Chapitre 43 – Guerre planétaire
Mercredi 30 novembre 2022
Malgré les trois milliards de morts dus au maléfice viral de Jaouira, la transition se passa plutôt bien. Durant les dix jours qui suivirent, l’ensemble de la communauté magique se mobilisa pour former les nouveaux venus au contrôle du chakra. Cours collectif, VOD ou bien visioconférence, tous les moyens possibles et imaginables furent mis en œuvre afin que l’adaptation se déroule au mieux.
Grâce au lien établi avec leurs récents sujets, Kieran fournit aux spectres une liste longue comme deux continents de personnes à éliminer. Il s’agissait pour la plupart d’individus dont l’Utopie n’avait pas besoin. Pédophiles, maquereaux, tueurs en série ou autres criminels du genre, même ceux qui étaient également inconnus des services judiciaires.
Ce que les humains ignoraient, c’est que la communion rendait les rois conscients de leurs pensées et donc, des secrets de chacun. À la faveur de son affinité avec la lecture mentale et l’assistance d’Alexa, le cadet se donna la mission de faire payer tous les monstres encore en liberté.
Warren lui, s’affairait à son projet de terraformation, pendant qu’Enlil et Kelly distillaient leur propagande d’un plateau de télévision à l’autre, en compagnie de Darrius.
Ces quelques jours suffirent pour que le nom des Darck soit sur toutes les lèvres. D’ailleurs, je te propose, à toi lecteur, de te faire revivre l’interview de l’aîné par Oprah Winfrey.
— Très chers téléspectateurs, comme l’ensemble de la planète, vous attendez l’interview-vérité de notre Empereur, le fabuleux Enlil Darck.
Micro en main, elle se mit à applaudir, exhortant le public à suivre le mouvement. Les trois cents novices, assis sur les sièges confortables de la salle de spectacle de la Maison-Blanche, entrèrent en liesse.
Majestueux dans son costume sur mesure immaculé, c’est d’une attitude sereine que l’invité sortit pieds nus des coulisses. Tout en saluant chaleureusement ses sujets, Enlil rejoignit l’animatrice. Dans la tribune présidentielle, il aperçut ses parents en grande conversation avec le couple Obama. D’une pensée, il intima le silence à l’auditoire, porta son attention sur l’assistance puis, d’une voix suave, il déclara :
— Merci pour votre accueil, cela me réchauffe le cœur. C’est un plaisir et un honneur de me trouver en votre présence, Miss Winfrey.
En bon comédien, il s’approcha de son hôte et la serra dans ses bras. L’accolade dura à peine quelques secondes, mais cela suffit à raviver l’engouement des spectateurs. Oprah guida son invité jusqu’aux fauteuils placés au centre de la scène puis, d’un claquement de doigts, Enlil fit apparaître une bouteille de champagne millésimée et ses accessoires. Entre les mains du public et des téléspectateurs adultes transparut une coupe. D’un timbre ensorcelant, il s’adressa à l’animatrice :
— Et si on commençait par trinquer à cette nouvelle ère, Miss Winfrey ?
Son regard se planta sur la caméra et il leva son verre, avant de le vider d’une seule traite.
— Vous êtes assurément un phénomène, Monsieur Darck ! Hier, vous étiez inconnu du monde et aujourd’hui, il vous appartient. Seriez-vous des dictateurs ?
Elle n’avait décidément pas froid aux yeux et c’était la raison pour laquelle Enlil avait sélectionné cette femme fabuleuse pour se livrer.
— Nous n’avons rien fait que vous n’ayez réalisé, ma chère amie ! N’avez-vous pas conquis la société ? Ne possédiez-vous pas plus de force de conviction que les plus grands politicards ? Votre influence s’étendait sur l’ensemble de la planète.
Son rire condescendant résonna dans la salle.
Jambes croisées, appuyées sur le fauteuil, soutenant son menton de sa main, elle fixa d’un œil étréci la figure royale. La fascination d’Oprah était si convaincante qu’Enlil se demanda si elle simulait.
— Vous éludez le propos mister Darck ! Vos nouveaux sujets doivent être sûrs de vos desseins. Comprenez que notre style de vie s’est effacé du jour au lendemain sans avertissement. Les gens vous ont fait confiance, je considère qu’il est justifié de connaître vos intentions envers le monde.
