La Mézière - été 1962 à septembre 1965 - 2ème partie
Une des sorties privilégiées de mes parents était lorsque nous allions à L’Hermitage chez la cousine de papa, Odette Fouillet, née Marchand, et son mari Yves. Pendant que nous jouions avec leurs enfants, papa, maman, Odette et Yves se livraient à des parties de belote acharnées.Mes parents adoraient ces moments et si maman se limitait à ce jeu , papa quant à lui, jouaient aussi parfois avec avec nous. Certains dimanche nous sortions l’unique plateau de jeux que nous possédions et nous entamions une partie de petits chevaux avec lui. Il mettait tellement de cœur à vouloir «culbuter» nos équidés, que parfois il repartait pour un deuxième tour oubliant de rentrer dans son écurie ce qui déclenchait les fous rires de tous.
Au cours de l'année 1964, il y eut plusieurs événements marquants. Tout d’abord Jean Claude était revenu de l’armée. Même s'il ne vivait pas avec nous, les tensions s’étaient apaisées entre papa et lui et il venait nous voir de temps en temps. Lors d’une de ses visites, il nous présenta une copine qui s’appelait Hildegarde. Cette histoire ne dura pas très longtemps et il retrouva son célibat, en profitant pour faire la fête avec son copain d’armée Jean Claude Guérry. Ils entraînaient parfois papa, c’était l’occasion pour lui de s’adonner à une de ses passions:la conduite (1).
Puis mon oncle Pierre et ma tante Henriette devinrent grands parents. En effet, ma cousine Yvonne âgée de 18 ans, qui avait un petit copain appelé Jacques, mis au monde une petite fille prénommée Jacqueline .
Enfin, Maman nous informa que la famille s'agrandirait en fin d'année. Lorsqu’elle nous en fît part, elle ajouta :
" Si seulement ça pouvait être un garçon , ça me consolerait un peu…. "
Je me demandais de quoi cela pouvait bien la consoler : de la perte de son premier enfant qui était un garçon (3) ou de la vie qui était difficile et que l'arrivée d'un bébé adoucirait.
Sa grossesse était bien avancée lorsque, au moment de la Toussaint, papa décida de nous emmener ramasser des châtaignes chez des gens de sa connaissance près de La Chapelle Chaussée. Quand la cueillette nous eûmes satisfaits, nous remontâmes tous dans la Dyna Panhard qui avait succéder à une 2ème 4CV, et reprîmes la route du retour. Soudain, dans le bourg de La Chapelle Chaussée , une mobylette déboucha devant nous. Papa freina de toutes ses forces, la mobylette fît un vol plané sur la voiture cassant le pare brise, et maman se retrouva les deux mains sur le capot (4).
Ce fût une bonne frayeur pour nous et le motocycliste qui s’en sortit indemne.
Heureusement il n’y eu pas de conséquence et le 15 décembre suivant, le vœu de maman fût exaucé. Elle mis au monde notre petit frère Philippe. Papa et Maman me désignèrent comme marraine et mon oncle Pierre comme parrain. Le baptême fût célébré dans la chapelle de l’hôtel Dieu, à Rennes, quelques jours après la naissance. Mon oncle, complètement athé, ne connaissait pas ses prières et lorsqu’il fallut réciter le Notre Père il fût surpris de m’entendre le faire sans hésitation. Ce n’était pas difficile pour moi car c’était l’une des premières choses apprises au catéchisme. Profitant alors que le prêtre avait le dos tourné il me chuchota à l’oreille:
« Tu connais ça toi? Moi j’y connais rien ».
Je ne savais pas si c’était une simple constatation ou un regret.
Maman étant à la maternité, nous devions aider papa et, comme Noël approchait, il me dit :
" Tu es grande maintenant, tu as 9 ans, maman n’a pas eu le temps d’emballer les cadeaux de Noël tu vas te mettre sur notre lit et faire les paquets avec Françoise, mais attention il ne faut pas que Cathy vous surprenne."
Et voilà, je venais d’avoir la confirmation de ce que je soupçonnais sans vouloir vraiment y croire :
LE PÈRE NOËL N’EXISTE PAS.
