2.5

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 Deux lanternes faiblardes, posées à mêmes le sol, éclairaient le jardin royal. De chaque côté étaient projetées les ombres des plantes, déployées comme un amas de tentacules sombres vers une Lune écrasée par des nuages noirs. Malki, assis en tailleur, contemplait l’obscurité céleste.

 « Eh bien, qu’est-ce que tu fais là ? demanda Pratha.

  • J’avais besoin de prendre l’air. Je pensais à Jébril.
  • Jébril ? répéta Yuva en tassant du tabac dans sa pipe en bois.
  • Un compagnon de route, parti en Litania, expliqua l’ancien adepte.
  • Je me demande ce qu’il devient, ce qu’il fait en ce moment même ; est-il arrivé à Trecorrinti…
  • Oh, je crois que Jébril n’est pas le genre d’homme à se laisser dominer par quelque force que ce soit, affirma Pratha ; ce n’est qu’une question de temps avant qu’il ne forge son propre destin. Et puis, le savoir en présence de Mâstar me rassure.
  • Ce Mâstar est un autre de vos compagnons ? demanda Yuva après une longue bouffée.
  • On peut dire ça, sourit Malki. C’est un clebs… et quel clebs, par le Prophète ! Ha, vraiment, un fauve pareil, jamais il me serait venu à l’esprit de le sauver ! Si ça n’avait tenu qu’à moi, je lui aurais attaché une pierre autour des jambes et je l’aurais donné à manger aux poissons, tiens ! »

 Yuva, de la fumée encore plein la bouche, s’étouffa avant de rire à gorge déployée.

 « Eh bien, fais attention, déclara Malki.

  • Ha, je m’y attendais pas, répondit Yuva dans un raclement de gorge.
  • Dire que Jébril a réussi à canaliser ce démon, ça tient du prodige. Tu sais, Uttamir n’était vraiment pas mauvais ; peut-être te l’a-t-il dit, mais il nous arrivait fréquemment de recueillir des chiens égarés.
  • La Loi de l’Hospitalité, même pour les animaux, hein ? sourit le Rébéen.
  • Hm… vous êtes un adepte d’Apourna ? nota le garde prétorien. Maintenant que vous le dites, c’est vrai que ça vous va bien.
  • Était, corrigea Pratha.
  • On peut s’en faire bannir ? Je n’ai jamais entendu d’histoire semblable.
  • Je n’ai pas été banni… c’est moi qui ai pris ma liberté.
  • Pourquoi avoir fait un tel choix ? »

 Pratha jaugea la psyché de Yuva et se décida à s’ouvrir ; après tout, qu’avait-il à perdre ? Il prit soin de ne révéler aucune information compromettante, se focalisa entièrement sur sa propre expérience. Pour la première fois de sa vie, il s’en rendit compte, face à la difficulté de l’exercice, il produisait une auto-biographie, aussi courte soit-elle.

 Il évoqua, non sans verser une larme, le visage de son vieux père, labouré comme son lopin de terre, la vie dans les champs sous le ciel grisonnant et gorgé d’humidité du Djahmarat, à quelques centaines d’arbres du faubourg de Jangourta, l'habitude de croiser une faune multicolore. Le jour où des Yeux étaient venus le chercher, vêtus de cet habit franchement cauchemardesque, recouvert d’une unique peinture ressemblant à un masque de théâtre. Les premiers temps au Chram, déboussolé, sa rencontre avec Gopta - ponctuée par une nouvelle larme -, puis son ascension au sein de la hiérarchie, le jour où le Grand Qalam l’avait pris dans ses bras, fier comme un père avec son fils, pour lui annoncer qu’il souhaitait lui léguer le monastère. Les entraînements rudes, les séances de méditation interminables, sa sensibilité aux psychés grandissant à mesure que s’affinait son esprit. Il en vint alors au jour où les Rébéens s’étaient présentés aux portes et conclut en quelques phrases son récit.

 Yuva ne détacha pas ses yeux des siens ; sa psyché passa par toutes les couleurs possibles, vibra au rythme de l'histoire. À la fin, le garde prétorien décida de ranger sa pipe et remercia le chevalier de s’être ouvert à lui.

 Malki, jouant avec une branche de buisson, posa alors une question au jeune homme :

« Maintenant que nous nous sommes ouverts à toi, c’est à ton tour.

