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Un bruit sourd provenant de la carlingue du Freelancer surprit aussi bien Einrick que Tess.

— Qu’est-ce que c’était ? Un débris spatial ? s’alarma-t-il.

— Non, nous venons de nous poser quelque part, les trains d’atterrissage sont déployés, je ne m’en suis pas aperçue.

— Comment est-ce possible ?

Einrick se sentit soudainement plus lourd, il déduisit l’apparition d’une gravité ambiante.

— Je l’ignore, répondit Tess d’un ton inquiet. Les capteurs me confirment que nous nous trouvons dans une sorte de hangar. J’y détecte une atmosphère, l’analyse précise qu’elle est respirable pour un humain.

— Que suggères-tu ? Sortir pour voir où on est tombé ?

— Je ne décèle aucune présence, pas de fréquence de communication. Et notre connexion avec le Solnet a été interrompue. Nous sommes isolés.

Einrick ne répondit rien, il réfléchissait en se grattant les poils du menton.

— Il serait préférable d’attendre qu’un responsable de cette installation se manifeste, proposa Tess en brisant le silence.

Le pilote regardait l’image des caméras externes sur les écrans du Freelancer. Le hangar était aussi sombre que l’espace et les faisceaux éclairants se perdaient dans les ténèbres.

— Nous sommes dans la pyramide ?

— Probablement, je ne peux pas le confirmer. Les capteurs ne parviennent pas à estimer la superficie du local où nous nous trouvons.

Einrick se leva du siège, manqua de trébucher à cause de la soudaine gravité, puis s’étira avec un grognement accompagné d’un craquement d’os. Il était resté assis, avachi, bien trop longtemps.

— Je pense que nous n’avons pas le choix. Je vais sortir et saluer nos mystérieux sauveteurs.

— Mets quand même une combinaison. Je ne peux pas t’assurer l’absence d’agent pathogène.

— D’accord.

L’homme se dirigea dans le vestiaire, jeta au sol la couverture qui lui servait de poncho de fortune et se retrouva une nouvelle fois nu comme au premier jour. Il déverrouilla le placard où sa tenue spatiale était entreposée. Le miroir à sa gauche refléta ton image. Einrick était le résultat typique des générations de mélanges ethniques divers et variés qui avaient eu lieu lors de la conquête du système solaire. Il fallait croire que l’absence de frontières imaginaires au sein des stations et des colonies avait favorisé cette mixité. Il n’était pas aussi grand que ses amis. Son père avait bénéficié avant sa propre naissance de quelques corrections génétiques pour recouvrer une taille plus ordinaire que les humains qui étaient nés et s’étaient développés en apesanteur. Les Spaciens avaient souvent une silhouette plus fine et allongée à cause de ces conditions. Einrick avait hérité de cette caractéristique artificielle et se retrouvait donc plus trapu que son entourage avec les épaules droites d’un Germanique.

Son visage rectangulaire, d’un amusant mélange de timidité et de charme, surplombé par une dense chevelure noire en pagaille, et sa mâchoire carrée, rappelait les traits hispaniques. Il avait les yeux bleus bridés qui supposaient une ascendance asiatique. Son teint mat et son sourire évoquaient à la fois un décor indien et maghrébin.

Einrick regardait toujours le placard avec une certaine appréhension. Malgré les siècles de colonisation spatiale, la sortie dans le vide restait une opération risquée. Il relativisa en se rappelant que le hangar ténébreux possédait une atmosphère respirable.

Derrière la vitre se trouvait une combinaison standard de couleur orange et vert, le fonctionnel primant sur l’esthétique dans le domaine. Il avait réussi à dégoter ce modèle de cinquième génération de chez Cosmos Systèmes grâce à un petit boulot auprès de l’armée de la Fédération des Nations Unies. Cette version était considérée comme obsolète pour les critères militaires, mais elle restait bien mieux équipée et efficace que les variantes civiles.

La préparation pour s’installer dedans tenait du même rituel appris lors de sa formation de pilote spatial vingt ans auparavant. Le premier élément qu’il devait enfiler était le gilet en tissu réactif, une matière qui épousait parfaitement les formes de son torse. Ce maillot contenait un ensemble complet de capteurs pour mesurer ses signes vitaux.

La seconde partie consistait en une sous-combinaison intégrale qui allait se charger de le maintenir au chaud, le ventiler, absorber sa transpiration et la transmettre au recycleur de fluides. Les capacités de sustentation se voyaient fortement augmentées par ce système, mais loin d’être infini.

La troisième étape s’avérait la moins plaisante et malgré des années de pratique, ce n’était toujours pas son moment préféré. Bien au contraire.

Dans le passé, au Moyen Âge de la conquête spatiale, les astronautes portaient des couches pour satisfaire leurs besoins naturels. Le système moderne était désormais de bien plus haute technologie, mais le principe restait le même : un dispositif dans lequel on pouvait se soulager. Un logement à l’arrière épousait la forme de son fessier tandis qu’à l’avant, c’était l’étape la plus désagréable pour Einrick.

