Hier, après mon retour d’infiltration, j’ai croisé Shimazaki.

C’était vers la fin de l’après-midi, j’étais allée retourner des livres à la grande salle. Il m’a demandé s’il pouvait me parler un instant, ce que j’ai accepté même si je n’étais pas tout à fait sûre de moi, et nous nous sommes installés à l’une des tables. Je ne sais toujours pas quelle attitude adopter envers lui, il a un caractère bien trop insaisissable.

Il m’a posé une cascade de questions ! Tout d’abord, il voulait savoir ce que j’avais pensé de ma première mission, si tout s’était bien passé, comment j’avais procédé et quelles étaient les conclusions auxquelles j’en étais parvenue pour la suite de mon travail. Un peu sur mes gardes, je me suis efforcée de lui répondre le plus précisément possible, mais j’aurais vraiment aimé savoir ce qui se passait dans sa tête. Il n’avait pas l’air d’avoir une intention particulière, comme s’il m’interrogeait par simple curiosité, mais j’avais la sensation qu’il analysait chacune de mes réponses et ça me déstabilisait.

Il ne m’a quasiment pas posé de questions sur les autres auteurs, je dirais que c’est parce qu’il les connaît déjà. Ensuite, il m’a demandé ce que je pensais de mon métier, du quotidien à la bibliothèque, et de ceux que j’y avais croisés. Cette fois, j’en ai profité pour lui demander son avis aussi, en glissant quelques questions dans la conversation. Il a paru s’apercevoir de mon stratagème mais a répondu aussi simplement que moi. C’était assez amusant, en un sens, de l’extérieur nous devions avoir l’air de deux agents en train d’essayer de se soutirer des renseignements. Puis, par le biais de cette légère déviation de sujet, il en est venu à me questionner sur mon rôle d’alchimiste et pourquoi j’en étais devenue une. À ce moment-là, j’ai tenté d’esquiver mais j’étais confuse. C’est un sujet assez personnel, chacun a ses raisons de venir travailler ici, et je pense qu’il est tout à fait au courant. Mais en un sens, ça ne m’étonne pas de lui.

Je n’ai dû mon salut qu’à Shūsei qui passait par là et qui a remarqué directement le jeu de son ami. Il est intervenu et leur dialogue m’a un peu amusée. Mon sauveur avait son habituel air sévère quoiqu’un peu embarrassé, et son camarade lui répondait sans se départir de sa façade d’indifférence.

« Shimazaki, ça ne se fait pas de questionner les gens sur leur passé avant la bibliothèque.

- Je sais, Shūsei, mais je pouvais toujours tenter. Peut-être qu’elle aurait bien voulu me répondre.

- Tu n’aurais pas dû, en premier lieu. Arrête de te croire en reportage, les gens ne réfléchissent pas tous comme toi.

- Heureusement, ça deviendrait vite ingérable.

- Et toi, Hiraizumi, excuse-le, il est tout le temps comme ça mais il ne pense pas à mal. N’hésite pas à lui faire savoir quand il est inconvenant.

- J’essayerai… ai-je répondu. Merci ! »

Sur ces mots, Shimazaki s’est levé et m’a souhaité une bonne suite de journée avant de s’éloigner tranquillement. Shūsei m’a lancé un nouveau regard d’excuses puis est lui-aussi retourné à ce qu’il faisait. Je suis restée un moment assise, perplexe.

Tout de même, il ne manque pas d’assurance ! Poser des questions aussi délibérées en sachant pertinemment qu’il n’est pas censé, c’est d’une curiosité à la limite de l’indiscrétion. Mais je ne lui en veux pas trop. Chacun a sa personnalité, et en un sens la sienne m’amuse. Je suis sûre que si je cherche à savoir des choses sur la bibliothèque ou un de ses résidents, il pourra se révéler un allié intéressant. Et puis, je crois que je l’intrigue autant qu’il m’intrigue.

Je me demande ce qui se passera la prochaine fois que nous nous rencontrerons !