2.2

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L’adolescent nageait dans une mer d’incertitudes et d’envies profondes. Sa tête tournait plus fort, pareil à s’il avait bu, et qu’il s’était enivré. Était-il en train de vivre un moment particulier ? De ceux qui ouvrent les portes vers l’aboutissement.

Il tendit sa main vers les parchemins disposés sur une étagère, au-dessus d’un miroir prisonnier de la solitude. Azur le contempla dans un état second. Il se tint devant son reflet, chercha une autre personne que lui-même. Seule une bouche apparut. Des lèvres épaisses, brunes et boudeuses s’animèrent.

— Laisse-moi t’offrir mon pouvoir, ma connaissance des humains et de leur vil cœur. Laisse-moi apaiser ta douleur. Je la sens si forte autour de toi et à l’intérieur de tes yeux.

— Perce-picasse, remarqua Azur.

— Que dois-je faire en échange ?

— Ecouter pour mieux régner.

— Cela me paraît trop beau pour être vrai.

— Le miroir ondula, scintilla, et la voix, marmonna une nouvelle incantation :

« Perle d’aveuglement, barré le regard de ce cœur suffocant. Qu’il cesse de poser des questions. ». Elle le répéta si doucement qu’Azur n’entendit rien de plus qu’un bruissement de lèvres.

Deux perles roulèrent à ses pieds, quand l’entité du miroir lui sourit de sa seule bouche.

— Vois-tu ses perles noires ?

— Que sont-elles ?

— Ma promesse de faire de tes désirs des réalités, en échange, je souhaite t’accompagner dans ta quête.

Azur visualisa les perles, fléchit les genoux et les prit du bout des doigts. Dans le creux de sa main, il les fixa longuement.

— Pourquoi es-tu ici ? Dans ce laboratoire ? Dans ce miroir ?

En voilà un bien compliqué à amadouer, la dernière n’avait pas été aussi vigilante.

Un roi a trahi mon amour et m’a enfermé dans cette prison de verre, mentit-elle à moitié.

Un roi l’avait bien emprisonné, mais l’amour n’était pas la raison.

— Je vois. Et que dois-je faire de ces perles ?

Azur les dévorait du regard, tombant un peu plus dans les bras de l’insouciance. Les questions s’éteignirent, les unes après les autres, quand sans raison, il bascula la tête en avant et absorba les perles. Un noir paralysant surgit dans son esprit. Tous ses mouvements se figèrent, ses yeux ne virent plus rien pendant de longues secondes, tandis que le sourire du miroir s’allongeait.

Mon pouvoir a décliné depuis le siècle dernier, marmonna la femme dans son for intérieur.

— Embrasse-moi, jeune souffleur de glace et je te donnerai ce que tu désires.

Dans un sourire plein de promesse, la bouche féminine découvrit des dents blanches, joliment alignées. Voilà un beau cœur sombre. Pas encore à maturation, mais parfait pour mes ambitions, songea-t-elle.

Azur s’approcha lentement, mais sûrement, du miroir. Son corps lui parut léger à mesure qui se rapprochait. Il détenait dans le creux de sa conscience un espoir que l’ensemble de sa vie deviendrait plus facile. Une clarté inonda son esprit, une chaleur caressa son cœur, sa réflexion fondit alors qu'il crut entendre des battements de vie derrière la glace. Une sensation douce palpita dans son être, un parfum gourmand trouva le chemin de ses narines. Un gouffre de promesse se dessinait dans son crâne et l'aspirait loin de l'échec. Devant le miroir, tout lui semblait évidant. Il entrapercevait sa victoire, la mort d'Elestac, le pouvoir entre ses doigts, le bonheur de ne plus être un moins que rien. Il s’en saisit, et aussitôt la chair de poule parcourut sa peau, sans que la peur ne le frôle. Il rapprocha l’objet, prêt à pactiser avec démons ou dieux maléfiques - peu lui importait -, puis il l’embrassa, passant ainsi un accord avec la prisonnière. Qu’avait-il à perdre ? Un pouvoir plus grand pour tuer Elestac, n’est-ce pas une aubaine ? pensa-t-il.

Lorsqu’il revint à lui, il lui sembla normal de tenir le miroir dans une main, et de voir les parchemins dans la sacoche, sous la peau de son manteau. Il avait conscience qu’une femme dans un miroir n’était pas chose anodine, mais en soi, il n’attendait d’elle que son pouvoir. Si tant est qu’elle en avait un. Au pire des cas et si arnaque il y avait, il n’aurait qu’à se débarrasser d’elle et garder les parchemins. Rien n’était vraiment compliqué. Avoir peur ? De quoi ? Survivre dans un monde en étant personne était bien plus effrayant que donner sa « confiance » à un esprit.

— Je tiens ma vengeance, rit-il. Avec toi, j’arriverais à l’atteindre, n’est-ce pas ?

— Bien sûr, maître. Que veux-tu ? Je te l’offrirai.

— Je désire le cœur de la reine Elestac. Qu’elle me donne tout, jusqu’à son royaume.

— Quel garçon décidé. Tu me plais, alors je t’aiderais. Mais il te faudra patienter et apprendre l’art de la séduction. Oublie le souffleur de glace, endors-le et deviens un être fait de charme et de mots tendres.

Deviens aussi sombre que ces ténèbres, marmonna-t-elle intérieurement.

— Guide-moi, apprends-moi ! Je veux devenir le manipulateur d’excellence, annonça-t-il, en protégeant le miroir sous son manteau.

— Ne t’en fais de rien, jeune apprenti. Je te guiderai…

La voix se tut, et rabattit ses lèvres en un sourire machiavélique.

Azur, peu préoccupé par cet accord si vite passé, monta le second escalier. Il n’avait qu’une chose en tête : éliminer un à un ses ennemis.

Il reprit peu à peu ses esprits, mais garda la conviction que ce miroir ne lui était pas tombé dessus par hasard. C’était un cadeau de dieux vengeurs de l'ancienne civilisation. Celle où les monstres de métal brûlaient monts et vallées. Il avalerait chaque parole, étudierait avec acharnement ces parchemins pour un jour se glisser dans la couche de la reine de Verdoyon et accomplir sa funeste destinée. Il avait déjà un plan bien détaillé dans la tête.

Il tenait enfin sa vengeance.

Au bout de l’escalier, en face d’un mur, il actionna un levier. Un mécanisme se déclencha dans un cliquètement et le libéra, lui, ainsi que le miroir maléfique.

Dans la neige, le garçon se faufila entre les troncs sombres, et rejoignit sa tribu, où l’attendait probablement morts et blessés.

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