  • Bien sûr, que voulez-vous savoir ?
  • D’où tu viens, ce qui t’a amené dans la garde rapprochée… Je ne connais rien du système pothari, et j’imagine que Pratha non plus.
  • Hm… Je le connais, mal, mais j’ai tout de même quelques bases.
  • D’accord. Eh bien, je suis né dans un petit village au sud d’ici, aux limites du domaine royal. Mes parents… »

 Un toussotement gras interrompit son récit. Suivi d’un autre. Malki sortit sa gourde et invita le prétorien à puiser dedans.

 « Eh, c’est qu’il faut y aller doucement, sur le tabac ! » rit-il.

 Son amusement se transforma en horreur lorsque Yuva posa son regard injecté de sang sur le sien. Les toussotements se faisaient de plus en plus graves, une terreur inimaginable envahit sa psyché, laquelle se mit à tournoyer dans les airs, à laisser pleuvoir du pourpre sur tout le jardin.

 « J’ai… j’ai mal… »

 Un jet glauque s’échappa de sa gorge et se constitua en flaque nauséabonde à ses pieds. Les mains crispées sur le coeur, Yuva tapait à s’en briser les os, comme si cela avait pu conjurer l’horreur dont il était victime.

 « Pra… tu savais ?

  • De quoi est-ce que tu parles ?! s’écria le chevalier, en proie à une panique intense.
  • Ta fiole… ta… tu savais…
  • Je ne comprends pas Yuva, je… Je croyais que c’était Kaliyutra qui… »

 Un éclair d’incompréhension passa sur le visage déformé par la souffrance de Yuva. Il tendit péniblement un bras vers la poche du chevalier.

« T’en as encore ?! hurla Pratha à l’attention de son ami.

  • De l’antidote ? Non, j’ai tout bu, j’ai écouté le Prince », répondit Malki, tremblant comme une feuille.

 Agenouilé dans son vomi, Yuva marmonna, entre deux projections de sang souillé, une dernère phrase :

 « Parvâta, vite… Parvâ… »

 D’intenses spasmes traversèrent son corps entier, vinrent clouer sa masse au sol. Baignant dans une mare de liquides corporels, les membres foudroyés par le poison, Yuva poussa un cri qui n’avait plus rien d’humain ; sa voix mit une longue minute à faiblir, avant de se laisser recouvrir par le voile de la mort.

 Tétanisés par cette vision d’horreur, cette peau blanche comme la Mort et cette langue violacée, Pratha et Malki ne relevèrent la tête que lorsque, jaillissant du toit de la salle de fête, d’immenses traînées psychiques envahirent le ciel comme des aurores boréales. La lumière s’éleva jusqu’à la Lune, en recouvrit l’image, puis une épaisse barrière psychique recouvrit le bâtiment. Seuls restèrent les échos lointains de cris d’épouvante, se faufilant à travers les rares fenêtres laissées ouvertes.

 « Je… Parvâta, il a dit ! Vite ! » s’écria Malki.

 Sa masse s’élança dans la direction des cris, suivie de près par Pratha. Les deux amis ouvrirent la porte dans un claquement et tombèrent sur un véritable cauchemar ; étendus un peu partout dans la pièce, des membres de la garde prétorienne baignaient dans des mares répugnantes, peau décolorée, regards pétrifiés par la peur. Tout autour, des courtisans tremblotant pleuraient à gorge déployée ou se tenaient droits comme des rocs, incapables de comprendre ce qui venait de se passer.

 « Majesté !! Majesté, vous êtes là ?! » s’écria Pratha.

 Derrière une foule amassée, un homme lui envoya l’image d’un corbeau fuyant la plaine. Le chevalier s’approcha, écarta les curieux, et découvrit, gisant aux pieds de son souverain, le corps encore traversé par quelques spasmes de Parvâta. Un épais poignard recourbé dans la main, son regard oscillait entre les jambes et le visage de Bhagttat, imprégné d’une furie glaçante. Au-dessus de lui, sa psyché faiblissait à vue d’œil, ne restait plus qu’un maigre filet d’énergie rouge sang. Un grognement s’échappait de ses mâchoires entre deux toussotements épuisés.

 « Oh, Bhagttat… Qu’est-ce qu’il… »

 Le prince imposa le silence d’un sourire à peine discernable. Pratha se contint et aperçut alors le Roi Kaliyutra, prostré contre un tonneau de cidre, les yeux habités par la folie. L’espace d’un instant, Pratha se demanda si lui aussi avait été foudroyé, tant le souverain semblait avoir perdu le contrôle de son être.

 D’un pas léger, Bhagttat s’approcha de lui, le domina un instant de sa stature, au point qu’on aurait cru voir un père et son enfant, puis il s’agenouilla et tendit la main au vieillard.