Enlil dégaina son sourire carnassier. Il s’était assuré qu’elle clarifiait son interrogation afin de clore définitivement ce sujet. Il contempla la caméra, laissa planer quelques secondes de blanc puis, d’une intonation profonde, il dit ceci :
— Vous posez la mauvaise question, ma chère Oprah, mais je vois où vous voulez en venir. Il reporta son attention sur la présentatrice : nous n’avons rien de commun avec les dirigeants que vous avez eus ! Les frères Darck sont rois au sens le plus littéral du mot. Ce monde est notre propriété et nous vous permettons d’y vivre. Nos lois s’appliquent tout comme nos coutumes et traditions. Avec ou sans la menace du maléfice, je vous aurais finalement conquis et votre espèce aurait été anéantie. Réjouissons-nous que cela n’ait pas été le cas.
Oprah blêmit, le public resta muet de stupeur. Chaque téléspectateur perçut la conséquence ultime de son acceptation. Barack et Michelle, curieusement, ne semblèrent pas surpris. Ce dernier se pencha vers Kelly et murmura :
— Si on m’avait dit que le morveux qui terrorisait le palais deviendrait un tel maître de la manipulation, je l’aurais cru sans hésitation. Ton garçon a toujours eu l’art d’imposer son autorité.
Michelle, qui écoutait, intervient à son tour :
— D’ailleurs, ma chère Kelly, j’avoue bien me souvenir que nos professeurs te mangeaient dans le creux de la main. Tu les terrifiais !
— Ma chérie, soit on est une femme de pouvoir, soit une Alanine décréta Kelly avec un rictus narquois, qui fit rire l’ex-couple présidentiel.
Elle recentra son attention sur le speech de son fils :
— (…) Mais en l’occurrence, vous êtes mes sujets. Tant qu’aucun d’entre vous ne pose de problèmes, nous n’aurons pas à sévir.
D’une impulsion mentale, Enlil ordonna au chauffeur de salle de faire applaudir le public, histoire de redonner du dynamisme à l’émission. Bêtes et disciplinés, ceux-ci s’exécutèrent.
Miss Winfrey leva les yeux vers le plafond, faisant mine de réfléchir. Enfin, d’une légère torsion du cou, son regard se fixa sur le roi. Elle afficha un sourire aveuglant et enchaîna, appuyant chacun de ses mots :
— Christian et Karl Lagerfeld, ça vous parle ?
— Bien sûr ! De vieux amis de la famille, que souhaitez-vous savoir à leur propos ?
— Donc certains d’entre vous vivaient…
Quand soudain, un hurlement angoissant éclata.
De nouveaux rugissements retentirent. Enlil expédia immédiatement un orbe de lumière en direction des cris, mais l’atrocité à laquelle il se retrouva confronté lui fit regretter son geste. L’être immonde de ses songes s’extirpait d’un homme agonisant tout en le dévorant de l’intérieur. Béant, le thorax laissait dégouliner intestins et autres organes. Enlil, au bord de la nausée, analysa l’environnement. Une dizaine de personnes dont les yeux imploraient la venue de la mort donnaient naissance aux ignobles entités.
— Évacuez sur-le-champ ! rugit-il, la voix amplifiée par sa magie, tout en indiquant l’énorme vortex qu’il avait invoqué.
Tous étaient tétanisés par la peur.
— Faites ce qu’il dit ! hurla Oprah dans son micro.
Avec un empressement digne des films catastrophes, la foule surgit de sa torpeur et s’engouffra dans le maelström. Voyant que la présentatrice gérait les choses, Enlil décida de s’occuper des créatures qui étaient presque extraites de leur cocon moribond.
Darrius et Kelly apparurent alors face aux êtres hideux à leur gauche, tandis que les Obama affrontaient ceux de droite, le laissant avec quatre adversaires à combattre. L’une des immondes bêtes s’était redressée et avançait maintenant droit sur lui. De son humanité ne subsistait que sa carcasse démembrée. Son pas lourd et son regard sombre, exhalant des relents de moisissure, glaçaient le sang. La mâchoire béante aux multiples rangées de crocs, effilés comme des rasoirs, encore rougie de l’hémoglobine de son ancien hôte, bavait de plaisir à l’idée de le déchiqueter.
