Révélation

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La maison était à l'orée du bois, remplie de toutes ces choses que seule une personne âgée avait eu le temps d'accumuler. Les meubles avaient été poussés pour laisser place à toute la technique nécessaire à un enregistrement en direct. Luc était assis sur un confortable et élimé fauteuil. Son regard portait sur Martine, en face de lui, qui donnait ses instructions aux quatre personnes qui composaient l'équipe technique. Elle portait un tailleur violet, qui faisait ressortir ses longues boucles rousses. Il passa une main dans sa courte chevelure blonde, il se trouva bien banal dans son pull anthracite et son vieux jean. Pas le temps de se changer, Martine lui souriait, l'interview allait commencer.

— Bonjour, Luc et merci d'avoir accepté cette interview. Le pays vous regarde et vous écoute.

—Bonjour, Martine. C'est moi qui vous remercie de me permettre de prendre la parole. Peut-on résumer sa vie aux mots "Mon père est un violeur et un assassin ? Pour y répondre, il faudrait que je commence mon histoire depuis le début. Je m'appelle Luc. J'ai dix-huit ans, depuis deux semaines. Je n'ai pas toujours vécu dans cette maison. Celle où l'on est actuellement. La maison appartient à ma grand-mère paternelle, elle m'a recueilli à l'arrestation de mon père et je vis avec elle depuis cet instant. J'ai toujours été un enfant assez calme aussi loin que je m'en souvienne. J'ai eu un petit frère, mais il est mort alors qu'il n'avait que deux ans. Je n'en ai aucun souvenir, j'étais bien trop jeune et mon père n'a jamais voulu trop en parler. Mon père était un homme secret. Il l'a toujours été. Il n'a jamais ramené de femmes à la maison et m'a dit que ma mère était morte peu de temps après ma naissance. Quant à celle de ce petit frère, je n'en sais rien. Il s'est toujours bien occupé de moi et n'a jamais fait preuve de violence. J'ai poursuivi une scolarité sans trop de soucis, hormis ceux que tout enfant peut connaître. Je suis conscient que cela peut dérouter ceux qui nous écoutent, mais il a été, pour moi, un bon père.

— C'est compréhensible que votre vision de l'homme qu'est Paul Grémart soit celle d'un père. Un être aimant. C'est cela que nos téléspectateurs, qui ont choisi de nous suivre, veulent savoir, découvrir. Quel homme a-t-il été pour vous ? Quelle enfance avez-vous eue ? Est-ce que vous aviez des amis ?

— J'ai eu une enfance assez banale, du moins pour un enfant qui a grandi sans mère. La seule femme que j'ai connue, que je connais, c'est ma grand-mère et ce n'est sûrement pas la plus gentille. Je me souviens des vacances dans un camping, près de Quimper. Je ne me souviens plus du nom, mais c'était un endroit que ma grand-mère aimait beaucoup. On a cessé d'y aller quand mon père s'est disputé avec elle. C'était peu de temps après la mort de mon petit frère. Il a préféré m'envoyer en colonie, pour les vacances d'été et celles d'hiver. Ça a été de très bons moments. C'est à peu près tout pour mon enfance. Pour l'homme qu'est mon père pour moi, c'est plus difficile. Il y a moins d'un an, vous m'auriez posé la question, je vous aurais donné un exemple. Actuellement, je ne sais plus. Je n'arrive pas encore à croire que c'est lui qui a pu faire tout ce dont on l'accuse.

— Est-ce que vous êtes allé le voir en prison ?

— Non, il a toujours refusé de me voir. Il m'a écrit en revanche.

— Pourrions-nous connaître le contenu de cette lettre ? Sans aller jusqu'à la lire, bien évidemment.

— Euh..., je ne vous la lira pas. Mais je peux vous dire à peu près ce qu'elle dit. Il dit qu'il est désolé que je dois subir tout cela, qu'il aurait préféré que je n'en sache jamais rien, qu'il regrette de n'avoir pas su faire taire ses pulsions et qu'il m'aime.

— Vous avez déjà eu des amis ou même une petite amie ?

— Des amis oui, comme tout le monde, mais non, je n'ai jamais eu de petite amie et cela me semble compromis ici. Quel parent laisserait sa fille fréquenter le fils d'un violeur ? Navré, on peut faire une pause ?

Martine cacha sa déception et lui sourit. Il semblait si fragile qu'elle lança une coupure publicitaire. Luc se leva aussitôt pour se rendre à la cuisine.

— Vous allez bien ? s'inquiéta la journaliste.

— La gorge un peu sèche. Je ne pensais pas que ça allait être si difficile de me confier ainsi, mais ça ira, rassura Luc.

La femme posa sa main sur l'épaule du jeune homme et rejoignit le salon.

— On reprend dans cinq minutes.

L'interview reprit, la journaliste ne ménagea pas le jeune homme, elle avait besoin de révélations, n'importe lesquelles. Plus d'une fois, elle déstabilisa Luc, sans s'émouvoir, mais il resta sur ses positions du garçon qui aimait son père et n'avait jamais rien su de ses activités. Elle apprit seulement que la grand-mère était une fervente croyante, assez dure et que son père avait toujours refusé qu'il parte en voyage, même scolaire, à l'étranger. Peu de chose en somme.

L'équipe technique rangea le matériel tandis que Luc restait dans son coin, regardant ces gens qui avaient bouleversé son quotidien. Il les salua poliment et les reconduisit à la porte avant de rester à la fenêtre pour les voir s'éloigner.

Luc se rendit dans la cuisine, prit le pack de bières qu'il avait mis au frais plus tôt, les mit dans un sac à dos, puis il prit le chemin des bois. Il marcha une bonne quinzaine de minutes au travers de sentiers que lui seul connaissait, du moins, il était presque le seul. Il pénétra dans une faille dans un gros rocher, avança jusqu'à un endroit plus dégagé. Sur le sol, un tapis de branchages, au sens propre, car il le fit rouler sur le côté pour dévoiler une trappe qu'il déverrouilla. Le jeune homme ouvrit et grimaça devant le gouffre sombre qui s'étendait sous ses pieds. Il descendit les marches, ferma la trappe et il activa l'interrupteur.

L'endroit était un de ces bunkers, appréciés des survivalistes à l'exception que celui-ci avait été aménagé pour un tout autre usage. Le long du couloir, qu'emprunta Luc, se trouvaient des cellules où étaient enfermées cinq femmes ainsi que trois enfants. C'était la collection de Paul Grémart, cinq femmes enlevées entre 1990 et nos jours, qui lui servaient à assouvir ses pulsions. Durant les vingt-huit ans, et malgré toutes ses précautions, cinq enfants étaient venus au monde. Trois filles et deux garçons. Il avait laissé les filles avec leur mère, prit le premier garçon, mais cela était trop de complications alors il le supprima. Paul ne s'encombra pas du second-né.

Mais Luc se moquait bien des autres, une chose l'intéressait, son cadeau. Un mot laissé par son père qui lui disait qu'il avait attendu qu'elle ait seize ans pour lui en parler. Luc avait eu du mal à comprendre, mais il était, à présent, devant la cellule où elle était enfermée, qu'elle n'avait jamais quittée ; sa mère était recroquevillée au fond, le suppliant. Luc se pencha pour voir le regard effrayé de la jeune fille et lui sourit.

— Coucou, petite sœur. Joyeux anniversaire.

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