Maman et Mémé avaient pourtant toujours entretenu cette part de rêve, n’hésitant pas à broder autour de l’événement. En effet, une année où je commençais à avoir des doutes, ma grand-mère nous raconta qu’ayant oublié d’enlever le charbon qu’elle stockait dans la cheminée de la chambre, elle avait été réveillée par un gros bruit. Le père noël était tombé dans le charbon et avait sali son costume. Elle nous dit avoir été obligée de le nettoyer pendant qu’il se reposait un peu. Devant tant d’arguments nous l’avions crue. Après réflexion, ce jour-là, j’en déduisis que pour les cloches et la petite souris ,cela devait être la même chose.
Noël était une fête chez nous, et tous les 24 décembre, après nous avoir menacé du contraire, Papa faisait une crèche et décorait le sapin. Il y avait des guirlandes des boules et aussi de vraies bougies dans leurs petits bougeoirs à pinces. La touche finale était apportée par de fins morceaux de coton hydrophile disséminés un peu partout et qui évoquaient la neige.
Pendant ce temps, nous nettoyions nos chaussures, car il n’était pas question de les mettre sales devant le sapin sinon, le père NOËL ne laisserait rien. Nous mettions donc du cœur à l’ouvrage espérant que le bonhomme rouge serait satisfait. Venait alors le moment où papa allumait les bougies et où, lumière éteinte, nous laissions opérer la magie de Noël.
Après ce moment suspendu, nous soufflions les bougies et dans la maison flottait cette odeur de cire que j’aimais. Puis tout le monde filait au lit, enfin, surtout nous, les enfants, car les parents avaient encore des choses à faire.
Le lendemain matin, c’était la joie à la maison. Je me rappelle l’année où nous avons découvert Françoise et moi, les magnifiques poupées dont nous avions rêvé devant la vitrine de l’épicerie Simon. Elles étaient blondes et fermaient le yeux quand nous les allongions. Nous les avions appelées Christine et Martine et en étions très fières.
C‘est avec la même joie que nous découvrions les matins de Pâques, une année, des cannes transparentes remplies de bonbons multicolore accrochées dans un arbre du jardin ou, une autre année, des chocolats que «les cloches» avaient déposés dans le chapeau de papa ou dans le jardin. Je me souviens d’une fois où nous étions chez Mémé, pour le week-end pascal. En nous réveillant le matin, elle nous prit dans ses bras et nous emmena dans la chambre. Sur le rebord de la fenêtre des cloches transparentes remplis de petits œufs multicolores étaient arrivées comme par miracle. Même, quand nous n’étions pas chez nous, les cloches ,enfin les parents, ne nous oubliaient jamais.
Comme dans toutes les familles de l’époque, nous participions aux tâches ménagères et lorsque nous étions de corvée de poubelles cela tombait souvent après le repas du soir. Nous devions alors contourner la maison pour nous rendre au fond du jardin avec pour seul éclairage la lumière qui filtrait par la fenêtre de la cuisine. Lorsque c’était le tour de Françoise, je la suivais en silence et me mettais à crier d’un coup. Elle repartait alors en hurlant vers la maison en oubliant parfois sa poubelle que je ramenais innocemment après un bon fou rire, sous le regard soupçonneux de mes parents. Sachant ma sœur très peureuse je renouvelais parfois l’opération en me cachant cette fois dans le bout du couloir non éclairé. Si cela fonctionnait à tous les coups, elle ne se plaignait jamais et nous réglions nos comptes le soir lorsque nous étions dans notre chambre. Si elle s’en tenait à des paroles, moi j’agissais avec l’espièglerie caractéristique de la plupart des enfants de notre âge. Bien longtemps après, j'entendis que j’étais « mauvaise » (5).
Nous n’avions qu‘un grand lit pour nous deux dans un angle de la pièce, et le soir maman, lorsqu’elle venait nous dire bonne nuit, nous bordait pour que nous n’ayons pas froid. Dormant au fond, j'attendais que ma sœur s’endorme, et m’appuyant le dos au mur, je la poussais doucement avec mes pieds. Réveillée en sursaut et coincée dans les couvertures, elle se mettait alors à «brailler» et à pigner alertant mes parent qui arrivaient se demandant ce qui se passait. Innocemment, je disais devant mes parents :
« Je sais pas moi.»