Le roi canalisa une sphère d’énergie dans sa paume, leva son bras en l’air, puis moula le chakra focalisé en un disque à dents de scie. Il fallait faire vite : les créatures commençaient à se regrouper et elles seraient bientôt assez proches pour décimer ce qui se présenterait devant elles. Tout en évitant leurs griffes aiguisées à coups de sauts périlleux, Enlil largua son attaque. Guidé par sa pensée, le cercle létal faucha les bêtes les unes après les autres.
Mis à part le fait qu’ils soient couverts de restes démoniaques, ses acolytes s’en étaient également débarrassé avec facilité. Soudain la voix de Kieran résonna dans sa tête :
« J’ai vu ce qui vient de se passer en direct. Ce n’est pas un cas isolé, ces créatures nous ont été signalées partout sur la planète. »
« Dépêche immédiatement les spectres et l’armée impériale là où c’est le plus urgent et confie la supervision des opérations à Andromède. Warren, je suppose que tu nous écoutes ! »
« Affirmatif ! »
« Trouve un moyen d’évacuer rapidement la population jusqu’à la cité. »
« Impossible, le sortilège fondateur ne peut atteindre Khalarie pour une telle quantité d’individus, il ne tiendra pas. Mais j’ai une autre idée, ne t’inquiète pas. »
Enlil mit fin à la communication, cueillit l’une des carcasses, puis se rua dans son vortex. Parvenu à destination, il confia la dépouille à Nick, qui passa de longues heures à l’autopsier.
**
Cela faisait maintenant plusieurs heures que l’entité mortifère avait libéré ses meutes sur la planète. Novice en maîtrise de chakra, l’armée impériale, sous la tutelle d’Andromède, brillait par son courage. Bien entendu, cela engendra de nombreuses pertes, tant pour les civils que pour les soldats.
À l’instant où la première des Darck posa son regard sur une des carcasses, elle identifia « la Chose », qu’elle n’avait que trop affrontée pendant la guerre paramissienne : « Les Gogs nés de l’essence même du Néant ». Savoir comment il avait réussi le tour de force d’inséminer les humains restait un mystère qui les préoccupait.
Les membres du clan s’occupèrent des zones les plus critiques. Malgré l’épuration des troupes du Néant, les créatures continuaient d’arriver, encore et encore. Selon les estimations, elles se comptaient par millions. Ces Gogs semblaient s’être organisés pour les empêcher de régner, il fallait faire vite et reprendre le contrôle. Soudain, une autre nouvelle tomba : les réseaux d’eau potable paraissaient être victimes d’une malédiction, rendant le précieux liquide mortel. Destructions, cadavres éparpillés dans les rues, la désolation se répandait et terrorisait les Terriens. Même les animaux de zoo, désormais en liberté, déstabilisés par la situation ou à moitié dévorés, pulvérisaient tout ce qui se trouvait sur leur passage.
Brusquement, en fin d’après-midi, un épais nuage noirâtre apparut dans les cieux. Néant voulait pervertir la Terre, devenue son effroyable domaine.
Au milieu d’une place noire de poussière se tenait Kieran, recouvert des restes putrides de Gogs qu’il avait supprimés. Cela faisait déjà trois bonnes heures qu’il envoyait ces hideuses créatures à la mort. Pourtant, il en arrivait toujours plus. Bien que pour le cadet, elles soient faciles à éradiquer, l’effort commençait à se faire sentir. Il balança une autre salve de glace sur le petit groupe à sa gauche, qu’il découvrit occupé à engloutir une famille malchanceuse. Les soldats du Néant, sous le coup du gel, hurlèrent à l’unisson, brisant au passage les quelques vitraux qui avaient survécu jusque-là.
Résigné, le roi observa l’environnement. Malgré son acharnement à tenter de préserver la principauté monégasque, il ne subsistait plus rien de la majestueuse cité. Nombre de victimes jonchaient les pavés de la cour du palais princier. Des flammes venues du Néant, noires comme de la suie et chaudes comme de la lave, léchaient goulûment chaque recoin du somptueux édifice. Écœuré par le spectacle, il invoqua son vortex.
