Dans un tonnerre de casseroles, la navette se crashe à travers une sphère de verre sur un champ de tournesols. L'équipage s'en extrait, chamboulé et secoué, quand une sombre figure cagoulée les prend en filature. Bardan prend ses jambes en coton – et celles de ses compagnons – à son cou de taureau et déguerpit aussi sauve-qui-peut que permis.

— Merde, jure Louboutou d'un ton calme et assuré. Il nous a suivis.

Milo s'étrangle à moitié.

— Le... Le tueur...?! Qu... Quoi ? Mais ! On était... dans l'espace ? Une navette... Et lui pas ! Comment il a... ? Je pensais...

— Tu devr4is arrêt3r, conseille le robot depuis l'autre épaule. Ç4 t3 réuss1t pa5.

Bardan freine soudain, dessinant deux sillons qu'un tracteur non loin applaudit. L'ennemi se rapproche, et Ruleck palpite :

— Pourquoi tu traînes ? Fonce !

Mais le mastodonte dépose nos amis face à l'obstacle : une fillette venue faire sa cueillette, si l'on en croit le bouquet de tournesols qui lui sert pour l'heure de parasol.

— Hé ho, les poteaux ! Ve fuis là !

Louboutou la pointe du doigt, un sourcil incertain en ascension sur le front. L'enfant plante son bouquet grand comme un pommier et y adosse sa bosse. L'assassin les rattrape et s'arrête aussi, intrigué.

— Euh... Bonjour.

— Coucou les copains ! F’est moi !

— C3 spéc1men 5emble c0incé d4ns un3 b0ucle itér4tive.

— Ooooh ! Qu'est-fe qu'il est mignon, lui !

— B4s l3s patte5 ! D357RUC710N !

— Calmos, Robot.

— J'a1 un n0m, d'4bord ! J3 m'4ppelle Cicér0n ! C1céron l3 Cycl0tron !

— Mais... T'es même pas un cyclotron.

— Chhhh ! Ros4line ne s0rt qu'av3c des cyclotron5.

— Vous sortez ensemble ?

— Et ça commence par des mensonges ?

— V0us n3 compr3nez r1en à l'4mour, b4nde de bl0cs d3 b1doche.

L'assassin toussote poliment, sa tronçonneuse toujours à la main. La fillette enthousiaste tend un carton d'invitation décoré de paillettes parfum violette.

— Ve fête mon anniverfaire. Rendez-vous touf fez moi fe foir !

Spara tourne et retourne le carton à la vitesse d'un éventail plasmo-nucléaire.

— Il manque l'adresse, gamine.

— Mon papa a dit que vous trouverez : f'est Verfailles.

— Hm, O.K. On est où là, Ruleck ?

— Serres miraclimatiques de l'omégalopole de Bourre-sur-Yvette.

— Oh, y'a pas loin ! On fera un saut de puce, petite.

— Ouaaaiiiis !

L'enfant arrache son bouquet démesuré du sol, puis court et rigole au hasard, vers les prochains destinataires de ses faire-part. Le tueur à gages serre sa cravate et se racle la gorge.

— Eh bien ce fut un plaisir, mais on m'attend pour une soirée.

— À plus tard, tocard.

— À la revoyure, enflure.

— Bisous, choubidou.

Dans le sillage du tueur à gages, les foudres conjuguées de Bardan, Louboutou et Spara tombent sur Ruleck. Elle se rabougrit aussi sec.

— Pardon... J'ai improvisé, je me suis emmêlée.

Louboutou secoue la tête et soupire un concert mélodramatique, amplifié par le micro-sono intégré du robot.

— Et comment l'interface 8-Millenium fait pour te confondre avec un cyclotron ?

Ses vis se plissent.

— El1e n3 s4it pa5 c3 qu3 c'e5t, ell3 s4it ju5te qu'1ls s0nt géni4ux. E7 j3 sui5 gén1al, erg0 j3 su1s un cyclotr0n !

— Pff, je dois vraiment la mettre à jour.

Ses boulons crissent, mais Cicéron se tait... pour l'instant.

— Elle a vraiment dit Versailles ? songe Milo à voix haute. Comme « le Château de » ?

Spara se pince le menton, à l'affût de nouveaux blablas confus.

— Oui. T'as besoin qu'on t'explique des mots ?

— Non...

— Alors pourquoi toutes ces questions ?

Une nouille orange et bleue balaie le regard vitreux de notre voyageur malheureux, et lui fait oublier de rétorquer que cette fois-ci, il n'en a posé qu'une.

— Eeuuh...

— Bon, on part à la fête ou on campe ici ?

Milo écarquille les soucoupes de ses yeux.

— On y va vraiment ?

— Bien sûr.

— Pourquoi ?

— Pourquoi pas ?

Il tend un doigt tremblant vers le dos maintenant lointain de l'assassin, mais Louboutou le met au parfum :

— Sécher une fête ne résoudra pas tes problèmes bancaires.