Un nouveau jour de Pâques approchait... Comme chaque année, les cloches s'activaient et les poules pondaient inlassablement. Les lutins étaient à la peinture depuis des jours pour parer les oeufs de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel. Les enfants attendaient avec impatience ce jour en se léchant les babines. Sucre d'orge et chocolat allaient couler à flot, ils le savaient. Au milieu de toute cette animation, la joie et l'enthousiasme régnaient en maître... Il était inimaginable de ne pas aimer cette période. Tout le monde s'en réjouissait... Enfin... Tout le monde...
Frimousse, vingt-septième de sa fratrie, était un lapin tout ce qu'il y a de plus ordinaire. Un mignon petit nez, de jolies moustaches, des pattes de velours, une queue touffue et de longues et belles oreilles. Sa physionomie en faisait un lapin de choix pour la distribution des oeufs. Ainsi chaque année, il distribuait les oeufs à la vitesse de l'éclair, par tous les temps. Sur son dos, les lutins ficellaient un sac qui lui laboutait les lombaires. Ils le remplissaient jusqu'à ce qu'il crie supplice. Les cloches sonnaient perpétuellement sur son chemin annoncant son arrivée, et lui vrillant ses sensibles tympans. Il devait faire attention en permanence à ne pas se faire attraper car après tout, le civet de lapin, c'est très goutu.
Au bout de longues années, Frimousse était lasse de cette éternelle damnation. Il se présenta aux cuves de chocolat. Le contre-maître l'accueillit d'un air maussade.
- Alors lapinou, on est fatigué de gambader ?
- ...
A la mine de Frimousse, aucun doute n'était possible. Le contre-maître poussa un soupir et indiqua une longue file de lapins sur la droite.
- Bon voyage, lapinou...
Frimousse le remercia à demi-mots. Il prit sa place derrière un lapin au pelage blanc comme neige. Comme lui, il se tenait vouté. Les minutes défilaient et l'avancée était lente. Petit à petit, lapin par lapin, la file progressait. Un temps infini, de longues minutes pour changer d'avis, pour peser le pour et le contre d'une telle décision... Puis vient son tour.
- Chocolat blanc ou noir ?" demanda un ouvrier.
- Euh, noir..." répondit Frimousse.
La couleur reflétait bien son état d'esprit. L'ouvrier le fit entrer dans l'une des cuves. La porte se referma derrière le lapin. Il entendit le bruit macabre du verrou. Maintenant, personne ne pourrait plus entendre ses appels s'il changeait d'avis... Frimousse resta immobile jusqu'à ce qu'un chocolat noir brulant lui tombe dessus. Dans un réflexe de survie futile, il se débatit et bondit en tout sens. Ses cris se répercutaient sur les parois de métal de la cuve. Bien des minutes passèrent avant que Frimousse ne se transforme en lapin de Pâques, un beau et bon lapin de chocolat.
Il fût déposé dans un jardin. Un petit blondinet de six ans le trouva bien caché dans une touffe d'herbe. Le père de l'enfant laissa s'exprimer sa surprise :
- Oh ! Un lapin en chocolat, c'est bien plus rare que les oeufs, tu as de la chance mon fils !
- Je peux le manger? Je peux le manger?" s'exclama le bambin.
- Bien sûr." approuva le père.
L'enfant, sans l'ombre d'une hésitation, croquant à pleine dent le chocolat. Il engloutit ce qui fut les longues et belles oreilles de Frimousse en deux coups de crocs.
FIN