Son apparition dans la salle du trône, devenue le centre de commandement de la force impériale, tranquillisèrent les Khal, s’affairant à résoudre cette crise sans précédent. Il profita des regards braqués pour donner de nouvelles directives :
— Alexa, retransmets mes propos dans l’ensemble de Khalarie.
— Roi Kieran, le direct est activé.
— Mes chers amis, j’ai conscience que la circonstance est épouvantable. Vos seigneurs ont connaissance de votre valeur et du courage dont vous savez faire preuve. Je ne vous cacherai pas que la situation à l’extérieur de Khalarie est critique.
À chaque minute qui passe, les Gogs font des milliers de victimes (quelques pleurs réprimés affectèrent ses oreilles. Le cœur lourd, Kieran garda le silence quelques instants). Peu de nos récents sujets sont capables de créer un maelström.
Bien que vous soyez des civils, face à l’horreur qui se déroule sous vos yeux, je sollicite votre assistance. Équipez-vous de charmes protecteurs et en attendant que le roi Warren achève son projet, partez sillonner la Terre afin de rapatrier le plus de survivants possible jusqu’aux portes de notre cité. Relayez la mission par télépathie, mobilisez votre entourage, soyez prudent et j’ordonne à chacun d’entre vous de revenir en vie.
Installé dans le couloir aux portraits, Warren entendit le discours de Kieran résonner dans l’ensemble du palais. Il guetta la fin et le contacta :
« Il me faut deux heures, tu penses qu’ils pourront tenir ? »
« Avons-nous le choix ? Le reste du clan est occupé à combattre. Je supervise le plan de sauvetage. Toi, fais au plus vite, car sans vouloir te mettre la pression, la vie de milliards de personnes ne dépend plus que de ton génie. »
Pris par le temps, le benjamin coupa la communication. Désormais seul dans la salle du trône, Kieran rejoignit son beau-frère dans le laboratoire de Green Hood. Le macchabée rapporté par Enlil reposait sur un autel de karistal. Programmé avec l’aide de l’Intelligence magificielle, l’artefact analysait le patrimoine ADN de la bête. Affublé d’une blouse blanche, Nick tournait autour de la table de nécropsie, déclamant ses conclusions sur un ton professoral :
— … le cadavre est composé d’un tissu organique inconnu, la fumée recouvrant la créature avant sa mort semble s’être dissipée. La dépouille comporte les caractéristiques physiques d’un humanoïde. La décomposition cadavérique est absente, aucun signe de putréfaction. Le corps est fiévreux au toucher. On constate l’existence d’hypochromies au niveau du cou et du torse ainsi qu’à l’arrière des jambes, présence post-mortem. Les iris sont inexistants. Les pupilles sont dilatées et mesurent quatorze millimètres. Alexa, stoppe l’enregistrement. Kieran, que me vaut ta visite ?
— Plutôt que de m’épuiser dans des affrontements sans fin, j’ai préféré aborder le problème sous un autre angle. Tu as trouvé quelque chose ?
— Par un processus que je n’ai pas encore déterminé, les humains ont été inséminés à partir de l’essence de notre ennemi. Jusqu’à la transition, cette chose dormait. La procédure a permis aux Gogs d’engager la phase de maturation qui est de dix jours. Nous pouvons ainsi être sûrs qu’ils ont tous éclos aujourd’hui.
Sous le regard de Nick, Kieran, silencieux, faisait les cent pas. Commençant à connaître son beau-frère, il l’abandonna à sa réflexion. Mais subitement, s’arrêta, entra dans une rage démente et se mit à bombarder les sous-sols de sphère givré. Surpris, Nick sursauta et se mit à l’abri.
Après cinq bonnes minutes de colère et laissant son laboratoire dévasté, Kieran redevint égal à lui-même et, d’un claquement de doigts, restaura l’endroit.
— Tu peux sortir de ta cachette. Je suis désolé d’avoir pété un câble, mais je viens de comprendre comment le Néant s’y est pris pour infiltrer notre armée.
Kieran s’évapora et réapparut dans ses appartements. Le mur derrière sa tête de lit s’étant laissé traverser, il fouilla partout et dénicha, au milieu de ses trésors, une fiole renfermant une volute de fumée obscure. Il s’en saisit et retourna auprès de Nick. Se plantant devant lui, il lui expliqua :
— Voici la « Voluté ». Arrivée sur le marché, il y a deux ans, l’informa Kieran en lui tendant la substance.
