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Très fébrile, j’appelai l’avocat pour qu’il se rencarde sur les Suisses interceptés à la frontière. Où étaient-ils présentement ?

— Pourquoi vous… ? fit-il abasourdi.

— T’occupe !

— Les terroristes sans doute ? Vous ne m’avez pas tout dit ?

— Mais si !

— Monsieur Bueno, j’ai besoin de savoir dans quel merdier je mets les pieds ! Parce qu’avec vous, il faut s’attendre à tout !

— J’ai hébergé les filles jusqu’au matin… La Sophie pourrait baver… La cheffe Dejonts m’en veut à mort. Elle renifle comme un basset… Elle fouine, elle cherche, elle veut me coffrer ! Elle me hait ! Elle me sent le cul !

— Quelle misère ! Vous n’avez donc aucune limite dans la crapulerie ? Que comptez-vous faire ?

— Retrouver la Sophie, faite un colis, la coller dedans, mettre plein de timbres et l’envoyer à Tataouine, poste restante !

— Je vais me renseigner… Faites ce qu’il faut, mais si c’est illégal, je ne veux rien savoir ! Je déduirai ce service de votre part…

De nous deux qui était la crapule ? Pas le bon Lorenzo qui avait eu pitié des hurluberlus écolos-Suisses.

Me basant sur les statistiques, je roulais en direction de la frontière la plus proche, la ville de Zootbaveul que tout le monde connaît bien pour sa pâtisserie en forme de sgeg. Avec leur engin ridicule, ils n’avaient pas dû prendre le chemin le plus long. D’ailleurs ils s’étaient retrouvés en rade les pseudos terroristes.

Tout en roulant, j’eus un appel de Oud.

— Ils sont à Zootbaveul…

— Je suis déjà en route. Inutile de me facturer…

— Je sais à quel hôtel !

— Balance !

On n’échappe pas à la rapacité d’un avocat. Rien à faire. J’enfonçai l’accélérateur : il faut bien en convenir, mais les voitures qu’elles quelles soient, ne vont jamais assez vite pour moi. Tel un missile, le GPS me pilota à un hôtel miteux, caserne pour les putes Ukrainiennes qui tapinent sur l’aire de stationnement de la nationale, juste à côté. Le combi était là. Je fonçai, passai l’accueil automatisé et gagnai la chambre. Je boxais la porte taguée avec rage.

— Qu’est-ce que c’est ?

— C’est moi !

— Qui moi ?

— Ouvre, bordel ! Nardinamouk !

— C’est le Français !

— C’est toi Lorenzo ?

— Tu crois que c’est lui ?

— Qu’est-ce qu’il ferait là ?

— N’ouvre pas !

— On ne va pas le laisser à la porte.

— Mais qu’est-ce qu’il veut ?

On va encore dire que je suis médisant sur la lenteur Suisse, mais sérieusement… ces gens ne sont pas câblés correctement, d’ailleurs ils vendent des montres un million de fois plus chères que les mêmes fabriqués en Chine, c’est dire.

Au bout d’une éternité, la porte s’entrebâilla et le visage tout mignon de la Sophie apparut :

— Lorenzo ? Mais…

D’un mouvement sec, je tirai le petit bout de femme hors de la chambre.

— Il ne faut pas rester là. Viens, je t’emmène !

— Mais… Mais… t’es complètement… Attends ! Lorenzo… Tu vas me lâcher ?

— Faut se magner !

— Mais qu’est-ce qu’il se passe ?

— Je te dirais dans la voiture.

— Mais… Tu vas m’expliquer ?

Lui dire que la cheffe Dejonts avait des doutes et n’allait pas tarder à faire le lien… Non, elle était incapable de comprendre ces subtilités.

— J’ai envie de te sauter dessus-dessous ! Voilà !

— Ah bon… Un plan cul sans lendemain, quoi... Tu m’as fait peur… Un instant j’ai craint un truc avec la police. Tu sais qu’on a été questionnés… Il y avait une femme… elle a posé des questions sur toi… C’était très perturbant… Troublant !

— T’as dit quelque chose ?

— Mais… Non… Enfin… J’ai beaucoup hésité, surtout quand on a vu ce qu’il s’est passé… Que tu as été tabassé par la police… Que t’étais handicapé à 90 %… Je m’en voulais, si tu savais… J’aurais voulu te disculper, c’était la moindre des choses. J’avais trop mauvaise conscience.

— T’as rien dit ?

— Non… Je me suis dégonflée. J’ai honte de moi. Mais...

— C’est rien… C’est même très bien. Et puis de toute façon, on s’en fout ! Viens !

— Mais enfin, Lorenzo, tu sais que tu as une manière de faire la cour à une femme… Tout à fait… barbare !

