Chapitre 2
Violette tenta de suivre les conseils de Sandrine Levasseur. Elle prit un cahier et un stylo. Tant de choses se bousculaient dans son esprit. Les encrer sur le papier ne serait qu'une simple formalité. Elle griffonna quelques lignes décousues qu'elle barra les unes après les autres après relecture. En vérité, elle ne savait pas quoi écrire ni par où commencer. Son stylo allait et venait sur la feuille, esquissant un amas charbonneux, bien loin des lignes remplies d'émotions qu'elle s'était imaginée produire.
Sous le plaid dans lequel elle s'était drapée, elle tenta de reprendre le cours de ses pensées. Les yeux fermés, elle se concentrait sur les émotions qu'elle ressentait. Mais elle ne voyait rien d'autre qu'un entrelacs de fils sombres. Elle reporta son regard sur les étagères de sa bibliothèque et se remémora les livres qu'elle avait dévorés du temps où la littérature occupait toutes ses journées. Elle admirait ces auteurs capables de la faire voyager avec de simples mots. Elle aimait se perdre dans ces lignes noires sur fond blanc, s'imaginer au cœur de ces histoires dans lesquelles tout était possible.
Mais la vie n'était pas aussi belle en réalité. Il n'y avait pas de happy-end en vrai. Elle s'était mise à haïr ces bouquins qui n'exprimaient pas le réel, qui la fourvoyaient et l'emmenaient se perdre dans des contrées paisibles à l'abri de tout danger. Elle avait fini par délaisser les livres, les laissant se taire sur ses étagères et avait quitté son emploi dans sa librairie de quartier. Une pointe de regret lui serra le cœur en repensant à cette page de sa vie qu'elle avait définitivement tournée et, l'âme en peine, elle s'endormit.
Elle plongea dans des rêves étranges dans lesquels le passé et le présent se confondaient. Elle était au milieu d'un cimetière. Les visages de Fred et d'Antoine se superposaient tandis que celui de Pauline était figé dans un drôle de rictus. Son frère avançait dans les allées, les bras remplis de fleurs qu'il venait déposer sur une stèle grise. Au creux du médaillon, une jeune femme au regard triste l'observait. Une cloche se mit à sonner, Violette se retourna et aperçut la petite Maya qui, gênée par le grand arrosoir qu'elle portait, s'approchait péniblement. Elle reporta son regard sur la tombe pour déchiffrer le prénom de Julia mais ne vit rien d'autre que son propre nom gravé dans le marbre.
Violette se réveilla dans un sursaut. La pénombre recouvrait les murs du salon renforçant ce sentiment d'insécurité qui l'enveloppait. Elle pensa à Antoine, à cette façon qu'il avait d'ouvrir grands les bras pour recueillir ses peines et ses angoisses. Elle pensa à Fred, à ce regard silencieux qui l'invitait à prendre le large, loin du vacarme de son esprit. Ils lui manquaient tous les deux à leur manière. Elle mit un disque et se prépara une infusion au tilleul et à la menthe. Les effluves de feuilles séchées la renvoyèrent dans la forêt auprès d'Antoine tandis qu'elle imaginait Fred jouer les accords de Kurt Kobain. La douceur de la musique mêlée à l'odeur et à la chaleur du breuvage eurent raison de Violette qui finit par se rendormir.
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L'idée de cet écrit obnubilait ses pensées. Elle y avait pensé dès qu'elle s'était réveillée. Il fallait qu'elle trouve un moyen d'écrire ces fichues lignes. Coucher ses émotions sur le papier serait un bon moyen d'évacuer son stress et ses angoisses alors qu'elle devrait se passer de boxe pendant quelques mois. Elle commença un récit autobiographique dans lequel elle se présentait, racontait sa rencontre avec Antoine. Mais l'histoire allait beaucoup trop vite. Elle avait fait l'impasse sur ce qui l'avait conduite sous ce tilleul. L'amertume de ses rapports avec sa mère forma une boule dans sa gorge. Elle froissa le feuillet et l'envoya valser dans l'air.
Cinq boules de papier plus tard, Violette en était toujours au même point. Incapable de trouver les mots justes pour s'exprimer. Elle attrapa le cahier et le balança avec tant de force qu'il se heurta aux étagères au fond de la pièce. Elle avait envie de hurler, un de ces longs gémissements que laissaient échapper les loups à la nuit tombée. Car même les animaux, eux, savaient s'exprimer.
Elle repensa à ce livre sur le deuil périnatal qu'elle avait lu et balancé lui aussi à travers la pièce. Meurtrie par le drame qu'elle vivait, elle s'était jetée sur ce bouquin comme sur une bouée de sauvetage. Elle voulait savoir. Savoir comment faisaient les autres femmes pour survivre à cet enfer qui la rongeait de l'intérieur. Elle avait parcouru chaque ligne avec attention, enregistré chaque mot, s'était glissée dans la peau de l'auteure. Pourtant, à la fin du récit, rien n'avait changé en elle. Elle ressentait toujours cette même douleur qui lui comprimait le cœur et, le vide à l'intérieur. Elle avait jeté le livre et s'était recroquevillée sur sa peine. Dans son esprit, elle s'était forgé un univers à elle. Où la neige étendait à l'infini son long manteau blanc. Où les flocons silencieux dansaient dans le vent et les étoiles dans le firmament. Un endroit où la pureté et l'innocence, vierges de toutes souffrances, lui souriaient.
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