— Quels sont ses effets ? le questionna Nick, tout en le confisquant.
— D’abord, tu te tapes le trip de ta vie, puis tu es immunisé contre toutes sortes de drogues. Du genre, sevrage permanent.
— OK, je vois. Mais tu n’y es pour rien ! Personne n’aurait pu prévoir un tel truc. Cela signifie que le projet de Néotolc était en réalité un plan du Néant, ayant pour but de vous obliger à transformer les humains en sorciers afin de faire naître ses rejetons.
N’ayant plus rien à faire ici, Kieran retourna sillonner la Terre à la recherche de survivants. Compte tenu du nombre grandissant de personnes trouvant refuge dans le Sahara, il jugea plus prudent de placer un bouclier protecteur sur l’ensemble du désert. Il appliquait le point final à son œuvre, lorsqu’il capta une communication télépathique du benjamin, l’informant qu’il avait besoin de lui immédiatement. Kieran s’exécuta, rejoint devant les miroirs trinitaux par le reste du clan.
**
Warren, face à l’urgence de la situation, avait mobilisé tout son savoir-faire et son génie.
— Andromède et Merzhin, vous vous tiendrez derrière nos reflets et les saturerez de chakra pour stabiliser l’holo-matrice que j’y ai intégrée. Ne flanchez pas, la puissance que nous générerons ne doit pas fluctuer.
— Bien, répondit le couple en chœur.
— Maman, tu figeras le temps sur l’ensemble du globe, dès l’instant où nous entamerons la procédure. À la seconde où nous reviendrons au sol, tu relâcheras ton emprise. Quant à toi, papa, tu joueras le rôle d’un pont spirituel.
Warren lui lança un objet. D’un geste vif, le vampire s’en saisit.
— Ceci est le Magistybole ; il permet de créer n’importe quel symbole à partir de l’esprit. Pour le coup, tu penseras au Triskel trinital.
Entendre son plus jeune enfant l’appeler papa pour la première fois toucha Darrius. Ce mot innocent suffit à conjurer la mélancolie provoquée par les incidents précédents. Les yeux débordant d’admiration pour ses fils, il s’installa au centre des reflets tandis que la Trinité l’entoura. Warren vérifia que tout était en place et entama la procédure :
— Nous allons réveiller le Cercle. Vous vous retirerez pour me laisser le contrôle total de la source de nos pouvoirs. Nick, à ce moment-là, tu inséreras la clef dans la tanzanite.
Ils acquiescèrent et joignirent leurs mains. L’activation embrasa leurs chakras. Recouverts de leurs éléments, ils lévitèrent jusqu’aux hauteurs du palais et un vent léger se mit à souffler en continu.
Kelly, qui se tenait sous le portrait de son père, expulsa une vague de magie temporelle qui submergea l’ensemble de la planète, figeant tout sur son passage. La première des Darck et l’enchanteur drainèrent dans leurs paumes l’énergie mystique nécessaire. Darrius pointa le stylet sur le sol en marbre, ferma les yeux et visualisa le symbole. Une lueur parcourut son bras, s’infiltra dans l’accessoire fourni par le plus jeune, puis imprima un Triskel mordoré sous les pieds du vampire.
Le « D » apparut face à Warren, ouvrant ses pages à « l’ultime Formule ». Les frères entamèrent une lente rotation. Le dernier-né commença sa psalmodie, tandis que les deux autres se retiraient au plus profond d’eux-mêmes.
« J’invoque la venue à travers l’espace-temps, le pouvoir des rois d’antan et de leurs descendants : mères, filles, sœurs, maris, frères et femmes.
Notre esprit de famille restera uni.
