Prologue
Direct. Droite, Gauche. Crochet droit. Et uppercut !
Violette enchaine les mouvements tandis que la salle se vide des derniers boxeurs. Il ne reste bientôt plus qu'elle face à son sac de frappe. Une heure qu'elle se défoule, qu'elle extériorise toute cette colère qu'elle ressent, contre elle, contre lui, contre l'injustice de la vie.
Chaque soir, elle accomplit le même rituel, poursuit le même but. Pendant une heure, souvent plus, elle s'acharne à faire sortir la douleur de son corps. Parfois, elle affronte une adversaire. Elle puise alors au fond d'elle-même toutes ces émotions qui la tenaillent et bondit sur elle comme une lionne sur sa proie. De ces séances, elle en ressort vidée et s'endort épuisée. Apaisée.
Pourtant, à son réveil, la souffrance réapparait, l'invitant à remonter sur le ring pour en découdre une fois de plus.
Le gardien s'approche :
- Mam'zelle Violette, il est l'heure...
Dernier direct dans le sac.
- J'y vais Gaston.
- C'est pas que je veux vous empêcher de quoi que ce soit mais...
- Ne vous en faites pas, j'ai suffisamment frappé pour aujourd'hui. Je vous aide à éteindre ?
La jeune femme ne lui laisse pas le temps de répondre et rejoint le fond de la salle. Elle a beaucoup de sympathie et de tendresse pour le vieil homme. Cet ancien boxeur, réputé par le passé, a vu ses rêves de gloire s'évanouir lorsque sa carrière s'est brutalement achevée à la suite de son dernier KO. La moelle épinière touchée, il n'a jamais pu remonter sur le ring.
Depuis, il travaille comme homme de ménage dans cette salle qu'il n'a jamais eu le cœur de quitter. Cahin-caha, il arpente chaque jour la salle en trainant sa vieille carcasse, ramasse les serviettes et lave le sol glissant de sueur.
Tout en le saluant, la boxeuse ramasse son sac, enfile son bonnet et se dirige vers la sortie.
- Et Mam'zelle Violette ! N'oubliez pas : frapper ça défoule. Mais parler ça soulage.
Gaston lui adresse un dernier clin d'œil puis se remet à trottiner derrière son chariot avant de disparaître dans l'obscurité de son local. Figée sur place, elle médite la dernière réplique du gardien quand, dans la poche de son sweat, son téléphone se met à vibrer. L'écran affiche trois appels manqués. Tous de Pauline.
La voix lointaine de son amie, recouverte par le bruit d'une musique en arrière fond, lui parvient difficilement lorsqu'elle rappelle.
- T'as pas oublié l'anniversaire de Mylène ?
- Non, je sors de la salle, je rentre me changer et j'arrive.
Bien que Violette ne soit pas du tout emballée par cette soirée, elle a promis à son amie d'y aller. Elle tiendra parole quoi que lui coûte cette promesse. Elle rentre chez elle, les pensées tournées vers le passé.
Elle avait aimé ce genre de festivités mais la vie l'avait marquée au fer rouge. De nombreuses fois, elle avait tenté de faire bonne figure : s'était maquillée pour camoufler la tristesse qui voilait ses yeux ; s'était parfumée pour dissimuler l'odeur de mort qui lui collait à la peau. Elle avait essayé, s'était prêtée au jeu, mais la musique bourdonnait dans ses oreilles. Les rencontres qu'elle faisait étaient futiles, les discussions plates. Ses sourires feints. Elle se sentait à des années-lumières de tout ce monde qui gloussait, le verre levé.
Comment pouvait-elle avoir quoi que ce soit en commun avec ces êtres pour qui le monde continuait de tourner normalement quand elle, était en équilibre au bord du précipice ?
Même Antoine ne la comprenait plus. Elle s'était renfermée sur elle-même si bien qu'il n'avait pas supporté très longtemps ses silences soudains. Il avait bien tenté de discuter avec elle, de lui parler d'avenir mais ses tentatives étaient restées vaines devant le mutisme de Violette.
Alors il avait fait ses valises. C'était il y a maintenant trois ans.
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