Épilogue
Trois semaines plus tard.
Rarement matinale, la princesse Kayna se leva bien plus tôt qu’à l’accoutumée. Warren la conviait au palais Paladium afin de l’assister dans une nouvelle prouesse magicologiques. Depuis que l’ordre universel était instauré, le temps lui paraissait bien long. Elle rêvait de méchants et de cataclysmes à déjouer.
Elle doutait que son tonton chéri soit une distraction suffisante ; mais bon, qu’avait-elle de mieux à faire ? Digne héritière de Kelly Darck, elle porta une attention particulière à sa tenue puis, majestueuse, elle quitta ses appartements.
Ravis de sa visite, les portraits du couloir s’inclinèrent en moult révérences. Elle les gratifia d’un sourire et poursuivit son chemin vers la salle du trône, où l’attendait un gargantuesque petit-déj.
Elle savoura le fait de circuler ici même, en ce lieu sacré. Exilée dans le passé afin d’être protégée, jamais elle n’avait pu jouer et courir entre ces murs. Elle aurait adoré grandir au sein du fief de ses ancêtres. Pour Lya cependant, il en serait autrement et cela lui fit oublier ses regrets.
Reconnaissant son autorité, les battants de bois blanc s’écartèrent. Ses parents et sa petite sœur se trouvaient déjà sur place. Dans un premier temps, elle enlaça affectueusement Kieran, puis alla poser sa tête contre la poitrine de Lyana, qui l’embrassa sur le front. En adoration devant Kayna, Lya se transposa impérieusement dans ses bras.
— Préviens la prochaine fois, vilaine !
— Lya pas vilaine ! C’est crop rigolo ! dit-elle avec un grand sourire.
— Tu viens avec Kayna, chez tonton Warren ?
— Papou dire pas OK, pense que Lya sorceline.
Confrontés à sa mine comique et boudeuse, ils ne purent qu’éclater de rire. Après ce tendre moment et un copieux déjeuner, l’heure du départ se profila. Elle ne comprenait vraiment pas pourquoi ils s’inquiétaient autant ; elle avait juste à invoquer son vortex pour rentrer. Elle les rassura et franchit son maelström.
Warren aurait dû l’attendre sur l’astéroïde figé, mais connaissant parfaitement son oncle, elle ne doutait nullement qu’il l’avait zappée, bien trop absorbé par sa récente découverte. Il n’y avait personne non plus sur les ondes télépathique. Elle tenta de contacter Enlil, mais les vibrations se répercutèrent sur un bouclier, loin de son niveau de compétence, pourtant très étendu.
— Y a quelqu’un ?
Eurymion s’exila de la plus haute tour et fusa auprès de la sorcière. Il suffit que leurs regards se croisent pour qu’une symbiose de leur âme s’établisse. Tous deux scintillèrent intensément, puis le phénomène s’estompa.
— Je patientais de te rencontrer depuis des siècles, ma douce Kayna !
— Eurymion ! Comment puis-je me souvenir de toi, alors que je ne te connais pas encore ?
— C’est précisément la raison de ta présence ici.
Kayna pointa son index sur le fief des célestes. Elle savait que l’étang aux eaux violines la conduirait en Khalarie, si besoin.
— C’est justement notre destination !
Kayna grimpa sur son futur ami retrouvé. D’abord angoissée au décollage, la sensation lui parut rapidement familière. Planer parmi les spirales galactiques l’enchanta. Découvrant le panorama, Kayna demeura muette d’admiration. Son arrivée au palais Paladium, qu’elle avait toujours rêvé de visiter, la stupéfia, à la fois par son charme et par la puissance qui se dégageait des fondations.
Soudain, le silence pesant la frappa. Où étaient les ingénieurs, architectes et hommes de lettres recrutés par le Roi ?
Alors qu’elle s’interrogeait, elle crut distinguer du coin de l’œil une traînée dorée et elle la suivit. Une chose très rapide la devançait. Kayna puisa un peu plus dans son chakra et sa vitesse décupla. Désormais au coude à coude avec la créature, elle la discernait mieux. Quelle ne fut pas sa stupéfaction d’identifier Gold. Profitant de sa surprise, il lui attrapa le bras et les propulsa tous deux dans la salle du trône.
Avec élégance, il ralentit leur avancée puis les fit s’arrêter sous la représentation de la Voie lactée. Téméraire, Kayna para ses poings de lueurs ambrées et, sur la défensive lança :
— Que me veux-tu ?
— Ne t’inquiète pas, tout ira bien ! Tu comprendras sous peu.
Dotée d’un instinct inné pour flairer le danger, elle ressentit sa sincérité. Cela faisait à peine quelques minutes qu’elle se trouvait en sa compagnie que déjà, sa démarche, ainsi que ses manières paraissaient familières.
— Où sont passées les célestes ?
— Je les ai tous tués. C’est ce qui m’a valu le statut de traître. Certains travaillaient pour l’ennemi.
— Je vois ! Puisqu’on y est, comment as-tu pu œuvrer parmi les Puissances supérieures sans qu’on sache qui tu es ?