Et ensemble ! Chacun à notre place ! Déportons-nous dans un nouvel Atlas. »
Un vortex en lien direct avec l’entre-deux-mondes s’incarna au-dessus d’eux. La totalité de la lignée d’Ennigaldi et d’Andromède en sortit sous forme fantomatique et, impatiente d’exécuter la mission, se dispersa autour de la planète, aucun d’eux n’aurait cru un tel exploit possible. La force déployée par le magicologue dépassait l’entendement. Warren plongea son âme au cœur de l’émeraude. La connexion des reflets avait eu l’effet escompté, la superficie suffisait à concevoir une reproduction du globe. Le spectre du dernier souverain Darck, vraiment décédé, apparut à ses côtés. Puis Muhammad fut rejoint par ses prédécesseurs. Warren écarta les bras, imités par ses frères. Tandis qu’eux puisaient dans la sorcellerie de l’Univers, lui absorbait celle de la Trinité. Le vide dimensionnel regorgeait de chakra doré. Il poursuivit sa psalmodie, reprise par ses ancêtres :
« Que magie et mirage suivent !
Afin que l’illusion de la Terre vive.
En cette nuit et en cette heure,
Où j’invoque les arcanes supérieurs.
J’en appelle aux anciens pouvoirs.
Qu’ils me prêtent leur force en ces heures noires.
Qu’à travers le temps et l’espace,
Les graines de la vie garnissent cette place. »
En phase avec Warren, les défunts tendirent les paumes, projetant l’énergie accumulée devant eux. Il en pâtissait, car la puissance engendrée faisait bouillir le sang dans ses veines. Son rythme cardiaque s’accélérait. Puis soudain, l’effort le submergea. Il n’avait plus la capacité d’accomplir sa tâche. Sa chair souffrante exigeait son âme. Sentant le point de rupture arriver, il lutta farouchement. Une rage primaire l’envahit et sa haine du Néant imprégna le moindre centimètre de son être. Il se mit à hurler, ses yeux dorés prirent une teinte émeraude, ses canines se transformèrent en crocs et son pouvoir se décupla.
Dans la seconde qui suivit et dans une explosion aveuglante, une reproduction holomagique de la Terre naquit. La marée créative l’expulsa hors du reflet.
Enlil et Kieran saignaient aussi du nez et des oreilles. Kelly, à genoux, retenait son sortilège avec peine. Darrius, toujours en transe, transpirait abondamment. Laissant leurs corps sur pilote autosorcique, Andromède et Merzhin s’étaient retirés au plus profond de leur esprit.
Les fantômes Darck, encerclant l’astre terrestre, reçurent son injonction télépathique. Grâce à leur volonté, ils ouvrirent un tunnel submagique, raccordant notre espace aux royaumes des morts. Chaque âme qui en émergea se mit à la recherche d’un rescapé et en prit possession, puis invoqua un vortex à la place du novice, le conduisant au même emplacement sur Earth2. Il ne fallut pas plus de cinq minutes pour rapatrier le milliard de survivants.
Puis Warren mit fin à la connexion. Kelly, à bout de forces, guettait le moment propice à la restauration du Continuum. À l’instant où ses fils regagnèrent le sol, elle réabsorba la vague temporelle et le cours des événements reprit. Andromède revint à elle, ordonnant aussitôt aux guerriers de rentrer à la cité. Il n’y avait plus aucune trace d’existence sur la planète, sauf celle d’une entité dissipant un chakra sombrement terrifiant. Cette terre ne portait plus aucun vestige de ce qu’elle avait été ! Cendre et poussière hantaient dorénavant cet enfer stérile, devenu le royaume des Gogs.
Saine comme l’originale à ses premières heures, l’holoplanète ne comportait aucune habitation. Warren souhaitait une toile vierge afin d’habituer leurs sujets à la terraformation qu’il envisageait. Il avait pleinement l’intention de réaliser son rêve, qui consistait à créer un monde enchanté rempli d’une faune et d’une flore où tous respecteraient l’essence de la nature.
Quant aux Darck, ils accusaient le coup d’avoir été manipulés par la Créature mortifère et se réconfortaient en pensant que, sans leur intervention, aucun humain n’aurait survécu au Maléficium lancé par Jaouira. La situation ne pouvant être pire, le clan s’autorisa un peu de repos.
Sur Terre, Khalarie était vidée de sa population. Le dédale de rues, habituellement sonore et empli de vie, résonnait désormais d’un lugubre silence. Avant de rallier Morphée, les rois dépêchèrent les guerriers qui pouvaient supporter le voyage sur Earth2, afin d’en organiser l’occupation provisoire.
