Journal du Roi Plesen  

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6 août 22h

Souvent, le soir, je regarde le jardin du châeau. Le soleil se couche toujours derrière le grand cerisier. Cette chaude lumière se reflète sur l’eau claire des fontaines mettant en valeur les grandes statues aux corps parfaits. Ce jardin a été pensé pour émouvoir. Chaque composition de fleurs, buissons ou arbres ont été réfléchis afin de créer une harmonie presque inhumaine. Il n’est jamais tranquille, tous les jours une cinquantaine de jardiniers, sélectionnés avec soin, s’activent. Le jardin doit être aussi époustouflant que le château qui l’accompagne. On assiste donc, dès huit heures, à une grande chorégraphie dans laquelle se mèlent cisailles , sécateurs, et binette… Alors chaque soir, l’odeur de l’herbe m’enivre d’une violente mélancolie. Comme une claque, mes souvenirs d’enfances s’agitent contre les parois de mon crâne. Si j’ai de la chance, certains de ces souvenirs viennent se plaquer contre les orifices de mon visage ce qui me procure un bien être d’enfant. Je me sens bien, et pendant quelques minutes, je respire l’oxygène dont j’ai besoin. C’est une drogue, chaque soir j’ai besoin de ma dose d’enfance.

7 août 8h

Ce matin, comme à l'habitude, une pie vient frapper au carreau de ma chambre. Une nouvelle journée commence. Je sors amèrement de mon sommeil. J’aimerai tellement y rester. C’est si rassurant de ne plus rien sentir. Deux chaudes larmes roulent sur mes joues roses. D’un geste précipité je les essuies avec ma manche. Je ne m’en permets que deux, c’est amplement suffisant.

Je m’assois difficilement sur le lit. Mon dos est douloureux et raide. Ma tête me sonne, je sais que cette douleur va m’accompagner tout au long de ma journée. J’ai l’impression que mon corps meurt avant moi, si seulement ça pouvait être le contraire. Je n’ai pas faim, je sais pourtant qu’un copieux repas préparé avec les soins de Miss Doruca m’attend, mais l’idée d'enfoncer ne serait-ce qu’un raisin dans ma bouche me donne la nausée.

Dans ma salle de bain, je me passe de l’eau froide sur le visage dans l’espoir que mes yeux bouffis dégonflent. Je ne veux pas qu’on me voit comme ça. Le miroir me rejète l’image d’un homme maigre aux traits tirés. Ses cheveux noirs corbeau n’épousent aucune forme et ses yeux bleus qui ont l’air si vivants sur les différents tableaux du château sont aujourd’hui éteints. Une chaleur étouffante me monte le long du cou, je suffoque et tremble de colère. Ce n’est pas moi, ce que je vois dans le miroir ce n’est pas moi. La colère laisse place à la panique, je sombre alors dans un tourbillons de sensations. J’ai l’impression de mourir, je ne contrôle plus rien. Ma respiration est de plus en plus bruyante mais d’aucune utilité.

J’étouffe. Je m’allonge sur le carrelage d’or froid pour reprendre mes esprits. Je ferme les yeux, je m’imagine sortir de cette prison, me dissocier de ce corps si lourd, trop lourd. Chaque sensation devient torture. Je suis fait comme un rat. Une voix brise alors mes pensées :

— Majesté ? Tout va pour le mieux ? me demande Miss Doruca derrière la porte.

— Euh, je sais pas ... dis-je par réflèxe

— C’est bien normal votre Majesté Plesen à la boule au ventre ! Héhé ! Son ricanement fait rebondir sa bedaine. La convexité de sa bouche fait plisser ses yeux qui ne deviennent alors que de simples lignes. C’est à cause de ce sourire qu’elle ne voit rien.

— Mais ne vous en faites donc pas ! J’ai vu le portrait de votre future épouse. Mademoiselle Du Crépuscule est d’une beauté sans pareil !

— D’accord. balbutiais-je

Un frisson me parcourt, comment ai-je pu oublier ? Le tableau de ma malheureuse promise est arrivé aujourd’hui. Pauvre Melle du Crépuscule, que va-t-elle épouser ?

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