Chapitre I : Sur les bords du Kouban (4/5)

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 Nestchadymenko s’assit sur un talus faisant face au fleuve, il invita Temirjan à faire de même. Ce dernier ignora le geste et resta ainsi debout, le regard vide, vidé de toute âme. Il pensait à son village, au sort atroce qu’avait sûrement connut sa famille et ses amis. S’ils n’étaient pas encore morts, ils allaient très certainement l’être bientôt. Clarté pro mortem ou fatalité orientale ? Temirjan acceptait. Il acceptait son sort, celui de sa famille. Il réalisait qu’il n’y avait rien qu’il pouvait faire de plus. Ce matin il s’était réveillé géant, se voyant combattre héroïquement les Russes, ce soir il se coucherait en nain incapable de protéger sa sœur. Il avait tué son égo démesuré d’enfant en une journée, chose qui peut prendre une vie à certains.

 Un cliquetis vint troubler les pensées de Temirjan, tel une pierre jetée dans un lac endormis. Nestchadymenko s’allumait une cigarette avec son briquet.

 « Tu sais petit, je sais ce que tu penses. Tu penses que c’est injuste tout ce qu’il t’arrive, que nous sommes, que JE suis la pire ordure qui puisse exister. Mais c’est comme ça ! Si j’ai compris quelque chose à ce monde c’est qu’il ne faut pas chercher à comprendre. Moi aussi j’ai traversé des choses similaires à ce que tu traverses maintenant. J’ai vu mon père écorché vif et ma stanitsa se faire incendiée par des Nogaïs. La seule chose qui m’en reste aujourd’hui, c’est la nagaïka d’iessaoul de mon père et… une belle leçon de vie. Tout ça m’a rendu plus fort au final. Le bien, le mal, le juste, l’injuste tout ça c’est des conneries pour ceux qui ont du temps et de l’argent à perdre ! Y’a juste des intérêts, toutes sortes d’intérêts. Tout le monde a un intérêt et parfois ton intérêt et bah il se heurte à celui d’un autre. Les Nogaïs qui ont massacrés mon père et brûlé mon village, ils avaient certainement un intérêt à le faire. Comme aujourd’hui nous avons intérêt à détruire ton aoul et que moi j’ai intérêt à te buter. »

 Le capitaine se leva alors et armant le chien de son revolver Smith & Wesson, pointa Temirjan avec. Le Circassien n’avait pas peur, il fixait son bourreau, lui jetant un regard des plus sombres. Nestchadymenko sourit et alors qu’il s’apprêter à presser la détente, une voix crispante l’arrêta.

 « Capitaine Nestchadymenko ! Qu’est-ce que tout cela signifie ? »

 L’officier se retourna extrêmement agacé. Il découvrit alors un jeune homme en bel uniforme d’officier, somptueusement posé sur son cheval d’un blanc immaculé. Autour de lui se tenaient une vingtaine de soldats ainsi que Krikor accompagné de Gouachakhouj.

 « Votre Excellence le prince ! Commandant Sakandeli ! Je m’apprêter à exécuter ce misérable montagnard responsable de la mort d’un de nos caporaux et de la blessure d’un deuxième ! Tenez ! Le caporal Ivanoff qui se tiens à vos côtés pourra en témoigner ! Ne lui as-tu pas dit Sergueï ? répondit Nestchadymenko.

 — Oh si capitaine Nestchadymenko ! Le caporal Ivanoff m’a tout raconté ! Du châtiment corporel que vous lui avez infligé à vos petites affaires avec cet Arménien. Qui êtes-vous pour oser lever la main sur mes hommes ? Ces hommes tout comme vous-même m’appartenez tous ! Ce sont mes hommes ! Et vous, vous n’êtes qu’un misérable Petit-Russien fils de Cosaque parvenu ! À mes yeux vous ne valez guère mieux que ce petit montagnard que vous vous apprêtiez à exécuter froidement ! », répondit le prince Sakandeli.