 Ce dernier tint à grand peine sur ses jambes, et dut se faire apporter un pantalon à ossature externe.

 L’assemblée tout autour, composée du cercle royal rapproché, maintenait un silence de mort ; les effluves souillées émanant des cadavres rendaient l’air irrespirable. Enfin capable de se tenir droit, le souverain ordonna dans un gargouillement sinistre ;

 « Que le Palais reste fermé pour cette nuit… Personne ne sort ; à vos chambres, s’il vous plaît. »

 Il s’appuya sur l’épaule de Bhagttat et se dirigea peu à peu vers une sortie donnant sur l’aile sacrée du Palais. Ce dernier éleva sa voix dans l’esprit de Pratha.

Une fois que tout le monde sera dehors, rejoins-nous, nous allons nous installer dans la salle de repos.

***

 Vartajj, assise sur un banc à l’extérieur, contemplait le ciel d’un air triste. Pratha, ayant besoin de compagnie et ne trouvant ni les Rébéens, ni Modshi, s’approcha, penaud, et demanda ;

 « Cela vous gêne, si…

  • Hm ? Non », fit Vartajj.

 Son visage, quoiqu’encore marqué par la froideur, se montra moins impénétrable que plus tôt dans la journée. L’ancien adepte se hasarda à poser une question :

 « À quoi pensez-vous ?

  • Moi aussi, je suis sous le choc, déclara Vartajj.
  • Quelque chose cloche, dans cette histoire, exprima Pratha.
  • Quoi donc ?
  • Je ne sais pas si je devrais vous le révéler, alors je vous prierai de garder ça pour vous… »

 Vartajj le dévisagea.

 « Le Prince nous a donné, à moi, aux Rébéens et à tout l’état-major, des fioles contenant un antidote, car il craignait une tentative d’empoisonnement de la part de Kaliyutra. Nous avons avalé le liquide peu avant le toast, à la fin du discours. Combien de temps est passé après, je ne saurais dire, mais j’ai bien cru que le pire était passé. Voilà qu’une fois à l’extérieur, en pleine discussion avec un garde prétorien, ce dernier se met à tousser, et, en l’espace d’une minute ou deux, finit à terre. Je rentre, et au lieu de voir mon souverain agoniser, c’est le second du Royaume qui trempe dans… »

 Pratha éluda, de peur que son haut le cœur ne lui fasse recracher son repas.

 « Et le Roi, qui s’appuie sur son épaule et ne semble pas lui en vouloir. J’ai beau tourner le problème de tous les côtés, mon esprit est incapable d’y trouver du sens. »

 Vartajj posa ses yeux sur l’astre lunaire, comme si elle y cherchait l’inspiration, souffla un grand coup, et déclara d’un ton étonnamment stable ;

 « Moi, je crois que je comprends. »

***

 Dans la salle de banquet ne restaient plus que la lueur des quelques brasiers encore en activité, les couleurs des plats à moitié pleins, le clapotement de gouttes de vin se déversant sur le carrelage, mais surtout l’odeur insupportable de la mort violente ; épaisse, humide, qui prenait à la gorge. Pratha déploya le masque de son armure afin de s’en protéger. Seule différence avec le moment d’avant ; le cadavre de Parvâta avait été exfiltré, ne restait plus qu’un liquide marronâtre comme marque de sa présence.

 Pratha évita soigneusement les corps rongés et se dirigea vers l’aile sacrée, referma la porte en évitant de faire le moindre bruit - il craignait, bien que ça ne soit pas très avouable, le tourment de toutes ces âmes probablement dans la même incompréhension que lui face à leur sort.

 Il arpenta un couloir désert, éclairé par quelques flammes langoureuses juchées sur des bougeoirs accrochés aux murs, découvrit des fresques de plusieurs mètres de long, fardées de couleurs vives, représentant à la fois des scènes de vie et religieuses propres à la région.

 Derrière une porte arborant un portrait géant d’Asimhar, crocs hérissés en direction du spectateur, Pratha remarqua les émanations psychiques tempérées du Prince, résistant aux vagues de sentiments turbulents dégagés par celle du Roi. Il poussa la porte et découvrit, largement éclairé par une flamme violette, le corps sans vie du colosse Parvâta, allongé sur un matelas, en position de méditation couchée. Les ombres de son cadavre, projetée sur les murs derrière lui, baignaient la pièce dans une atmosphère sinistre. Assis au bord d’une fenêtre à moitié plongée dans l’obscurité, Bhagttat et Kaliyutra parlaient à voix basse.

