fada. Des coups comme ça, c’est pas tous les jours que tu trouveras une meuf qui veut bien, faut prendre.
Cependant j’étais un peu chiffonné. Je rejetai le corps inerte de Lisbeth qui m’encombrait. La vie c’est le mouvement. Et après tout, elle avait voulu ma peau, non ? Une évidence s’imposait : elle était trop maigre pour jouer à ça avec un gaillard comme moi. Que faire du corps ? Aurore aux doigts de rose n’était point encore née et j’étais las. Je la transportai sur la terrasse et la jetai sur un transat.
Probablement l’air froid, elle fit un gasp profond et guttural très impressionnant et… revint à la vie. C’est increvable la Lisbeth, mazette ! La grande kère n’avait pas voulu d’elle, ce n’était point son heure.
J’étais terrifié, les défunts qui redeviennent vivants c’est flippant quand même. Elle me regardait d’une manière étrange avec ses cheveux diaphanes en bataille, sa poitrine quasi sans seins se soulevant fortement dans une respiration saccadée.
— Putain Lorenzo, j’étais morte ! Oh la vache, le trip d’enfer !
— Pourquoi t’es revenue ? T’étais pas bien ? Fallait pas te donner la peine de...
— Je t’aime !
— Mais nan… C’est pas possible ça...
— Si ! C’est une révélation ! J’ai jamais ressenti ça avec personne ! On est faits l’un pour l’autre.
— Bababababa….
Lisbeth se leva, chancela un peu et se rétablit.
— Viens, Lorenzo, on va manger un truc et il faut qu’on parle.
Je déteste les femmes qui te disent qu’« il faut qu’on parle ». En général c’est elles qui parlent et qui prennent des décisions pour toi. C’est toujours un mauvais plan.
— Alors tu viens ?
— Je réfléchis.
— Tu ne vas pas recommencer ? Ne pense pas Lorenzo, tu penses trop !
— Je réfléchis.
— Tu sais que j’ai le code du serveur… Je dis ça, je dis rien.
— Hein ? De quoi tu parles ? Attends… J’ai dit n’imp’. Lisbeth !
Cette fille c’était une malédiction, une poisse, une IST. Évidemment, il fallait que ça tombe sur moi.
Bzzzz !
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