Chapitre 8
À deux heures et demie en voiture, le parc du Morvan s'étendait devant Violette. Elle se sentait plus seule que jamais, au beau milieu de ces plaines verdoyantes qui l'entouraient. L'âme en peine, elle pensait à toutes ces personnes qu'elle avait déçues. Elle avait l'impression de ne jamais être à la hauteur, d'être incapable d'offrir ce qu'on attendait d'elle. La vie était devenue pour elle une lutte de chaque instant, un combat interminable qu'elle savait perdu d'avance.
Elle repensait à ces quelques fois où, allongée sur le tapis du ring, déconnectée de toutes sensations, elle avait laissé le noir la recouvrir. Tout semblait tellement plus simple, les yeux fermés. Elle s'était pourtant toujours accroché au regard doux de son père, au sourire malicieux de Pauline.
Pauline ! Elle avait ignoré tous ses appels. Convaincue du bien-fondé de sa démarche, son amie s'était quand même risquée à lui envoyer un message avec l'adresse de Sandrine Levasseur. Elle pensait sûrement qu'après une bonne nuit de sommeil, Violette se déplacerait au cabinet. Qu'une simple discussion avec une inconnue résoudrait tous ses problèmes, qu'elle en sortirait légère et joyeuse.
Mais Violette n'était pas allée au rendez-vous. Elle avait déversé sur ses joues la douleur du passé, la déception de ces derniers jours et l'angoisse de n'être jamais aimée à sa juste valeur puis avait allumé son ordinateur et recherché une destination capable de lui offrir une parenthèse calme et reposante qui l'aiderait à faire le point sur sa vie, sur ce qu'elle ressentait et ce dont elle avait besoin.
Avec ses vastes forêts, ses grands lacs, son patrimoine historique et ses légendes, le parc du Morvan semblait la destination idéale pour cette pause salvatrice dont elle avait besoin. Alors en deux, trois clics, elle avait réservé son séjour.
Elle avait opté pour la région du lac des Settons, séduite par ces rives calmes et boisées où toutes sortes d'activités des plus sportives au plus reposantes lui seraient offertes, au gré de ses envies. Elle fit une première halte dans son périple bourguignon, à Saint-Brisson, où se trouvait la Maison du Parc. Elle gara sa voiture et vérifia son portable. Pauline avait tenté plusieurs fois de la joindre depuis ce matin et lui avait laissé plusieurs messages. Elle ouvrit l'application dans un soupir d'agacement.
« Violette ! Réponds !
Faut qu'on se parle ! »
« Suis allée chez toi, à la salle...
Mais t'es où ? »
« Je sors de chez tes parents.
Je te rejoins ! »
« La Bourgogne ! Non mais franchement,
tu pouvais pas être plus vague encore !! »
« J'arrrive sur Auxerre,
je chauffe ? »
Bien que Violette soit franchement en colère contre son amie, elle ne put réprimer un sourire à l'idée qu'elle ait pris la voiture vers une destination inconnue dans le seul but de la retrouver. C'était du Pauline tout craché. La savoir capable d'une telle extravagance remit un peu de baume sur son cœur et adoucit sa rancœur.
Elle sortit de la voiture, fourra le téléphone dans sa poche et fit quelques pas tout en essayant de remettre un peu d'ordre dans ses idées. Pauline était sa meilleure amie depuis toujours. Bien sûr qu'elle se souciait plus que quiconque de son état. Elle avait pleuré avec Violette la mort de Florian, s'était réjouie en même temps qu'elle de sa grossesse et s'était effondrée autant qu'elle à l'arrêt de celle-ci. Elle avait haï Antoine pour deux lorsqu'il était parti, était venue la voir chaque jour après son départ, l'avait veillée, épaulée, consolée. Lui avait répété, chanté, hurlé son amour indéfectible pour elle et avait attendu patiemment qu'elle revienne à la vie.
Violette sentit son coeur se serrer. Les remords gonflaient en elle, formant une boule qui lui nouait la gorge. Elle avait été injuste en lui crachant tous ces mots. Cela ne lui ressemblait pas. Dire ce qu'elle pensait avait toujours était difficile pour elle. La peur de blesser les autres l'empêchait le plus souvent d'exprimer ses émotions telles qu'elle les ressentait au fond d'elle. Alors, elle préférait arrondir les angles quitte à se faire mal elle-même. Pourtant, jamais elle n'avait eu besoin d'agir ainsi avec Pauline. Les deux amies se connaissaient tellement qu'elles savaient se comprendre au-delà des mots. Et elles se respectaient suffisamment pour se parler librement sans craindre de heurter l'une ou l'autre. Jamais un de leur échange n'avait pris autant de proportions.
Elle attrapa son téléphone et pianota sur le clavier :
« Maison du Parc
58230 Saint-Brisson »
**
- Violette ?
La jeune femme se retourna et vit Pauline, rouge et trempée de sueur, le portable à la main et la chemise nouée autour de la taille. On aurait dit qu'elle venait de faire la traversée du désert. Violette rit et la regarda s'approcher pour contempler à son tour l'horizon.
— Écoute ma Violette, je suis désolée, je n'aurai pas dû...
— Non, c'est moi. Je sais que tu t'inquiètes pour moi. J'ai été injuste avec toi et je m'en excuse.
Pauline regarda son amie avec émotion et les bras grands ouverts, Violette l'invita à la réconciliation.
— Alors c'est quoi le programme ? demanda Pauline enthousiaste.
Les deux amies profitèrent du séjour pour visiter Vézelay et Chaumard. Elles s'adonnèrent aux plaisirs aquatiques que leur offraient le lac en s'essayant au canoë, au paddle et au ski nautique. Elles observèrent les pêcheurs débusquer toutes sortes de poissons et s'émerveillèrent de leur art et de leur savoir-faire. Elles jouirent du calme environnant en se posant à l'ombre des mélèzes ou en se prélassant sur la bande de sable aménagée au bord du lac.
Le matin, elles allaient se balader et faisaient le tour du lac, guidées par le bruissement apaisant de l'eau. Le soir, elles dégustaient vins et produits du terroir tout en profitant du spectacle imprenable du coucher de soleil sur le lac.
Violette se sentait chanceuse de profiter de ces quelques jours dans ce cadre époustouflant en compagnie de son amie, dont la présence la rassurait. Pauline savait parfaitement s'adapter à ses besoins en lui offrant de nouvelles anecdotes quand celle-ci avait besoin de rire, quelques points de vue plus sérieux quand elle doutait et, en respectant des silences empreints de bienveillance quand elle se perdait dans ses réflexions. Elle était son double, sa moitié, l'âme sœur qu'on peut parfois passer une vie à chercher.
Annotations
Versions