 Un sanglot sourd s’échappait de la voix du Roi, tandis que le Prince, le chevalier le comprit au son de sa voix, tentait en vain de le rassurer. À peine Pratha eut-il le temps d’entrer dans la pièce que la discussion se stoppa net, et que les yeux dorés de son souverain, comme s’ils flottaient indépendamment dans les ténèbres, se posèrent sur lui.

 Son cœur se mit à gronder dans sa poitrine, de plus en plus à mesure que la paire d’yeux se rapprochait, accompagnée par une odeur d’encens assez forte pour recouvrir celle de la mort.

 « Pratha, viens donc t’asseoir avec nous », suggéra le Prince avant de générer une flammèche au-dessus de sa main.

 Le tonnerre dans la poitrine du chevalier cessa lorsqu’il reconnut enfin le visage de son maître.

Pas d’électricité et les réserves d’huile à lampe étaient tout juste suffisantes pour la fête de ce soir : tu m’excuseras, déclara le Prince en pensée.

 Egaré dans ses lamentations, le regard perdu sur l’étendue assoupie de sa capitale, le Roi n’accorda qu’un bref regard à Pratha lorsque celui-ci s’assit à leurs côtés. Il ne le remarqua même pas, tant il était pris dans la contemplation morbide du visage barbouillé de sang et de bile du précepteur de son petit-neveu.

 « J’imagine que je te dois quelques explications, déclara Bhagttat.

  • Si ce n’est pas trop vous demander…
  • Allons, tu peux me tutoyer, je te l’ai déjà dit. »

 Pratha jeta un œil aux sillons gravés sur le visage du Roi.

 « Il en faudra un peu plus pour le choquer, tu ne crois pas ? » sourit le Prince.

 Il plongea sa main dans sa tunique et en dévoila une feuille de papier barbouillée d’écritures verticales. Pratha, sans pouvoir les comprendre, reconnut là un message en apshewarais, marqué par un sceau à l’effigie d’un combattant à cheval, ceint d’inscriptions en lettres dorées.

« Qui est-ce ? demanda-t-il.

  • Eh bien, j’aurais cru que tu le reconnaîtrais ! répondit le Prince en partant d’un rire aussi léger que la fumée de l’encens.
  • Je regrette, mais sa tête ne me dit rien.
  • C’est parce que les Jarapouris le représentent mal. Il ne te dit rien, vraiment ? Si je te parle des Guerriers de l’Ouest, ça te dit quelque chose ? »

 Le nom évoqua à Pratha des souvenirs enfouis du Chram, de l’époque où Gopta et lui se cachaient dans les granges ou à l’arrière d’une tente pour dévorer ces « crottins qu’on ose appeler littérature », comme les désignait le Grand Qalam.

 Le chevalier étouffa son penchant à la nostalgie et demanda :

 « Ghoïskan ?

  • En effet. La jeune femme qui est venue me rendre visite dans ma chambre, en début de journée, l’a retrouvée dans les quartiers de Parvâta.
  • Ça n’a pas été une mince affaire », déclara d’un ton amusé une voix féminine, derrière Pratha.

Ce dernier sursauta et reconnut, une lampe à huile dans la main, le visage félin de la jeune femme.

Tasî, c’est ça… ? pensa le chevalier.

 Il reçut un sourire à la fois effrayant et séducteur, sorte de point de chaleur sur un visage parmi les plus glaciaux qu’il ait jamais vu.

 « Le Palais est clos ? demanda le Prince.

  • Tout est bon, Sire. »

 Tasî s’agenouilla, lui remit un rapport de la taille d’un feuillet, et, après une lecture de sa part, sortit de la pièce sans un bruit.

 « Sa psyché… ? Je… bredouilla Pratha.

  • Tu ne l’as pas sentie ? C’est tout à fait normal, moi-même, je ne la sens pas toujours arriver. »

 Le Prince posa sa main sur l’épaule de son chevalier, et reprit, comme si de rien n’était :

 « Pour en revenir à la lettre, elle a été rédigée par un riche industriel occidental, à l’attention de notre cher Parvâta ci-gisant ».

 La remarque fut accompagnée d’un sourire macabre. Peu porté sur ce genre d’humour, Pratha s’excusa intérieurement auprès de la dépouille.

 « L’homme s’appelle Sélim Silberçiçek, j’imagine que son nom ne te dit rien. Retiens juste qu’il s’agit d’un des membres les plus importants d’un consortium minier très influent au sein de l’Assemblée des Völks.