Il se remémorait constamment les cours du formateur lorsqu’il leur présenta la procédure. Le tableau de la salle de classe montrait deux schémas, à gauche pour les hommes, à droite pour les femmes, expliquant l’idée. Les selles étaient évacuées par une sorte d’entonnoir hermétique qui permettait d’éviter en prime l’odeur. Même si, d’après l’enseignant, un astronaute s’habituait vite à baigner dans sa propre merde. Pour l’urine, le public avait grimacé, les garçons comme les filles. L’appareil collectait celle-ci par introduction d’une sonde dans les voies naturelles. Einrick n’avait pas trop apprécié l’idée de s’insérer un tuyau dans l’urètre.

Il se souvenait encore de la question naïve, posée par le jeune de dix-sept ans à l’époque.

— Monsieur, il se passe quoi si… on a une érection ? avait-il demandé d’un ton candide.

Le formateur avait froncé les sourcils et grimacé de douleur, et lui avait répondu en souriant :

— Essaye de ne pas en avoir, ça vaudra mieux.

Einrick avait compris pourquoi le lendemain, lors de la première session.

Ce petit souvenir lui permettait d’ignorer qu’il s’y attelait présentement en émettant un petit couinement.

La tenue spatiale en elle-même formait un bloc unique. Le seul moyen d’y entrer était de plonger ses jambes dans les bottes qui remontaient jusqu’aux mollets, puis ses bras, et y glisser le reste de son corps. Une fois bien calé dedans, le dispositif prenait la main, se refermait et s’étanchéifiait. Il connectait automatiquement les collecteurs de déchets et fluides à l’appareil de recyclage et alimentait la sous-tunique.

Einrick sentit les verrous l’enfermer dans ce cocon articulé et augmenté par servomoteurs. L’affichage tête haute s’activa, placarda tout une batterie d’indicateurs, dont une bonne moitié qu’il n’avait jamais réellement compris. Un ronronnement, témoignant du déclenchement de la ventilation, mais aussi de l’allumage de l’exosquelette, lui confirma la fin de la séquence d’amorçage. Le plateau sur lequel la combinaison reposait se tourna pour lui permettre de sortir de l’armoire vers l’avant. Il se dirigea vers le sas qui préparait son cycle de ventilation.

— Einrick, interpella Tess.

— Oui ?

— J’ai une requête à te formuler.

— Je t’écoute.

— Quelque chose perturbe mes modèles de prédiction. Je ne sais pas comment appeler ça.

— Un mauvais pressentiment ?

— Je pense. Je voudrais savoir si je peux me transférer dans l’ordinateur de la combinaison. J’aimerais rester avec toi, s’il te plaît.

— Le Free va s’en sortir sans toi ?

— Oui, les routines automatisées le maintiendront en veille.

— Très bien, dans ce cas.

L’œil bleu de Tess dans le vestiaire s’éteignit. Au bout de quelques secondes, Einrick entendit sa voix dans les écouteurs du casque.

— C’est bon.

— Je dois avouer que je préfère aussi ne pas m’y balader seul, Tess.

— Allons-y ensemble.

La porte du sas s’ouvrit et Einrick y pénétra. Une fois le cycle passé, le plancher entama sa lente descente jusqu’à atteindre le sol du hangar. L’astronaute alluma les lampes de son heaume. Les lumières se reflétaient sur la coque du Freelancer, mais elles disparaissaient dans l’obscurité lorsqu’elles ciblaient autre chose. Einrick connaissait l’immensité des entrepôts spatiaux, mais l’absence d’éclairage de direction ou de secours ne le rassura pas.

D’un geste expert de l’hallux gauche, il désactiva la semelle magnétique et leva la botte, puis détendit sa jambe pour la laisser retomber. Celle-ci fut naturellement attirée par le sol.

— La gravité me semble particulière par rapport aux stations, constata Einrick.

Il déconnecta les deux aimants sous ses pieds puis sautilla de manière répétée.

— L’accélération est de précisément 1 g, vérifia Tess.

— Tu veux dire, pile poil 1 g ?

— Oui.

— Aucun complexe spatial n’a jamais su reproduire la pesanteur terrestre avec une telle précision, s’étonna Einrick.

— Je confirme.

— C’est impressionnant… et flippant.

— Oui.

— As-tu une idée de qui a construit ça ?

— Aucune, admit Tess. L’architecture de cette construction et ses proportions n’ont aucune équivalence avec des assemblages connus.

— Tu ne sous-entends quand même pas… ?

— Jusqu’à preuve du contraire, je pense que nous pouvons considérer cette théorie.

Einrick déglutit et sentit un frisson le parcourir. Il explora une nouvelle fois l’endroit avec ses lumières, mais elles ne rebondissaient sur rien. La seule forme que le sonar et le lidar parvenaient à représenter était le Freelancer.

L’astronaute sursauta lorsqu’un carré blanc brillant, aveuglant, se forma au loin. Quelque chose vient de s’ouvrir, supposa Einrick. Il toucha d’un air nostalgique le piston de l’ascenseur du Free, sourit au vaisseau avec une expression de gratitude, puis se retourna. Il entama une marche prudente pour rejoindre la source lumineuse.

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