Ce à quoi elle répondait :
« C’est elle qui m’a poussée. »
Ne sachant qui croire, mes parents repartaient non sans nous avoir sermonner toutes les deux .
Nos autres corvées consistait surtout à faire les «commissions ». Nous devions aller chercher le lait à la ferme Henri située à environ 500 mètres de chez nous en direction de Rennes. Ces fermiers parlaient en patois et un jour je mis du temps à comprendre lorsque la fermière me dit :
« Je ns’e point préte paose donc ta bu sur la banceule (6). »
Le plus souvent nous y allions toutes les deux, Françoise et moi, et lorsque nous passions avec notre pot à lait plein devant chez la mère Thomineau, nous contrôlions qu’il était bien fermé. En effet, cette voisine de la famille Lesfontaines, avait la fâcheuse habitude de cracher à qui mieux mieux et nous l’avions surnommée Marie crache dans le pot. C’est pourquoi, dès que l’une de nous deux la voyait ,elle murmurait :
" Attention Marie crache dans le pot en vue."
Nous avions alors un regard complice et après lui avoir adressé un bonsoir hypocrite, imposé par nos parents, nous laissions libre cours à notre hilarité.
Nous allions aussi chercher le beurre à la ferme Ridard située, elle, à 500 mètres également de chez nous mais dans la direction opposée sans oublier d’emmener le beurrier en terre pour la semaine suivante.
Pour ses courses, maman se ravitaillait auprès des marchants ambulants ou dans différents petits commerces de la commune. Il y avait la boucherie Bécan et quatre épiceries : une était située à Beauséjour, celle de Madame Simon, et les trois autres au bourg distant de 500 mètres environ. Le magasin A et O qui faisait épicerie ,dépôt de pain, tenu par M et Mme Lecorvaisier, le magasin SPAR par M et Mme Corvaisier et l’autre épicerie par madame Brassier, la sœur du docteur. Nous, nous allions surtout chercher le pain. J’aimais bien qu’on me confie cette tache, car le pain était pesé et, si il manquait du poids, on me donnait un petit morceau en plus que je grignotais sur la route du retour.
Mais la plus dure de nos corvées était d’aller chercher du fuel pour le chauffage. Nos parents n’ayant pas de cuve de stockage, nous devions aller en chercher à la station TOTAL (7) tous les deux ou trois dans un vieux jerrican de l'armée américaine qui pouvait contenir dix litres et nous coupait les mains.
Pour les vêtements, deux fois par an, Maman nous en achetait quelques uns au camion du « Vrai Gaillard ». Nous avions droit à un sarrau (8) au mois de septembre pour aller à l’école et à une tenue à Pâques que nous gardions comme tenue du dimanche. Les autres vêtements nous étaient souvent donnés par la famille Sauvé, la famille Chenard ou le secours catholique, car toutes les dépenses étaient comptées.
Un jour je vis dans la vitrine de Mme Brassier de nouveaux bonbons à 10 centimes. C'étaient de belles sucettes rouges en forme de cerise. Je les regardais avec envie et ne pus m’empêcher d’en parler à maman en rentrant déjeuner le midi. Avant de repartir à l’école, elle me dit :
" Tiens voilà l'argent pour ton bonbon."
J’étais folle de joie car les seules fois où maman nous donnait une pièce c’était pour payé la galette que notre voisine d’en face, Madame Lemétayer nous faisait en y ajoutant le morceau de beurre que nous apportions.
En chemin, je lançais ma pièce en l’air et la rattrapais puis je recommençais jusqu’au moment où elle tomba dans la haie du voisin. A travers mes larmes, je cherchais ma pièce avec frénésie. Mais l’heure passait et je devais me résoudre à rentrer à la maison pour prévenir Maman.
