Inconnu
Papa, maman,
Je vous écris cette lettre en sachant pertinemment que vous ne la lirez pas. Elle sera censurée. Mais je l'écris car j'en ai besoin. Vous vous doutez sûrement qu'être soldat, c'est dur. Très dur. Mais ce que vous ne savez pas, c'est qu'en réalité, c'est un véritable enfer. La plus infime trace de vie a quitté les champs de bataille depuis bien longtemps. Nous, soldats, nous nous noyons dans la violence et dans l'alcool. Nous sombrons chaque jour plus profondément dans la folie. La peur a remplacé nos pensées et la détermination et l'assurance des premières semaines s'est évaporée depuis des mois. Nous ne sommes plus des hommes. Nous sommes des animaux, des monstres. Nous sommes morts alors même que nous vivons encore. La seule chose à laquelle nous savons encore penser, c'est cette envie de fuir loin, d'arrêter de se battre et de tout quitter. De trahir les nôtres. N'importe quoi pour arrêter cette guerre. Plus personne ne veut appuyer sur la gâchette. Vous rendre-vous compte que nous tuons ? Vous pensez que les Allemands sont mauvais, mais ils sont comme nous. Méconnaissables. Monstrueux. Eux aussi ont perdu toute volonté. Français comme Allemands, nous tirons car on nous en donne l'ordre. Personne ne veut plus de cette guerre interminable. Chacun veut baisser les armes.
Vous autres à l'arrière pleurez vos enfants morts et êtes soulagés de chaque jour que nous vivons. Mais nous passons nos journées et nos nuits à tuer. Nous tuons les enfants de parents comme vous, qui pleureront leur fils perdu à la guerre. Nous bombardons des soldats qui ont eux aussi des frères et sœurs, des parents, des femmes et des enfants. Nous ôtons la vie d'un fils, d'un père ou d'un époux, laissant derrière lui les larmes des siens par notre faute. C'est intenable. C'est l'enfer.
Je suis fatigué de me battre, je ne veux plus tuer. Je rêve de déserter.
Un soldat qui n'est plus votre fils
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