Chapitre 7

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— Mam'zelle Violette ? Ah bah ça, ce n'est pas dans vos habitudes de venir le week-end.

Le gardien considéra la mine grave de Violette et jugea bon de la laisser tranquille.

— Si vous avez besoin de quoique ce soit, n'hésitez pas.

Violette lui adressa un regard entendu, partit se changer dans les vestiaires et avança ensuite vers le sac de frappe qu'elle avait l'habitude d'utiliser. Elle colla ses écouteurs dans ses oreilles, banda ses mains puis enfila ses gants. Après une profonde inspiration, Violette frappa. Coup droit puis gauche, puis droit, puis gauche. Elle alternait ainsi les directs à une allure acceptable, puis sentant la rage qui débordait, elle accéléra.

Depuis une bonne trentaine de minutes, elle s'acharnait sur le sac de frappe. Gaston l'observait depuis le centre de la salle, tout en lessivant le sol autour du ring central. Il alla ranger son seau et sa serpillière dans son local puis s'empara d'une bouteille d'eau et d'une serviette qu'il alla lui donner.

La jeune femme remarqua le gardien approcher et s'arrêta. Elle était couverte de sueur. Des mèches auburn s'échappaient de son espèce de chignon, et venaient se coller dans sa nuque et lui barrer le front. Elle les repoussa à l'aide de son gant, puis tira sur le velcro avec ses dents pour libérer sa main. Un ruban rouge enroulait son poignet et ses doigts. Elle serra le poing puis déplia les doigts et répéta plusieurs fois le même geste, comme pour réveiller sa main endolorie par les coups. Elle saisit la bouteille.     

— Merci Gaston !

— Vous savez Mam'zelle Violette, vous me rappelez quelqu'un... dit le vieux gardien en s'asseyant quelques instants sur le banc contre le mur.

— Qui donc ? demanda t-elle, en s'asseyant à ses côtés.

— Moi, plus jeune...

Violette sourit, puis pencha le buste. Elle allongea les avant-bras sur ses genoux, et scruta le sol. Après un petit silence, Gaston reprit la parole :

— Du plus loin que je me souvienne, j'ai toujours arpenté cette salle.

Il considéra un moment la salle, faisant tournoyer les murs un à un dans son esprit. Il sembla soudain nostalgique.

— Mon père boxait dans cette salle. Tous les jours. Toutes les semaines. C'était sa passion. Si bien que ma mère, si elle voulait le voir, devait venir jusqu'ici. Elle passait ses après-midis à contempler son homme, à la fois inquiète mais fière de cet athlète passionné. On peut dire que j'ai grandi dans cette salle. Dès que j'en ai eu l'âge, mon père m'a enfilé des gants et a commencé à m'entrainer. Vous auriez du voir avec quelle émotion il me transmettait son savoir. Et moi, j'étais en adoration devant ce grand boxeur qu'était mon père.

Gaston s'interrompit, visiblement ému par ce retour dans le passé. Violette, toujours dans la même posture, s'était mise à dérouler ses bandes et jouait nerveusement avec. Ses yeux, toujours rivés au sol, brillaient, témoins de l'émotion qui la gagnait. Gaston asséna le coup fatal :

— J'avais 15 ans quand il est mort. Ma mère ne s'en est jamais remise. Elle n'était plus que l'ombre d'elle-même. Elle était devenue incapable de quoique ce soit. Alors je me suis battu. Dans tous les sens du terme. J'ai endossé le rôle d'homme de la famille et me suis occupé de ma mère, de la maison, des factures...

Violette s'était à présent tournée vers Gaston , les yeux embués. Elle admirait cet homme solide qui en avait bavé lui aussi.

— Il m'a fallu arrêter l'école puis trouver des petits boulots pour subvenir à nos besoins. Le jour je travaillais et le soir, quand ma mère avait pris ses somnifères, je courais jusqu'à cette salle et frappais, frappais, frappais jusqu'à sentir la douleur de mon cœur migrer jusque dans mes doigts.

Gaston posa son regard sur Violette. C'était exactement ce qu'elle ressentait.

— Avez vous... Comment avez-vous réussi à faire disparaître cette douleur au cœur ? lui demanda t-elle.

— Oh ! Je ne pense pas qu'elle ait disparue, je dirai que je l'ai apprivoisée... J'ai appris à vivre avec, à m'en servir.

Violette médita ses paroles quelques instants, regarda de nouveau à terre puis de nouveau Gaston.

— Mais la vie vous a pris votre père. Votre mère aussi en quelque sorte. Puis plus tard votre passion... Et vous êtes toujours debout. D'humeur toujours égale. Comment... Mais comment faites-vous ?

— Ah ça Mam'zelle Violette. Je ne sais pas...je suppose que j'aime la vie !

— Mais la vie est injuste Gaston.

— Oui Mam'zelle Violette, la vie donne, la vie reprend... À sa guise. Mais la vie c'est comme un combat de boxe en définitive : il faut apprendre à encaisser les coups. On peut être mis KO mais il faut savoir remonter sur le ring et ne jamais jeter l'éponge.

Sur ces mots, il posa la main sur l'épaule de la jeune femme et se leva pour retourner à sa besogne. Violette, quant à elle, considéra les dernières paroles du gardien puis se leva à son tour, ramassa ses affaires puis quitta la salle.

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