Les Darck demeuraient les derniers êtres vivants présents sur le globe. Ils étaient tous plongés dans un profond sommeil, amplement mérité, lorsque de multiples détonations retentirent, les réveillant en sursaut. En moins de temps qu’il n’en fallait pour prononcer « abracadabra », le clan se rejoignit dans le Sanctuaire monarchal. Vestige de la beauté de Dame nature, le Sahara était préservé par le bouclier mis en place par Kieran.
À la limite du Sahara se tenait la totalité des Gogs survivants. L’un après l’autre, ils se fracassaient sur la barrière énergétique. Bien que réduits en cendres, leur sacrifice permettait au Néant d’affaiblir le dôme. D’ici quelques heures, ils seraient à sa merci.
Andromède lança son esprit à la recherche de l’adversaire. Sondant le désert et ses alentours, elle constata que l’ennemi les cernait, mais ne décelant pas sa trace, elle réintégra son corps.
— L’unique issue est par les airs. Des millions de Gogs nous encerclent. La force de frappe de Néant est colossale. Mais lui, où peut-il être ? s’énerva la première des Darck, tapant du poing contre un arbre de karistal qui vola en éclats.
Tout en détournant les projectiles arrivant dans sa direction, Enlil tourna son regard vers son compagnon. Depuis la transition de Nick, un lien exceptionnel s’était établi entre eux, leur permettant de connaître d’instinct les moindres désirs de l’autre.
— J’ai déniché une sorte de fruit sur l’une des étagères du laboratoire souterrain, dont le jus dissout entièrement la créature.
— Dis-moi que c’est une figue d’argent, demanda Kieran l’œil suppliant.
Nick tendit la main et invoqua une projection de sa trouvaille.
— C’est une Larme du Savoir. Je sais où la trouver en abondance. Par contre, récupérer le Figuier de la Connaissance s’avérera compliqué, les mégalithes en bloquent l’accès par vortex.
— Tu parles de Göbekli Tepe ? le questionna Kelly surprise.
— Oui maman.
— Bizarre ! J’ai exploré cet endroit de fond en comble lors de sa découverte et je n’y ai rien décelé d’autre qu’une représentation morbide du sacrifice d’Andromède. Tranquillise-toi, ta prérogative de Roi de la Magie te permet de manier ton chakra dans les zones fantômes. Tu penses que le lieu a survécu au carnage ?
— Si mes analyses sont correctes, cette partie d’Éden a été cachée dans une dimension parallèle. Tu sais quoi ? J’y vais. On verra bien ! déclara-t-il en haussant les épaules.
Il disparut aussitôt. Enlil, qui était resté silencieux jusque-là, prit la parole :
— Andromède et Merzhin, rappelez nos soldats. Vous formerez des brigades que vous attribuerez à chacun d’entre nous. Pour les unités associées à la Trinité, assurez-vous qu’elle ne soit composée que de membres utilisant nos éléments respectifs. Maman, fais pareil avec les civils volontaires. Papa, tu fais la même chose avec les vampires.
— Et nous ? se renseigna le benjamin, heureux de découvrir l’aîné aussi confiant.
— Warren et Nick, penchez-vous sur une méthode permettant d’éliminer autant de Gogs que possible en un minimum de temps. Je dirais que nous avons cinq heures avant que les troupes du Néant soient à nos murs.
— J’ai éventuellement une idée, lâcha Warren sans plus de détails.
L’espoir regagna le cœur de chacun ; Enlil avait su raviver leur flamme. C’est avec empressement qu’ils exécutèrent ses ordres. Tous avaient conscience qu’ils étaient l’ultime chance des survivants.
**
Kieran arriva directement au seuil du temple. Plutôt que d’utiliser l’une des torches abandonnées, il invoqua une sphère de foudre, révélant un endroit sombre et humide. Comme la première fois, il longea l’horrible fresque mettant en scène Diablé Néotolc torturant son ancêtre. Toutefois, alerté par un détail sur la peinture, il se rapprocha pour l’examiner de plus près. À côté d’Andromède agonisante se tenait un petit garçon aux yeux dorés. Le sourire pervers dessiné sur son visage angélique glaçait le chakra.
« Étrange, ce môme nous ressemble comme deux gouttes d’eau. »
Certain que cette subtilité ne figurait pas sur l’image lors de sa première visite, il photographia mentalement tous les ornements de la représentation morbide, puis transféra le souvenir dans une pièce Mémorus, qu’il soumettrait à Alexa pour analyse.
