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C'est quoi cet endroit ? demande Milo.

L'Ombre grimace. L'enfant sourit.

Un lieu en souffrance. Mourant.

Milo lorgne le vide.

Ça, j'avais deviné.

— Non. Vous restez aveugles à ces choses-là. Le monde est brisé. L'a toujours été. Tu n'avais simplement jamais remarqué.

L'Ombre feule. L'enfant soupire.

Je me sentais à l'étroit dans l'univers, alors je suis venu nicher ici.

Milo tâchait d'oublier le vaste vide qui l'entoure : c'est manqué.

Mon Ombre ne t'effraie pas ? Les autres s'enfuient, d'habitude.

Milo hausse les épaules, trop fatigué pour argumenter.

Si un môme n'a pas peur, c'est que tout va bien.

— Ne te fie pas à tes sens. Je n'ai rien à craindre de Mère.

Notre héros n'a pas l'énergie d'être étonné.

Voici l'embranchement des époques et réalités. D'ici, tu peux atteindre n'importe quel endroit, à n'importe quel moment.

— Je peux rentrer chez moi ?

— Si tu trouves le chemin.

— J'ai perdu ma porte. Tu saurais où elle est... partie ?

L'Ombre gronde. L'enfant glousse.

Je vois. Bienvenue au Nulle-Partout, berceau des portails qui s'ouvrent et des portails qui se ferment ; des portes d'entrée et des portes de sortie ; des passages vers partout et des passages vers nulle part. Ce ne sont pas les mêmes, bien entendu. Tu as emprunté une porte d'entrée, tu ne peux donc pas en ressortir.

— Comment je rentre, alors ?

L'Ombre dévoile des crocs ténébreux. L'enfant lunaire continue de sourire.

Ces portes, elles relient passé et futur, mais jamais le présent : trop fugace, trop fluctuant.

— Je peux même pas rejoindre mon temps ?

— Tu n'as jamais pu et tu ne le pourras jamais. Le présent s'est envolé, évaporé. Parti en fumée.

Milo baisse la tête. Ou la lève, car plus rien n'a de sens.

Nul besoin de rentrer. Il y a ici de quoi t'occuper. Veux-tu plonger dans l'éternité ?

— Pourquoi pas... Attends, c'est un euphémisme pour « mourir », c'est ça ?

L'Ombre s'ébranle. L'enfant nivéen hausse les épaules.

Ah. Non merci, alors.

— Sage décision. D'autant que ton espèce n'est capable d'appréhender qu'une infime portion de la réalité. Plus vous repoussez les frontières de votre perception, plus vous risquez d'outrepasser les limites de votre esprit. Je te suggère donc d'emprunter une porte, et vite.

Milo tend les mains, amorce une brasse maladroite vers le tout et le rien.

Une dernière chose... À tout hasard, tu connaîtrais pas le secret de la vie ?

— L'ingrédient secret ? Une pincée de carbone et d'H2O sur ton monde. Tu ne le savais pas ?

— Non, je veux dire... Qu'est-ce qui rend la vie spéciale ?

L'Ombre ouvre une gueule béante. Le sourire sardonique de l'enfant s'élargit.

Rareté miniature et éphémère dans un univers un million de fois millénaire, parmi les géants abyssaux. Voilà qui est plutôt spécial.

— Laisse tomber, tu me déprimes juste.

Le sourire de l'enfant s'accroît ; un croissant de lune sur le fond de la nuit sans tréfonds. L'Ombre s'enroule autour de lui.

Peur de mourir et peur de vivre, comme le reste des visiteurs.

Le jour de ton retour, il pleuvra.

Milo acquiesce. Il pleut toujours là d'où il vient ; dans le ciel ou dans sa tête. Il traverse la première porte à portée ; à son insu, une part de l'enfant s'invite en ses pensées.

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