Avec le recul, je suis surpris d’avoir attendu si longtemps avant d’accepter cette simple vérité : je suis un homme parmi les autres, un homme parmi des milliards d’autres.
C’est une évidence ! Certes, mais j’ai pris conscience du fait que l’on pouvait passer une vie à se cacher une évidence, quand elle est trop cruelle.

Se montrer lucide, réaliste, c’est peut-être simplement cela : accepter une évidence.
Mais pourquoi, pourquoi est-ce donc si difficile ?
Être un homme parmi les autres, c’est accepter cette simple et cruelle vérité : le monde n’obéit, n’obéira jamais à mes désirs. Je vis, comme tous les hommes, dans un monde qui me dépasse, et dont je ne sais qu’une infime parcelle.

Je le sais, nous le savons toutes et tous, mais c’est un gouffre angoissant, une totale dépossession : s’imaginer que le monde obéit à mes désirs est un de nos (rassurants) mensonges.
Je suis fatigué de ce mensonge, tout simplement.

Si nous nous accrochons à cette illusion, c’est aussi pour se cacher l’évidente conséquence de cette première vérité : je ne changerai rien, ni personne ; ma vie, le monde, tout continuera son cours et je n’y peux rien.
Il faut accepter assumer, accepter cette deuxième évidence.

Il faut aussi accepter une troisième conséquence, sans doute, plus personnelle, mais j’en doute, car mes stratégies de défense sont partagées par des millions d’homme et de femmes.
Je peux renoncer à tous les beaux rôles que je suis incapable de jouer !

Non je ne serai pas le fils prodigue, le père consciencieux, l’époux modèle, l’amant formidable, l’ami d’une vie, l’employé exemplaire, le poète révolutionnaire, le penseur hors du commun.
Je ne suis qu’un homme, un homme parmi les autres...

Je ne perdrai plus de temps avec ses chimères, et je vais pouvoir choisir de me consacrer, corps et âme à la philosophie et à la poésie, en sachant qu’il s’agit...de nouveaux mensonges !