Alors qu’il traversait le tunnel, une odeur de pourriture commença à lui chatouiller les narines. Il dirigea la boule lumineuse au niveau du sol, tapissé de macchabées ne datant pas d’hier. Ne pouvant contacter personne, au risque que le Néant intercepte ses ondes télépathiques, il sortit de sa sacoche, toujours trop pleine d’accessoires, un bloc de Post-its et un stylo :
Cadavres trouvés près de l’entrée.
La mort semble remonter à plusieurs années.
Il y a quelques jours, le lieu était clean.
Vois ce que Nick peut découvrir.
Dans la poche, il y a une pièce Mémorus.
Fais analyser la scène par Alexa.
Il colla le message sur le restant de front d’une victime, puis expédia le trépassé dans son vortex.
— Cremationem, psalmodia-t-il en tendant les paumes droit devant lui.
Deux flammes bleutées gigantesques engloutirent la grotte, réduisant en cendres chacune des dépouilles. Kieran poursuivit son avancée. Arrivé à destination, il eut la surprise de distinguer un individu face au cul-de-sac. Il s’arrêta pour le sonder. La chose qui se tenait devant lui ne dégageait absolument rien. L’étincelle inhérente aux êtres vivants ne brûlait pas en lui… Ou plus.
— Sois pas timide ! Approche, Kieran Darck. Justement, je t’attendais, lâcha-t-il d’une voix qui apparut familière au cadet.
Vif comme l’éclair, il rejoignit la silhouette énigmatique, la saisit par le cou, mais veilla à ne pas trop serrer, afin que cette chose puisse s’exprimer. Puis, faisant glisser son dos le long du rocher, il la décolla du sol. Le type antipathique ressemblait à Suridar. Le souvenir partagé par Andromède le jour de leurs retrouvailles lui revint en mémoire. Bien que cela lui sembla inconcevable, il reconnut Diablé Néotolc. Se retenant à grand-peine de le foudroyer, le ton haineux, Kieran s’adressa au psychopathe :
— Pourquoi ton maître t’a-t-il dépêché ici ?
— Il a besoin d’un objet se trouvant derrière ce mur. Mais malgré mes immenses pouvoirs, je n’ai pas pu déjouer les sécurités du Sage. Il paraîtrait que toi seul, en dehors de l’époux de la Mère, possèdes le don d’infiltrer les vestiges d’Éden.
— Et tu penses que je vais gentiment t’autoriser à pénétrer le lieu ? C’est mal me connaître…
— Je ne ferai pas le poids face à toi, je le sais. C’est pour cette raison que le Néant propose de te rendre la défunte Lyana, tout comme il m’a fait revenir d’entre les morts.
Kieran s’approcha de son oreille et murmura :
— J’ai déjà récupéré ma femme, pauvre con. Et je me félicite qu’elle soit en sûreté. Ton maître semble manquer d’informations.
Sous le coup de la colère, Kieran cracha au visage du trouble-fête, puis resserra sa prise. Aussitôt, le corps se détacha du reste, laissant la tête de Diablé souriante dans sa main. Le sang giclant imbiba le beau vêtement blanc du roi. Enragé d’être sali par cette misérable engeance, Kieran balança la tête avec force sur la paroi pierreuse. Il suivit du regard la cervelle éjectée par la boîte crânienne lors du choc. Celle-ci voltigea, puis ricocha au sol, s’enduisant de cendres des trépassés calcinés.
Il pressa sa paume contre la roche froide :
— Veritas, chuchota-t-il.
Son aura tanzanite l’engloba entièrement, se propagea au minerai, qui se tapissa d’un pentacle d’une couleur similaire à son chakra. Un reflet dimensionnel apparut. Le luxuriant Jardin semblait encore plus magnifique que dans son souvenir. Il invoqua une multitude d’amphores en platine. D’un geste de la main, il dépouilla le figuier de ses larmes, qui vinrent se ranger délicatement dans les contenants. Ne pouvant se résoudre à laisser ce nirvana sur place, il mobilisa toute la magie à sa disposition et transféra la totalité du paradis sur Earth2, à l’emplacement exact que celui qu’il occupait sur la planète originale.
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