 Nestchadymenko resta bouche bée. Il ne savait que répondre, il ne pouvait pas répondre. Sa seule réaction possible étant de s’écraser pitoyablement devant ce jeune aristocrate. Ce qu’en bon homme à intrigues, il n’hésitait jamais à faire car s’était pour lui la seule façon de s’élever. Nestchadymenko était ce genre d’hommes qui, pour se protéger s’écrasait devant les puissants et pour se sentir puissant, écrasait les vulnérables.

 « Votre Excellence ! Il est vrai que je me suis laissé légèrement emporter, mais comprenez qu’après la mort de notre très regretté Piotr Antonovitch, je me trouvais dans un état de colère excessive. Je vous garantis que ce genre de débordement n’aura plus lieu si votre Excellence aurez la bonté de m’accorder son pardon. », implora Nestchadymenko en tentant de baiser la main du prince.

 Le jeune aristocrate repoussa le capitaine de sa main gantée d’un geste lent et grâcieux dont les personnes imbues d’elles-mêmes ont le secret.

 « Nestchadymenko, vous m’ennuyez le savez-vous ? Je suis lâs. Alors que nous devrions célébrer ma première sortie à la tête d’un bataillon qui, grâce à Dieu, s’est soldée par une victoire éclatante, vous êtes là à m’en ôter le plaisir ! dit le prince Sakandeli n’écoutant que le son de sa propre voix dont il tirait visiblement une réelle satisfaction.

 — Mais ! Mon prince !

 — Il suffit capitaine Nestchadymenko ! Vous ne méritez même pas votre grade ! Je suis sûr que ce petit Tcherkesse que vous vouliez exécuter à plus de mérite et de courage que vous ! Tenez ! Amenez-le-moi donc ! », ordonna le prince Sakandeli.

 Nestchadymenko, bien qu’étonné s’exécuta sans mot dire.

 « Vous là ! L’Arménien ! Vous parlez le circassien n’est-il pas ? interrogea le prince en daignant poser ses gros yeux tombant d’ennuis sur le marchand.

 — Bien entendu votre Excellence ! Je parle le circassien, l’arménien, le turc ottoman et de Perse, le tatar, le russe, le géorgien, l’arabe et le français. Ces connaissances me sont plus que requises pour exercer dans le milieu des affaires ! répondit Krikor d’une voix mielleuse en posant sa main sur le cœur.

 — Bien, Arménien ! Dites à ce Tcherkesse que je lui propose un petit arrangement. Je lui propose de l’épargner lui et sa sœur, même mieux, de les prendre sous ma protection si, il sort vainqueur d’un duel contre le capitaine Nestchadymenko. »

 La demande du prince surprit ceux qui purent l’entendre. Elle arracha un rire contenu à Krikor qui se pressa de traduire les propos. Nestchadymenko éclata de rire.

 « Mon prince ! Votre excellence ! Avec l’ultime respect que je vous dois ! Votre proposition est insensée ! Je ne retiendrais pas mes coups et cela risque d’être un massacre !

 — Si c’est ce que vous pensez capitaine Nestchadymenko, tant mieux pour vous ! Si vous l’emportez je fermerais les yeux pour cette fois et vous laisserez mener vos petites affaires avec cet Arménien. Mais je me méfierais si j’étais vous tout de même ! Ce petit a du feu dans les yeux !

 — Mon prince, interrompit Krikor, le Tcherkesse accepte votre offre. Il est prêt à se battre.

 — Excellent ! dit le prince Sakandeli en tapant des mains, Voilà ce qui va clore cette journée sur un peu d’amusement ! »

 Temirjan acceptait. Avait-il un meilleur choix ? Avait-il même un autre choix ? À vrai dire, l’intervention du prince Sakandeli l’avait sauvé d’une mort certaine. Bien entendu, le prince Sakandeli n’avait que faire du sort de Temirjan et il ne voyait dans ce duel qu’une opportunité de distraction. Le prince voulait du spectacle ? Temirjan lui en donnerait volontiers si cela lui permettait de récupérer sa sœur et d’échapper à la mort.

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