— Moi ? Sérieux ? On m'appelle Bibou !

Elle me regarda avec une attention dubitative.

— Tu te fiches de moi, encore !

— Mais non ! Tu le vois pas ?

— Mais quoi ?

— Je suis fou d’amour !

Elle éclata de rire. C’était un petit bonheur de la voir s’amuser, c’est rare une fille avec un peu de sens de l’humour.

— Je ne suis pas libre ! J’ai quelqu’un dans ma vie ! fit-elle, l’air peinée pour moi.

— Ça se peut pas… Attends, ne me dit pas… les zozos qui sont avec vous ? Ne me dis pas ça !

— Et pourquoi ? Ils sont gentils, polis, bien élevés… Ils ne débarquent pas en disant qu’ils veulent me sauter…

— T’as besoin d’un mec, d’un vrai, tu le sais ça… Hein, tu le sais ?

— Mais… Toi un mec ? Toi ? Quand on était chez toi… On t’a proposé… Non… Pas toi… Ne te vexe pas.

— Attends tu vas voir !

De nouveau elle était morte de rire. Puis se raidissant :

— Mais non ! Tu me prends pour une…

— Je te paye un resto gastronomique, le truc de ouf.

— Ah oui ? Vraiment ? La grande cuisine ?

— Je te dirais des vers de Lamartine.

— Oh… Mais...

— Allez quoi !

— Non, mais… Il faut que je réfléchisse… Tu tombes du ciel, comme ça… Tu veux un rapport consenti… Consenti, on est bien d’accord ?

— Oui, oui… Politiquement correct ! J’ai pas envie de finir en ‘zon pour un coup de bite.

— Lorenzo ! Mais quel goujat !

Nous étions arrivés à la voiture. Elle eut un sursaut :

— Je ne monte pas dans cette machine polluante ! C’est hors de question.

— Écoute-moi bien, ma poule, je suis patient, mais là, tu me gonfles sévère !

— Tu es violent avec les femmes ? Tu sais que c’est le signe d’un conflit Œdipien ?

— Ta gueule !

J’étais sur le point de la pousser au cul dans la voiture, mais elle s’esquiva avec la grâce d’une danseuse.

— Il faut que je prenne mon sac. Je ne vais jamais nulle part sans mon sac !

— Mais…

Elle avait filé. C’était un tout petit bout de femme, mais elle m’avait épuisé. J’aurais dû être plus direct : un coup de taser et dans le coffre. Mais j’avais changé, j’étais Belge, je n’étais plus la brute ni le truand, maintenant j’étais le bon. Je songeais que je ne la reverrais probablement pas et qu’il faudrait que j’enfonce la porte de leur chambre. Au moment où je me mettais en marche, elle apparut, toute pimpante, avec la jupette, les bottines et la veste en daim. Un vrai carnaval sorti d’un cirque Western.

— Voilà, voilà !

— Que t’y es belle !

— C’est vrai ? Tu ne dis pas ça pour me faire plaisir ?

— La vérité si je mens !

— T’es trop chou ! T’es un grand sentimental en fait. Promets-moi d’aller doucement, tu sais j’ai peur en voiture et ça polluera moins.

— OK d’ac !

— T’es un amour.

Je lui claquai la portière et bondis au volant tout en scrutant attentivement les environs à la recherche d’un flic ou pire de la fouine Dejonts. Je démarrai en trombe et fonçai en direction de la frontière Française.

— Dis Lorenzo ?

— Quoi ? Ton compteur de vitesse ne marche pas ?

— Cassé.

— Mais… Pourquoi ?

— Il me déprime.

— En quoi un indicateur de vitesse pourrait-il être déprimogène ?

— Ça va jamais assez vite.

Sophie m’observa un moment en silence, puis :

— On va où ?

— On se tirailleur…

— Hein ?

— Tu me remercieras plus tard, mais je te rends un grand service ma poule.

— C’est un enlèvement ?

— Tu es libre de partir.

— Vraiment ?

— Saute si tu veux.

— Lorenzo… Tu es fou, c’est ça ?

— Pour les gens de ce monde dérangé… Oui, je le crois.

Un silence se fit. Le grondement du moteur meublait la conversation.

— Tu vas m’expliquer ? fit-elle, posant une main délicate sur mon bras.

— La femme flic, la grosse, elle m’en veut. Elle se doute d’un truc. Si on te cuisine un peu sérieusement, tu vas raconter des conneries, t’as pas la formation pour.

— Elle n’est pas « grosse », juste un peu ronde.

— Grosse !

— C’est pour ça…

— Pour ça quoi ?

— Qu’elle t’en veut. Elle a senti ton dégoût… Probablement qu’elle a des sentiments pour toi et cela la frustre terriblement.

