Chapitre 6
Violette avait passé la semaine à réfléchir à son histoire avec Antoine et Fred. Elle avait pesé le pour et le contre et, pensait qu'une bonne discussion avec chacun d'entre-eux l'aiderait à y voir plus clair. Quelque soit son choix, elle voulait que ses relations soient enfin apaisées. Elle envoya un message à Antoine.
« Je suis prête à discuter. »
**
Violette attendait Antoine sous le tilleul. Le vent tiède caressait les feuilles, dont le bruissement, pareil à un chuchotement, apaisait ses pensées. Durant ces trois dernières années, la colère et l'injustice avaient pris tant de place qu'elle en avait oublié la douceur des petits instants comme le simple fait d'être adossée contre l'écorce d'un arbre, les yeux rivés sur l'eau paisible d'un lac.
La silhouette d'Antoine se découpa au loin. Il portait un pantalon de costume sombre et une chemise blanche déboutonnée, dont les manches étaient retroussées. Le style décontracté-chic dont Violette raffolait en son temps. Lorsqu'il arriva à sa hauteur, il s'assit près d'elle et contempla le lac qui s'étendait devant eux.
- Je t'avais promis un beau chalet au bord d'un lac comme celui-ci, se rappela t-il.
Violette sourit. Elle le revoyait les bras chargés de plans qu'il avait lui-même dessinés alors qu'il n'était encore qu'un simple étudiant en architecture. Il lui avait montré la cuisine ouverte sur une grande pièce de vie, le bureau qu'il prévoyait pour lui et l'immense bibliothèque qu'il lui réservait. Il avait aussi prévu six grandes chambres : une chambre parentale, une chambre d'amis et quatre autres pour les enfants qu'il lui ferait.
- On s'était promis trop de choses, sans penser que la vie avait elle aussi son mot à dire, lui répondit-elle tristement.
- Je suis désolé Violette de ne pas avoir été à la hauteur.
- Je ne l'ai pas été non plus. Je me suis laissée submerger par mon chagrin au lieu de saisir la main que tu me tendais.
- Peut-être aurais-je dû être plus patient.
- Ne te blâme pas. À aucun moment, je n'ai pensé à la peine que tu devais ressentir toi aussi. Je ne pensais à rien d'autre qu'à ce ventre qui me faisait souffrir tant il était vide. Il devait être un nid douillet pas un...tombeau.
Violette sentit le regard d'Antoine peser sur elle. Elle ne s'était jamais exprimée sur le sujet. Elle avait laissé le poids de la culpabilité gangrener son cœur. Elle s'était éteinte et laissée mourir à petits feux.
- Je ne voulais plus rien. J'étais morte moi aussi. Tu n'y peux rien. C'est comme ça, on ne peut pas ressusciter les morts.
L'écho de cette phrase tinta dans son cœur Non, on ne pouvait malheureusement pas redonner vie à nos défunts, on ne pouvait que leur permettre de vivre à travers nous.
Antoine fouilla ses poches et en sortit un petit sac en toile de jute qu'il tendit à Violette.
- Tiens c'est pour toi.
La jeune femme l'ouvrit et fit glisser son contenu dans le creux de sa main. Un petit colibri en bois était retenu par une fine chaine en or blanc.
- C'est toi qui l'as...
- Oui. Un soir, alors que j'étais seul dans mon appart à broyer du noir, je suis tombé sur ce dessin animé que tu me faisais tout le temps regarder.
- Mulan ?
- Oui ! J'ai vu ce drôle de petit oiseau et je me suis souvenu de ce que tu m'avais appris sur sa symbolique.
Violette adorait ce petit volatile aux multiples plumes colorées capable de voler dans toutes les directions. Elle avait appris que les colibris étaient porteurs de messages profonds. Leur faculté à pratiquer le vol stationnaire signifiait que nous pouvions avancer tout en regardant vers le passé. Certaines civilisations croyaient même en leur capacité de guérison, d'autres en leur pouvoir de résurrection.
- Il me faisait indubitablement penser à toi. Je me suis mis à tailler une pièce de bois. J'ai passé des soirées à sculpter ses rémiges, m'attardant sur chaque nervure. Je le voyais minuscule et fluet dans mes mains et revoyais Noé, si petit et fragile dans tes bras. Et plus je sculptais, plus je regrettais le choix que j'avais fait de me séparer de toi.
Une larme s'échappa des paupières fermées de Violette. Noé, son tout-petit, endormi à tout jamais contre son cœur meurtri.
- J'ai enfoui chaque jour ce pendentif au fond de ma poche priant pour qu'un jour il me donne la force de regarder derrière moi. C'est tout ce que je te souhaite Violette, d'avancer, en étant en paix avec notre passé.
**
Allongée dans son lit, Violette caressait le colibri qui reposait au creux de son cou. Les mots d'Antoine si forts et si touchants avaient glissé sur son cœur, s'infiltrant dans ses cicatrices pour les nacrer de douceur. Il était et resterait à jamais son grand amour. Celui qui se pare de toutes les couleurs, comme le bleu du ciel, qui nait dans l'aube rosée, passe par de multiples nuances avant de s'éteindre dans le voile sombre du crépuscule.
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