Chapitre 1

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Eté 1969. Assise en milieu de table, mes parents, chacun leur tour, me crie dessus. Il paraît que je suis insupportable. Pourtant ce n'est pas moi qui crie. Je suis immature, inconsciente, stupide et déraisonnable. Alors, j'ai peut-être fui pour manifester en ville, oui. Peut-être que je sors en cachette, oui. Et peut-être, encore plus, que je n'écoute pas beaucoup ce qu'ils me disent. Je ne participe même pas à leurs conversations. «Tu comprends, Emma ? Mon père crie toujours. C'est drôle, il est tout rouge quand il s'énerve. On dirait une vilaine tomate, un peu flétrie. Je manque de pouffer de rire, mais ma mère me rappelle à l'ordre : -On t'amène demain midi. On passera la journée, et tu restes jusqu'à fin août. Nous aussi, nous avons besoin de vacances. J'hoche la tête. -D'accord. Je vais faire ma valise dans ce cas.» Je sors de table sans permission, ils ne me le reprochent pas. Dans moins de vingt-quatre heures, je pars pour deux mois. Qu'ils gardent un peu d'énergie pour la route. C'est ainsi, que lors de la belle matinée du 30 juin 1968, je me retrouve sur la banquette arrière, admirant le paysage alors qu'on s'enfonce dans la profonde campagne. D'ailleurs, où vais-je ? Mon frère a cinq ans de plus que moi. Nous n'avons jamais été très proches, mais nous nous sommes toujours supportés, voire appréciés. Nous sommes les opposés : lui est un grand timide, aimant le confort d'une maison et la stabilité d'un métier, assurant toujours une présence calme et réfléchie. Moi, du haut de mon mètre cinquante-cinq, je suis beaucoup plus artiste, bien plus sociable, et surtout, j'utilise mon intelligence pour agir. Être calme, ça n'a jamais été mon truc. Je pense que mon frère et moi bénéficions d'une certaine affection l'un pour l'autre, comme c'est souvent le cas pour les êtres si différents. Jacques travaille dans une banque. Il a un bon poste. Je ne saurais pas dire lequel exactement, mais il gagne bien sa vie. Aussi, il est marié. Ils ont acheté cette maison l'année dernière, et c'est une aubaine. Mon frère aime les grands espaces : voilà qui devrait le changer de la petite mitoyenne dans laquelle nous avons grandi, et même partagé une chambre un certain temps.
Elle s'appelle Barbara. Elle est blonde, à la limite du roux, jusqu'au milieu du dos. Ses yeux sont bruns, et sa peau tachée par sa rousseur. Ni mince, ni formée. Elle aime le vélo, la couture, le piano-enfin, en écouter puisqu'elle ne sait pas en jouer-les Beatles et les jardins. Lorsque mon père se gare dans l'allée de gravier, je me rappelle d'elle. Je ne l'ai vu qu'une fois avant : à son mariage. Elle m'avait fait bonne impression. Surtout, elle sent le jasmin. Voilà ce dont je me rappellais le plus. Mon paternel s'empresse de prendre la valise dans le coffre. Il aurait pu la jeter devant la porte d'entrée que ça aurait fait le même effet. Mais c'est le sourire timide de mon frère qui nous accueillit à la place. Je l'embrasse et il prend ma valise. «Vous avez fait bonne route ?» J'admire le salon dans lequel nous arrivons : rien de particulier, une décoration à la mode. Ça sent bon. Une bougie est allumée sur la petite table près d'un des deux fauteuils près de la cheminée. Le papier peint est beau. Il y a même une petite télévision. Je ne serais pas complètement déconnectée de l'actualité. Barbara apparaît soudainement face à nous. Elle porte un tablier, et ses joues sont rosies. Elle devait être en train de finir la cuisine. «Bonjour, comment allez-vous ?» C'est moi qu'elle a embrassé en premier. Je ne me rappelais pas qu'elle avait un aussi beau sourire. Ses cheveux, tirés en arrière par un bandeau, balayèrent doucement mes joues quand elle me fit la bise. Elle sentait toujours le jasmin. Quelle odeur. Elle embrassa mes parents, et Jacques nous dirigea vers la salle à manger. Oh, mais j'ai oublié un détail important : Barbara était enceinte de six mois. Évidemment, la taille de son ventre en témoignait. Elle espérait une fille, il espérait un garçon. J'espèrais qu'ils ne prennent pas exemple sur mes parents. Je me retrouvais assise en face d'elle. Entre l'entrée, le plat et le fromage, la discussion perdit de son entrain. Alors, elle s'intéressa à moi : -Et toi, Emma, tu vas rentrer en terminale après l'été, c'est ça ? Je lui souris pendant qu'elle coupe du pain pour mon brie. -Oui, exactement. -Tu vas avoir dix-sept ans ? Avant que je ne puisse répondre, mon frère revient de la cuisine avec un gâteau fait maison, des bougies allumées prêtes à être soufflées. Effectivement, mon anniversaire était le lendemain. Cette année, j'eus deux livres pour mon anniversaire. Un pour les cours, un pour le loisir de lire. Les Misérables. Je l'avais déjà.
Alors que l'été passait, je me rapprochais de plus en plus de Barbara. Bien qu'elle soit enceinte jusqu'au cou, mon frère ne prêtait pas main forte. Il travaillait, et rentrait mettre les pieds sous la table. Alors je proposais mon aide. Au cours des corvées, nous discutions. Barbara était timide, mais elle aimait s'intéresser aux gens. Surtout, elle était très belle. Barbara aimait jouer du piano, maisn son entre l'en empêchait. Par chance, mes parents m'ont forcé à prendre des curs étant plus jeune, et je pus enfin m'en servir, et pour une bonne raison. Fatiguée, elle s'allongeait dans le cnapé, pendant que je penais place sur le siège face au clavier. Je jouais du Bach, du Chopin, un peu de Litz. Elle adorait le Liebstraume. Et c'est le morceau que je jouais le mieux. Barbara devenait pour moi une amie, voire ma meilleure amie. J'aurais pub penser que 'était cause de l'éloignement de mes copains de lycée. Pourtant, j'aurais pu les voir chaque jour de cet été, j'aurais quand même éprouvé cette affection pour elle.
Nous nous balladions dans la campagne. Plus les jours passaient, moins elle allait loin. En général, elle me laissait continuer la route seule un moment, et s'asseyait sur un des derniers bancs à disposition avant de rentrer dans la forêt. Quand j'avais fait ma promenade, nous rentrions ensemble. J'aimais énormément cette forêt. Je suis une enfant de la campagne : la nature m'est indispensable. Et je vous parle aujourd'hui en tant que parisienne. Si j'avais su que je finirais ici, je ne l'aurais jamais cru. Je raconte cette campagne profonde. Ses animaux, sa végétation, ses pièges et son odeur. Ses parcs protégés et ses fermes. Ses chemins façonnés à coup de pieds d'aventuriers. Ses discussions entre randonneurs du dimanche. Je parle du chant particulier qui mêle celui des oiseaux, du vent et des pas. Je faisais toujours le même trajet : je suivais le chemin jusqu'à un carrefour, où je tournais à droite pour accéder, en contre-bas, à une petite clairière. Je m'y asseyais un moment. En général, il était aux alentours de quinze heures, donc le soleil offrait encore par sa présence, ses rayons, que je laissais alors errer sur mon visage. Tournée vers le ciel, je me sentais apaisée. Apaisée d'avoir une meilleure amie sous ce toit. Apaisée d'être loin de mes parents. Apaisée d'être en vacances.

