Chapitre Second : Renaissance
Tant de jours ont passé, tant d'instants qui ne reviendront jamais. Et pourtant je me sens... différent. J'ai ouvert les yeux, sur ce monde et les attentes qu'il avait pour moi. T Tu es toujours ravissante, habillée de tes murs les plus beaux, de ton clocher, de tes jardins. Tu es toujours éblouissante, parée de tes musées, de tes lieux de culte ou de tes ports ; mais je le sens intimement, une chose s'est brisée. Lorsque je porte mes yeux vers un ciel sans sillage, que je ressens sur ma peau la chaleur d'un soleil qui a éclipsé la pluie, au moment exact où les Hommes ont sacrifié leur mode de vie ; je me rends compte qu'un engrenage a rendu l'âme dans la ronde des heures. Je ne suis plus maître de mon destin, j'ai baissé le pavillon de mon navire, et je dérive au gré des courants ; mais je n'en suis pas pour autant malheureux. Les oiseaux qui m'environnent chantent leurs mélodies, et les frontières des territoires de jadis m'apparaissent obscurcies. Les géants des mers et des océans semblent redécouvrir ce qui leur appartenait de droit. Ils écument les limites du monde d'antan sans avoir à craindre pour leur vie ; ô comme j'imagine leur joie. Dans le tumulte de pensées étrangères à ma conscience je m'interroge.
Où réside alors mon propre foyer ? Les chemins si nets et si précisément tracés sont recouverts d'illogisme, tandis qu'une aube nouvelle brûle et consume ma certitude. Est-ce que l'avenir que nous devions porter réside finalement en un simple regard en arrière ? Je me sens exilé oui, mais pas de la société que j'ai connue, des souvenirs qui l'habitent ou encore de son enceinte si précieuse et réconfortante. Pas non plus de mes amis, de ma famille, ni des âmes qui gravitent autour de moi. Non je me sens exilé de mon propre cœur, de ma propre cause, et même de mes propres pensées. La cadence du monde impose son nouveau rythme, bien plus calme, bien plus doux. Autour de moi mes semblables se languissent de retrouver ce qu'ils ont perdu, mais moi je ne considère pas cela comme une perte, mais comme un gain. J'ai gagné en conscience, et dans le trouble d'une série d'événements exceptionnelles, j'entrevois la possibilité d'un avenir prometteur, au delà des apparences, et j'y suis viscéralement rattaché. L'équilibre du monde a été bouleversé, je le vis comme une seconde naissance, et je suis disposé à me départir de tous les composants de ma vie d'avant. J'ai aimé et j'ai perdu.
J'ai aidé comme j'ai blessé. J'ai tendu la main comme je l'ai refusée. Et l'on m'a fait de même. Je me suis cru libre, mais l'adversité m'a finalement ouvert les yeux. Peut-être la liberté n'est-elle qu'un mensonge car à trop vouloir l'atteindre, on finit pourtant par s'enchaîner soi-même. La société se fracture, je peux la sentir craqueler sous chacune de ses institutions. Ô mon doux pays, vas-tu seulement te relever ? Je glisse mes doigts sur les murs de ma demeure, et je les entends vibrer. Une tempête gronde dans la distance, comme l'affamé qui crie famine à ne pouvoir se rassasier. Des éclairs zèbrent le ciel, non sans colère et non sans zèle. Elle se rapproche de jours en jours, en tourbillonnant sur elle-même ; je vois presque déjà les débris du monde tournoyer avec elle. Je me croyais en sécurité derrière la pierre. Mais aujourd'hui elle se fait verre. L'orage arrive sur la terre et nous devons tous lui faire face. Oui j'ai aimé sans intérêt, oui je suis intervenu sans conséquence. Oui j'ai vécu parfois dans l'ignorance. Mais aujourd'hui les liens se délitent. A trop tirer sur la corde ils menacent de rompre. Est-ce la fin de mon exil, ou bien son commencement ? Il y a-t-il seulement un but à sortir de soimême, au risque parfois de ne jamais y revenir ?
Je me rends compte que je ne possède rien, si ce n'est le choix de réagir à ce qui vient. Et si ton cœur est au repos, ô cité adorée, celui des Hommes est en plein chaos. Ils se déchirent, ils mentent, ils fuient leurs responsabilités. Il y avait un ordre à la marche du monde, mais l'ordre ne veut pas dire l'équilibre. Dans un monde de chiffres et de calculs, lorsque les équations sont en déséquilibre, il convient de les corriger. La fatalité nous place face à notre propre impuissance. Ou peut-être est-ce ce sentiment de toute puissance qui nous a menés aujourd'hui à l'éloge de l'impuissance. Si l'existence avait été un tableau, l'humanité n'en aurait pas été son peintre. Certes nous aurions peut-être choisi quelques couleurs, pour briller quelques instants à l'échelle des millénaires sur la terre, mais nous demeurerons à jamais des élèves face à l'inéluctabilité des événements qui avancent sans jamais regarder en arrière.
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