En l'apprenant, Maman me dit :
« Tant pis pour toi, il fallait faire attention ! »
Mais je ne l’entendais pas de cette oreille et me mis à pleurer encore plus fort. Maman à bout d’arguments , me donna une bonne trempe (9), puis m’attrapa sous son bras et m’emmena manu militari dans la salle de bain où elle me fît prendre une douche froide. Je me calmai instantanément et Maman aussi. Le climat apaisé, elle me fît me changer, tressa mes cheveux mouillés et m’envoya à l’école. En arrivant dans la cour, la maîtresse me dit étonnée :
« Tu as fait un shampoing ? »
Je me contentai d'acquiescer d'une petite voix.
Mais ce n’était pas fini. A la récréation de l’après midi, je vis ma mère arriver d’un pas décidé et se diriger vers ma maîtresse. Elle lui raconta tout et m’appela. Et là, j’eus la honte de ma vie. Devant un corps professoral visiblement gêné par la tournure que prenait les choses, Maman me fit m'agenouiller au milieu de la cour, les mains derrière le dos. Il fallut ensuite que j’embrasse le sol en signe de soumission et que je lui demande pardon…
Nous étions habituées à recevoir des gifles, car maman avait la main leste (10) comme elle disait mais cette humiliation fût plus dure à accepter que n’importe quelle raclée. Je fis l’expérience de sa façon de nous corriger bien des fois mais une autre me reste en mémoire .
Au cours d’une visite chez la famille Lesfontaines, j’observais notre voisine et tout d’un coup quelque chose me frappa : elle avait des poils au menton et sous le nez. Je demandai alors naïvement :
« Maman ,pourquoi elle a de la moustache Madame Lesfontaines? »
Ma réponse fût une taloche accompagnée d’une invitation à aller dehors sur le champ.
Je retournais jouer avec Pierre craignant que maman ne s’énerve davantage et me donne un coup de silette (11) en rentrant.
Une autre personne dût faire les frais de la violence dont pouvait faire preuve notre mère.
Monsieur et Madame Lesfontaines, originaires de Romillé, avaient gardé contact avec un ancien voisin, Roger Larcher, qui venait souvent voir Marie-Thérèse, leur fille aînée. Alors qu’ils discutaient tous ensemble, le visiteur commença à critiquer notre mère. Marie-Thérèse le rapporta naïvement à maman qui le prit très mal et jura d’éclaircir les choses.
Alors que ce monsieur passait en mobylette devant notre maison, Maman lui fît signe d’arrêter ce qu’il fît sans méfiance. Elle se mit alors à cheval sur la roue avant de sa mobylette pour l’empêcher de partir, et lui demanda des explications. Embarrassé, il ne répondit rien. Son silence signa ses aveux pour notre mère qui lui retourna une paire de gifles bien sonnées en lui disant :
« Maintenant ne t’avise plus jamais de baver sur moi. »
(1) C’est au cours d’une de ces sorties que Jean Claude et papa «oublièrent » le fameux copain sur un pont à Dinan. Étant malade il avait demandé à papa de s’arrêter. Croyant qu’il était remonté, papa démarra. C’est notre frère qui s’aperçut de son absence en voyant que son copain ne participait plus à la conversation.
(2) Jacqueline est née le 5 mars 1964.
(3) A chaque Toussaint ,nous nous rendions sur la tombe de Jean Paul .Nous avons donc su très tôt que nous avions un petit frère de mort à l’age de 9 mois.
(4) Les ceintures de sécurité n’existaient pas,elles ont été obligatoires à l’avant des voitures le 1er juillet 1973 et à l’arrière le 1er octobre 1990.
(5) La vraie définition étant : nocive dangereuse cela me semble très inapproprié.
(6) Je ne suis pas prête, pose donc ton pot a lait sur le banc.
(7) Cette station TOTAL est devenue, par la suite, une station théâtre.
(8) Un sarrau : une blouse
(9) Trempe : raclée
(10) Avoir la main leste : frapper facilement
(11) Une silette est une petite branche fine à laquelle on a enlevé les feuilles tout en en gardant quelques unes formant un bouquet à son extrémité, cela remplaçait le martinet.
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