 Puis, je rentrais. Au passage, j'attrapais le bras de Barbara. Elle n'est pas tactile en général, mais à sept mois de grossesse, elle ressentait le besoin de s'appuyer sur quelqu'un.
Chaque soir, mon frère rentrait du travail, glissait ses pieds sous la table; et une fois le repas fini, il partait s'asseoir dans son fauteuil, un livre dans les mains. Évidement, ma belle-soeur et moi faisions le reste.

 Puis, je montais dessiner dans ma chambre. Je dessinais de temps en temps des portraits de Barbara, que je lui donnais le lendemain. Je voulais qu'elle ait un bon souvenir de cette période. Pas forcément de sa grossesse, qui devenait de plus en plus difficile, mais de moi.

 On ne se parlait pas beaucoup avec Jacques. On ne s'est jamais vraiment parlé. Mais nous nous aimions. Je détestais son attitude en tant qu'époux. Mais il m'hébergeait. Je n'avais pas mon mot à dire. Aujourd'hui, j'aurais fait les choses complètement différemment.
Nous venions de dépasser la mi-août, quand je commençais à presque panqiuer. Il restait deux semaines avant la rentrée. J'allais devoir la quitter. Rien que d'y penser, je ressentais un vide énorme. Je n'avais jamais eu un tel sentiment. Ce samedi matin, en haut des marches, je dus m'asseoir. Depuis mon poste, je l'observais, assise sur son fauteuil, en train de terminer un tricot pour bébé. Et je pleurais. En silence, je pleurais, encore et encore. Comment j'allais faire ? Je venais de passer un été avec une meilleure amie, et j'allais devoir tout quitter, retourner dans une maison où des individus me méprisaient. Certes, mes amis de lycée me manquaient. Mais ils n'étaient pas Barbara.
Je me dis que ça serait certainement moins pire que ce que je pensais. Je vivais avec elle, je n'avais pas forcément l'espace pour avoir les idées claires. Je ne savais pas ce qu'elle ressentait. Sa vie allait, de toute façon, être bouleversée par l'arrivée d'un bébé. Je pleurais encore : m'oubliera-t-elle alors ? Se souviendra-t-elle de tout ce qu'on a vécu ? Ces journées à marcher, discuter, cuisiner, rire, être dans la même pièce, tout simplement.

Je passais les quinze derniers jours à pleurer en cachette. Le terme arrivait bientôt : nous ne marchions plus. Ça y est, les marches étaient finies. Ça y est. Déjà une chose de passée.
Le 25 août, je l'installa dans le jardin, sur une chaise, et la peignit. C'était en fin de journée. La couleur du ciel commençait à s'estomper. Elle embellissait le ciel. Sa présence semblait nécessaire au paysage, à défaut de devenir un horizon ennuyeux.

En la peignant ce jour-là, alors qu'elle se prêtait pour la première fois en mon modèle, je compris toute l'affection que j'avais pour elle. Surtout, je compris que je ne sortirais pas indemne de cette maison. Moi, qui ai toujours eu soif d'aventure, j'aurais troqué tous mes voyages pour cette maison, habitée seulement d'elle et moi, pour toute la durée de ma vie.

 Là, le pinceau en main, je pleurais. Elle me demanda si tout allait bien. Je lui répondis que oui. Oh que oui, là, tout de suite, tout allait bien.

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