— Cela fait partie des secrets que je vais te révéler !
Silencieusement, ils parcoururent la distance les séparant des trônes des Hoods.
— Tanguy, active-toi.
La pièce se mit à luire, de bleu, de vert et de rouge. Puis l’hologramme d’un grand rouquin à l’air perdu se manifesta.
— Enfin, il n’était pas trop tôt ! J’ai bien conscience que je suis que poussière et insignifiance dans ce monde ou rien n’a de sens…
— Hum ! Hum ! s’énerva Kayna ! D’où sort ton IM à la noix ?
— C’est le fils d’Alexa. Ne te laisse pas avoir par sa banalité. Tanguy, lance le tempo !
Au-dessus de Tanguy émergea un nuage bardé d’éclairs, pleurant de tristesse. Puis, à ses côtés, apparurent l’hologramme d’un piano, signé Fazioli Brunei. S’élançant dans une symphonie hypnotique, il éveilla tout le chakra du palais Paladium.
Le laiteux du cumulonimbus vira au rubis ; ses murs d’onyx brillèrent d’émeraude ; son sol rutilant scintilla de tanzanite et, en conclusion, la carte de la Voie lactée irradia d’or. La magie s’extirpa des contenants pour former une énorme sphère au centre de la salle, qui se mua en un grimoire géant. Sur sa jaquette, jaunie par l’usure, en lettres d’or, s’inscrivait « Les Prophéties de Lois Livre I ».
Sa mission accomplie, Tanguy s’estompa.
Kayna n’en revenait pas, il s’agissait de la couverture de l’originel ! Guidée par une intuition prémonitoire, la sorcière claqua des doigts… le restant du recueil revêtit une taille adaptée et dans un « plop » sonore, émergea entre ses mains. Au moment où elle effleura son cuir de dragon, il s’ouvrit, l’inondant de lumière. Alors, le tome conçu dans les temps jadis reprit sa splendeur d’antan et s’emplit des pages contant sa mémoire, son imagination, auxquelles s’ajoutèrent ses sentiments !
Kayna perdit son aura et, dans la foulée, s’écroula. Gold vint vers elle et la rattrapa une seconde avant qu’elle ne touche le sol. Stupéfiée par la vitesse d’exécution, elle lança une œillade de Créatrice, fidèle à l’originale, le sommant de s’expliquer.
Le Capuchon d’or fut ôté et le fait de lire tant d’incompréhension dans le regard de sa nièce le bouleversa :
— Quoi ? Comment ? Fit-elle ; les yeux grands ouverts.
— L’histoire première n’a rien à voir avec la vôtre. Il y a longtemps pour moi désormais, le Néant a été vainqueur et les nôtres se sont sacrifiés afin de nous sauver tous les deux. J’étais encore jeune, arrogant et incapable de m’occuper d’une adolescente. Il m’a fallu changer, apprendre ! Durant des décennies, alors que le Néant détruisait la Création à petit feu, je m’efforçais de trouver une façon d’arranger les choses ; en vain… Mon obsession devint aussi la tienne et, de concert, nous avons enfin conçu Les Prophéties de Lois. Malheureusement, le sortilège n’avait d’essence que pour un voyageur, et à mon insu, tu l’avais prévu. Mis devant le fait accompli, je n’eus d’autre choix que de t’abandonner à une mort certaine.
La douleur peinte sur son visage chagrina Kayna ; voyant qu’il se perdait dans de noirs souvenirs, elle le tira de sa réflexion :
— Et ?
— Donc, j’ai remonté le temps, jusqu’à l’instant où nous allions périr et j’ai fait surgir notre création entre les mains de mamie. Ainsi, elle les a absorbées et, avec une chance de triompher, tout recommença. Toi, en véritable petite maligne, tu avais pris soin d’y inscrire un charme reproducteur afin de leur accorder plusieurs essais et leur laisser la possibilité d’ajuster tes écrits. Aujourd’hui, il ne reste de l’originel que sa jaquette. Grâce à ton esprit, encore une fois, tu rédigeras les Prophéties de Lois. Au nom de ton statut de maîtresse du Grimoire, toi seule peux conclure l’enchantement ; et c’est ce que tu viens d’accomplir.
— Si j’ai bien compris, t’en as aussi profité pour créer un moyen de sauver ton frère du Néant. Comment as-tu su ?
— Il s’agissait simplement de la pire des probabilités !
— Et maintenant ?
— Il semblerait qu’à chaque fin d’histoire, l’exemplaire trouve refuge dans une réalité alternative, devenant une œuvre de fiction populaire. Quant à ma présence, cette capuche détient de fabuleuses capacités ; je te laisse les découvrir.
— Je suppose que les gens du palais ne courent aucun danger ?
— Ils dorment paisiblement dans le laboratoire secret.
— OK, cool ! Tu rentres avec moi ?
— L’inécrit ne peut exister ! Tout ira bien, mon cœur, ne t’inquiète pas.
Sur ces paroles, il s’effaça de la trame cosmique et, dans un « plop » sonore, le grimoire des Prophéties de Lois s’estompa.
Annotations