— Elle ? C’est comme dire qu’un aspirateur a des sentiments. C’est une saleté de flic ! Elle renifle, elle veut me coincer… Mais je suis innocent ! Tu le sais bien non ?

— Bien sûr ! C’est moi la criminelle… Mais pourquoi ne pas tout lui dire ?

— N’avoue jamais ! C’est la règle numéro un !

— La règle ? Mais quelle règle ?

— Les règles de vie. Ma pauvre… Complètement ignorante.

— J’ai deux doctorats, je te signale ! fit-elle, vexée.

— Tu veux finir ta vie en prison pour attentat et prise d’otage ?

— Oh mon Dieu… Ça tuerai ma mère. Quelle honte !

— Alors… On se tire et basta.

— Mais, mes amis ?

— C’est des paumés. Oublie.

— Mais non ! Ils sont engagés, ils ont des convictions !

— Des tas de gens sont morts pour des convictions…

— Évidemment, toi, tu ne crois en rien ! C’est plus facile !

— Je crois en moi. Et c’est déjà beaucoup.

— Mon pauvre Lorenzo… Tu dois être bien malheureux.

— Oui. Je suis pauvre et personne ne m’aime.

— Pas étonnant avec ton caractère.

— Quand je pense que je te sauve la peau.

— Tu m’enlèves, tu me séquestres et tu voudrais que je te remercie ? Jamais !

Un silence tendu se coucha entre nous. Personnellement, cela ne me dérangeait pas. Nous avions passé ma frontière, nous étions dans le pays ou la police arrête les honnêtes gens et laisse la racaille libre. Sophie s’était détournée de moi. Elle en avait gros mais restait digne dans la tempête. Finalement, n’y tenant plus :

— Dis Lorenzo ?

— Quoi ?

— Quand est-ce qu’on mange ?

— T’inquiète, je t’ai promis un resto, je tiens toujours mes promesses, pas comme les politiciens.

Cela revigora l’intello-écolo-Suisse. Remplis l’estomac d’une femme et elle te pardonnera tout.

— Où va-t-on ?

— Je connais une crêperie… Tu m’en diras des nouvelles…

— Quoi ? C’est une blague ?

— T’aime pas les crêpes ?

— Mais…

Je stoppais la voiture sur le parking d’une échoppe minuscule coincée au bord d’une forêt et les pieds au bord d’un lac. C’était discret, idéal pour un changement de véhicule suite à… Inutile d’entrer dans les détails. J’ai changé !

La fibre écolo de Sophie s’émut. Elle était ravie du cadre, se pâma sur la nature, le chant des oiseaux et fondit à la vue des canards qui déambulaient avec nonchalance.

— J’adore ! s’exclama-t-elle, toute souriante.

— Ah ! Tu vois… « La nature est là qui t'invite et qui t'aime. Plonge-toi dans son sein qu'elle t'ouvre toujours. » Lamartine.

— Je suis impressionnée ! Je savais qu’il y avait du bon en toi.

— Viens, on va se régaler !

Nous prîmes place dans la gargote tenue par une sorte de hippie toute frisée qui était en joie d’avoir des clients et qui nous gratifia de la « carte des crêpes ». Je repoussai la notice plastifiée :

— Je prendrai une crêpe au sucre.

— Mais monsieur… Nous ne faisons pas de crêpes au sucre ! Toutes nos crêpes sont sur la carte.

— Je ne doute pas qu’elles ne soient très bonnes… Mais je prendrai une crêpe au sucre.

— Nous ne faisons pas…

— Vous faites des crêpes ici, non ?

— Oui, mais…

— Alors, tu prends de la pâte, du sucre…

— Mais monsieur !

— Tu voudrais pas une mauvaise appréciation sur le guide du routard ?

— Certes… Mais… Vous ne savez pas ce que vous perdez ! fit-elle pincée.

Sophie me regardait avec la plus grande consternation. Elle passa commande de la crêpe royale avec supplément de Chantilly. Puis quand nous fûmes seuls :

— Lorenzo, n’espère pas me sauter ! Ton attitude est consternante.

— Te sauter ? Jamais eu l’intention.

— Hein ? Mais pourquoi ?

— Avec toi ? Baiser n’est pas jouer.

— Je ne comprends rien à ce que tu racontes !

— Tu n’as pas vu le James Bond de 1986 avec Timothy Dalton ? Tuer n’est pas jouer ? Ce qui est d’ailleurs une traduction inappropriée de Living Daylights…

— Mais enfin… De quoi tu parles ?

Fort heureusement pour moi, les crêpes arrivèrent. J’allais enfin pouvoir me régaler.

Miam !

Bzzzz !

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