  • Le… ?
  • L’organe le plus puissant d’Apshewar. Parvâta et Silberçiçek entretenaient une correspondance depuis sept ans. J’ai chargé les Étoiles de l’Ombre de tout éplucher, on devrait en avoir pour deux jours.
  • Je ne comprends pas… vous voulez dire que Parvâta… »

 Bhagttat lança un regard plein de mépris sur le cadavre, puis il reporta son attention sur son chevalier :

 « Au contraire, tu as très bien compris. Ils avaient passé un marché ; l’un obtenait un accès aux ressources minières du Royaume, l’autre récupérait un trône. »

 La simple évocation de cette réalité relança les pleurs du Roi.

 « Je… je n’ai jamais eu de fils, déclara ce dernier. Les Grands m’ont refusé ce bonheur, ainsi soit-il. Parvâta était… »

 Il n’eut pas besoin de finir sa phrase.

 « Alors le poison, c’était…

  • Oui. »

 Vartajj avait eu raison, sur toute la ligne. Sa voix résonna dans le crâne de Pratha, son visage perdu dans la contemplation du ciel apparut à ses yeux.

 « Parvâta fait partie d’une race trop ambitieuse, il ne peut tenir en place ; j’ai appris à reconnaître ce genre de choses. Je suis prête à parier avec vous qu’il préparait un complot à l’encontre du Roi. Et quel meilleur moment (son intelligence émanait plus fortement que jamais de ses yeux), que celui où les armées du Djahmarat, les seules capables de s’opposer au coup d’État, seront occupées à lutter au sud, pour le mettre à exécution ? En vérité, Bhagttat a suivi à la perfection les enseignements de Maître Velli.

  • Dans le Souverain ?
  • Oui. Maître Velli conseille au dirigeant d’éteindre la race des princes des États dont il veut s’emparer s’il souhaite les conserver, ou, à défaut, des races de princes concurrentes à la sienne qui peuvent se développer au sein de son territoire. Or, vous l’avez vu comme moi, la dynastie des Suryakas…
  • La… ?
  • La famille de Kaliyutra - il serait temps de vous mettre à la page -, sourit la jeune femme. Je disais donc que la dynastie est dégénérée, sclérosée, à l’image du pays tout entier. La vraie race de princes, c’est, enfin, c’était celle de Parvâta. Lui et ses hommes disposaient d’une… Un philosophe - Rébéen, cette fois - désignait ça avec le terme d’asabiyya ; nous n’avons pas d’équivalent par chez nous, mais cela correspond à un esprit d’unité et de solidarité, la conscience et la volonté d’appartenir à un groupe, comme…
  • Comme au Chram, coupa Pratha.
  • Comme au Chram, en effet - j’attribue d’ailleurs votre survie au fil des siècles à la cultivation de ce trait -. Enfin, où en étais-je…
  • Vous parliez de la suppression des concurrents.
  • Oui, c’est cela ! Ce que Bhagttat a évité, ce soir, c’est un coup d’État dans le meilleur des cas, une révolution sanglante dans le pire.
  • Mais, Yuva… dans tout ça… ? Et les autres…
  • Oh, quelque chose me dit que les cibles ont été savamment choisies ; nous découvrirons dans les prochains jours qu’ils trempaient tous dans le complot. D’ailleurs, ce n’est pas bien compliqué à voir, il suffit de voir l’énergie vitale qui animait le moindre de leurs mouvements, le moindre souffle. Ces choses-là, Pratha, se reconnaissent. »

 La jolie voix de Vartajj disparut, la vision s’obscurcit, jusqu’à ne laisser plus que la place à la noirceur de la salle de repos.

 « Tu es revenu parmi nous ? demanda Bhagttat.

  • Oh, je… je vous prie de m’excuser.
  • Il n’y a pas de mal, j’avais conscience, en te convoquant, que ce genre d’événements pourraient te perturber ; c’est précisément pour cela que je t’ai fait venir. »

 Bhagttat rangea la lettre, tendit son bras au Roi, et l’aida à se relever.

 « Je veux que tu t’habitues à la réalité de ce monde. Que du cocon tissé durant ta première vie sorte le papillon resplendissant qui sommeille en toi. »

 Il invita le chevalier à le suivre en direction vers la porte à l’effigie du dieu-lion, et déclara, avant d’actionner la poignée ;

 « Pratha, je veux que tu saches une chose ; je pense toujours ce que j’ai dit, lors de notre entrevue avec le Grand Qalam. Ton potentiel est immense, mes espoirs le sont tout autant. »

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