« Oublié de te rendre ta chemise

hier, si besoin de la récupérer

n'hésite pas à passer. »

Violette se mordit les lèvres. Comment avait-elle pu écrire un message aussi nul ? Comme s'il n'avait qu'une seule chemise !

Tout en se maudissant, elle s'engouffra dans la salle de bains, enleva les vêtements qu'elle portait au bureau et fit couler l'eau. Elle resta de longues minutes sous la douche, savourant la chaleur de ces gouttelettes d'eau pure qui ruisselaient sur sa peau nue. Devant le miroir, quelques instants plus tard, elle s'attarda sur son reflet. De longs cheveux auburn auréolaient un visage pâle. Sans éclat.

Chaque jour, elle se détaillait longuement, cherchant au travers de ses yeux, une étincelle qui saurait rallumer la flamme de vie qui s'était consumée quelques années plus tôt. Elle fixa ses prunelles dont la couleur s'était voilée, passant d'un vert d'eau scintillant à un vert de gris émoussé. Se pouvait-il vraiment qu'une braise d'espoir survive au milieu de ce tas de cendres ?

Elle osa baisser son regard sur les parties de son corps qu'elle ne regardait plus jamais. Sa peau laiteuse, striées de fines cicatrices nacrées la renvoyait sans cesse à cette neige souillée. Et l'hiver reprenait possession de son corps, enrobant son cœur de baisers glacés.

La sonnette retentit et tira Violette de ses réflexions. Elle enfila un short et un T-Shirt et alla ouvrir. Elle fut surprise de découvrir Fred sur le seuil de son appartement.

• J'ai eu ton message, je n'étais pas loin, je n'te dérange pas ?
• Pas du tout, entre. Je te sers quelque chose ?

Le portable de Fred vibra dans la poche de son jean. Il consulta le message avant d'appuyer longuement sur le bouton latéral.

• Une prétendante ? le taquina Violette.
• Elles savent pourtant que mes soirées te sont réservées désormais, répondit-il, amusé.

Elle rit avant de reprendre :

• Vin ça te va ?
• Va pour du vin.
• Je nous prépare un petit truc à manger en même temps ? demanda t-elle en sortant deux verres à pied du placard.

Elle concocta deux assiettes de salade composée qu'elle agrémenta de champignons, de tomates, d'avocats et de crevettes grillées tandis que Fred se chargeait de déboucher la bouteille de vin.

• Qu'est-ce que tu faisais dans le coin ?
• Ma sœur habite à deux pas d'ici.
• C'est vrai ? Alors on s'est peut-être croisés des dizaines de fois sans le savoir.
• Je m'en souviendrais si c'était le cas.

Fred la fixait. La lueur de malice qui brillait dans ses yeux avait laissé place à une flamme plus brillante, chargée d'émotions. Il ne la regardait pas comme une femme qu'on convoite mais comme quelqu'un que l'on souhaite apprivoiser. Elle songea à l'animal meurtri qui se terrait au fond d'elle. Une louve. Voilà ce qu'elle était.

Rappelée à la réalité, elle l'entraina au salon. Elle enclencha la chaine hifi et laissa la musique rythmer la soirée tandis qu'ils dînaient et échangeaient sur leur journée. La musique revint vite au cœur de leur conversation et ils se mirent à faire défiler, chacun leur tour, des morceaux de leur play-list préférée. Si les titres choisis par Violette étaient fortement empreints de mélancolie et d'accords de piano, ceux de Fred démontraient une influence plus rock. Ses doigts ne cessaient d'étreindre l'air, ce qui n'échappa pas à la jeune femme.

• Tu joues de la musique ? lui demanda-t-elle en plissant les yeux.
• Un peu de guitare...
• Oh ! Tu sais en jouer ? s'exclama-t-elle, l'œil pétillant. Attends-moi une seconde !

Violette se leva prestement et partit dans sa chambre avant de revenir une guitare à la main.

• Tu en joues aussi ? demanda Fred, étonné.
• Non, elle n'est pas à moi, elle...est à mon frère.

Le sourire de la jeune femme se tordit en un rictus nostalgique. Elle lui tendit l'instrument.

• Pas question ! Je ne joue pas en public.
• Quoi ? Ce n'est pas comme ça que tu séduis les filles ?
• Non M'dame, pas besoin de guitare pour ça, rétorqua t-il, un sourcil levé.

Elle s'amusa de sa remarque puis reprit :

• Allez ! S'il te plait ?

Le jeune homme ne résista pas bien longtemps au regard suppliant de son amie. Il passa une main dans ses cheveux mi-longs pour se redonner de la constance et saisit l'instrument. Installée dans le canapé à ses côtés, la tête posée dans la paume de sa main, Violette l'observait. Il évitait soigneusement son regard, occupé à accorder cette malheureuse guitare qui gisait à demi-morte dans le fond de sa chambre depuis quelques années. Un peu comme elle, songea t-elle.

Laissant derrière elle les souvenirs qui affluaient, elle se remit à le détailler. Un sourire creusa deux petits points sur les joues du jeune homme lorsqu'il commença à gratter les cordes. Il lui sembla même qu'il rougit lorsque ses doigts glissèrent pour former les premiers accords. Elle porta son attention sur ses mains qui caressaient l'instrument comme on caresse une plume.
Il hésita un moment et se lança.

Look at the stars

Look how they shine for you

And everything you do

Yeah, they were all yellow

Les paroles de Coldplay envahirent l'esprit de Violette tandis que Fred jouait la mélodie de ce titre qui mêlait si parfaitement leurs deux univers. Elle ferma les yeux et laissa la musique l'envelopper de sa tendresse.

I came along

I wrote a song for you

And all the things you do

And it was called Yellow

Derrière ses paupières closes, les sons se transformaient en arabesques et s'élevaient dans les airs pour se mêler aux étoiles. Leur lumière polaire se réchauffait doucement, laissant place à des milliers de rais dorés qui se mirent à pleuvoir sur une eau claire et calme. Et, tandis que la mélodie continuait de diffuser ses douces notes, les Ténèbres s'effacèrent enfin pour laisser place à un océan de perles turquoise.