Le magicien annonça la séparation temporaire du groupe, prétextant que leur attroupement ralentissait considérablement leur avancée. La bande de l'Hirondelle noire comptait un bien trop grand nombre d'individus pour être divisée, ce pourquoi le magicien leur conseilla de prendre un chemin différent en gardant la totalité de leur effectif sous la main. Lorsque Ser Klair assura qu'ils étaient leur protection, Olgeirth lui certifia que dans ces bois ils ne couraient aucun danger, que le combat n'aurait lieu qu'une fois la cité atteinte. Lilian acquiesça avec joie, ou presque, et déclara vouloir attendre avant de partir. Le magicien se réjouit à l'entente de cette nouvelle, ça l'arrangeait. Le destin, pensait-il.

Avant de s'en aller, il lui restait une tâche à accomplir, à l'aide de ses deux secondes. Une tâche dangereuse. Il devait engendrer un totem à son image, un leurre temporaire pour les créatures démoniaques qui le poursuivaient, et par la même occasion se débarrasser d'une bande de rapaces. Il confia à Adan la tâche du prélèvement. Créer un leurre totémique nécessitait une quantité conséquente de sang du concerné, de la terre imprégnée de magie – ce qui n'était pas chose difficile à trouver, puisqu'ils foulaient les terres de Broscyliande, un bois né de magie ancestrale. Delhass, lui, devait s'occuper de trouver un cœur plein de vie, le moment venu. Alors qu'Adan perçait l'avant bras du magicien, à l'aide de matériel de perfusion, Delhass, lui, repérait sa proie parmi les mercenaires.

— Ça suffira, lança Adan, une fois la moitié du seau rempli.

— Non, plus.

— Quoi ? Mais vous allez vous évanouir si on vous prend plus de sang !

— Pour ce type de sortilège, la magie requiert souvent la moindre goutte.

— N'allez pas croire que je vous laisserais vous vider, vous n'allez pas me clamser sur les bras.

Le magicien sourit à sa remarque, avant de s'adosser à un tronc d'arbre coupé. Il ferma les yeux, se laissa porter par ses pensées. Delhass revint, un gaillard assommé sur l'épaule.

— On a tout ce qu'il faut ? Hein, mais qu'est-ce t'as foutu ! Il est encore plus pâle que moi ! tonna l'Elfe à peine arrivé.

— Ferme ta grande gueule ! Tu vas les alerter !

— Je vais bien, j'ai insisté pour le prélèvement, répliqua le magicien d'une petite voix.

— Mais vous n'aurez pas assez de force pour accomplir le rituel ! Vos paupières restent à peine ouvertes !

— Tais-toi et apporte moi le mercenaire...

_

Rattraper Valence et les autres fut difficile, le magicien épuisé et presque mourant ne pouvait tenir par lui même. Delhass et Adan durent se partager son poids sur les épaules et le soutinrent jusqu'à destination.

La Cité Blanche était enfin là, devant lui. Fière, sublime et immaculée. Quel étrange spectacle était-elle, composait de statues tantôt immenses tantôt microscopiques. Tous étaient vivants avant de devenir de la pierre, une puissante magie les imprégnaient, se dégageaient d'eux en fines et distordues volutes lumineuses que seuls les créatures magiques apercevaient.

— Il faut atteindre la source, elle est la seule à être épargnée par la malédiction ! hurla le magicien, à peine remis sur pieds à l'aide d'une de ses décoctions.

— Si on passe ses arches, on y restera ! On partagera le même sort que ces pauvres bougres ! surenchérit Zélyx, foudroyant Olgeirth du regard.

— Nous allons créer une barrière de végétation, ça sera très épuisant. Si l'un de nous fatigue, nous seront tous perdus.

— Pourquoi une barrière de végétation ? demanda une des sorcières, à moitié convaincue.

— La magie transforme en pierre ce qu'elle croit vivant, répondit Delhass.

— Qu'est-ce qui nous garantit que ça fonctionnera ?

— Nous n'avons pas vraiment le choix. Plus vite nous y allons, plus vite vous aurez votre récompense et plus encore..., répliqua le magicien, ce qui acheva de les convaincre.

Les dompteurs de magie adoptèrent une formation en cercle, tandis que les scribes se positionnèrent au centre, prêts à avancer. Des effluves magiques, des cercles et des arabesques dansèrent dans les airs avant de former un dôme de branches et de feuilles en perpétuel mouvement.

— Maintenant ! tonna Olgeirth.

Et ils avancèrent tel un seul homme. La progression fut difficile voire impossible.

— Je ne tiendrais pas ! soupira une des sorcières, des filets de sang lui échappant des narines.

— Ne lâchez surtout pas !

— Elle ne pourra jamais tenir ! Elle fait une hémorragie, et elle n'est pas la seule ! hurla Valence, alors qu'un violent vent s'était levé, ralentissant encore plus leur progression.

— Je ne veux pas finir ici ! cria à gorge déployée une des sorcières avant de briser le cercle.

— NON !

Son dernier souffle, son dernier soupire, son dernier mot était un hurlement qui se perdit dans le ciel, un écho de désespoir répondit à sa supplique alors qu'il se changeait déjà en pierre lui et les siens. Le dôme végétale n'eut point le temps de se dissiper, lui aussi figé à jamais dans le temps. On pouvait entrapercevoir des visages pétrifié par la pierre, des mains tendues vers le ciel et des regards vides qui s'y perdent. Ils avaient rejoint le magnifique ballet silencieux des statues sans voix. Ils avaient rejoint la prison de l'Astre noir, la prison de l'impitoyable Scharb'rask Ïn.

Avant de mourir, Olgeirth comprit qu'il s'était fourvoyé. La Cité Blanche n'était pas vraiment dissimulée aux yeux du monde. Elle y était exposée, et restait malgré tout impénétrable. Ceux qui la découvraient tentaient d'y entrer, et n'en revenaient jamais. Voilà pourquoi son histoire fut oubliée.

L'histoire de Scharb'rask Ïn, la cité de la déesse impitoyable.

Mais Olgeirth ne s'appartenait pas, alors peut-être que ces vieux démons referont surface...