Violette était impatiente de retrouver la douceur bleue de Fred. Lorsqu'il sonna, elle se précipita sur lui pour lui offrir un baiser passionné.

• J'en ai encore pour deux minutes, installe-toi, j'arrive.

Elle repartit en cuisine puis revint les mains chargées d'un plateau apéritif. Le sourire qu'elle arborait se figea lorsqu'elle découvrit le cliché que Fred tenait entre ses doigts. Ce cliché enfoncé dans l'arête du canapé. Elle garda le silence et posa le plateau sur la table dans un tremblement qui fit tinter les verres.

• C'est le mec du bar ?

Violette sentit le rouge enflammer ses joues. Elle était incapable de quoique ce soit. Les mots restaient bloqués dans sa gorge serrée.

• Celui que tu m'as dit ne pas connaître.

Ses mots sonnaient comme des reproches.

• C'est bien lui qui était en bas de l'immeuble l'autre jour non ? C'est un ex ?
• Qu'est-ce que ça peut faire ? répondit-elle sur la défensive.
• Je veux simplement savoir à qui j'ai affaire.
• Oui c'est mon ex. Voilà, on peut passer à autre chose ?
• Pourquoi tu t'énerves ?
• Je ne m'énerve pas ! C'est toi avec tes sous-entendus...
• Quels sous-entendus ?

Violette ferma les yeux. Elle n'aimait pas la tournure que prenait cette discussion.

• Qu'est-ce qui vous est arrivé ? reprit Fred en se rapprochant d'elle.
• Rien.
• Y'a forcément quelque chose pour que tu me m'en aies pas parlé. Ça a un rapport avec ce cauchemar ?
• Est-ce que toi tu me parles de toutes celles qui sont passées dans ton lit ? reprit-elle, agacée.

Cette fois la déception se lisait dans les yeux du jeune homme. Violette s'en aperçut, elle s'en voulait mais la machine était lancée. Elle repensa aux paroles de son père, elle voulait laisser entrer le soleil dans sa vie mais elle ne voulait pas parler de son passé et ferait ce qu'il faut pour préserver ses secrets quitte à repousser celui pour qui son cœur battait de nouveau, quitte à laisser l'orage du moment repeindre sa vie en gris.

• Je pensais que tu avais compris qu'aucune de ces filles n'a d'importance à mes yeux, que tu comptais bien plus pour moi.
• Qu'est-ce que tu attends de moi Fred ?
• Je veux simplement que tu me fasses assez confiance pour me laisser partager tes peines et tes souffrances.
• Je vais très bien Fred !
• Je pense que ce n'est pas tout à fait le cas. Je veux te connaître Violette. Savoir qui tu es au fond de toi.
• Je suis celle que tu as sous les yeux depuis plus d'un mois.
• Un mois ça ne suffit pas pour se connaître. Je veux comprendre pourquoi je ressens cette fêlure dans ta voix et cette mélancolie dans tes yeux. Pourquoi j'ai cette sensation qu'à tout moment tu vas t'envoler.

Les mots de Fred étaient doux, bienveillants. Ils transperçaient sa carapace de cuivre. Pourtant Violette continuait de lutter pour ne pas la voir se briser.

• Raconte-moi ?

Il l'implorait.

« Parle-moi Violette ! Je t'en prie. »

Les voix se mêlaient les unes aux autres, les ténèbres se rapprochaient. La pluie tambourinait aux fenêtres. Elle entendit son propre cri avant qu'un flash puissant ne l'aveugle. Puis des flocons se mirent à tomber. Minuscules. Silencieux. Glacés.

• Mon passé m'appartient. Je n'ai pas envie de le partager avec qui que ce soit. Si tu ne peux pas l'accepter, si tu as absolument besoin de tout connaître pour avancer avec moi, alors je crois qu'il vaut mieux en rester là.

Ils s'observèrent longuement, cherchant dans le regard l'un de l'autre, le pas qu'aucun des deux ne voulait faire. Puis, Violette vit Fred s'approcher encore un peu plus d'elle. Il essuya les larmes qui roulaient sur ses joues tandis que les siennes troublaient le bleu de ses yeux. Il caressa sa joue comme on caresse un rêve, à la fois fascinant et inaccessible. Il n'y avait qu'un pas à faire. En avant ou en arrière.

Dans le silence criant des sentiments qui se répercutaient tout autour d'eux, Fred s'éloigna et quitta l'appartement.