Un silence crucial
Je suis plongée dans le silence. La maison est si calme que j'entends les battements de mon propre coeur. Je suis à quatre pattes sous la table en bois de la salle principale, priant pour qu'il ne me trouve pas. Je formule les mots dans ma tête pour ne faire aucun bruit, car je sais qu'au moindre son, il saura où je suis.
J'entends soudainement des pas dans l'escalier. Je retiens ma respiration. Ils se rapprochent. Il sera là d'une seconde à l'autre. . .
Je vois ses jambes apparaître dans la salle et la parcourir lentement. Le son de ses chaussures noires contre le plancher est le seul qu'il produit. Il passe juste devant la table et s'immobilise brusquement. Je ferme mes yeux bleus, croyant être découverte, m'attendant à ce qu'il vienne me chercher, mais j'entends bientôt à nouveau ses pas. Je rouvre les yeux. Il s'est remis à marcher et s'éloigne petit à petit. Le bruit qu'il fait en avançant faiblit de plus en plus, jusqu'à devenir inaudible.
Je pousse un soupir de soulagement, mais je n'ai pas le temps de faire quoi que ce soit d'autre : je sens soudain une main attraper fermement ma cheville et me tirer brusquement ! Je pousse un cri de suprise et de puissants bras m'entourent pour me porter en l'air, tandis qu'une voix grave me lance :
- Je t'ai trouvée.
- Bien joué, papa ! Ha ha ha ! Tu m'as fait peur !
- Je ne vois pas pourquoi tu as eu peur. Tu savais que ce n'était que moi.
- Oui, mais je ne m'attendais pas à ce que tu m'attrapes à ce moment et surtout pas de cette façon. . . Tu es vraiment doué à cache-cache. Tu devais souvent faire ce jeu lorsque tu étais enfant.
- Pas du tout. Je n'ai jamais vraiment eu le temps de jouer lorsque j'étais enfant. J'étais bien trop préoccupé par ma survie.
- Oh. . . fis-je, peinée pour lui.
- Ne sois pas triste. J'ai juste eu une enfance différente de la tienne et de celle de ta maman et c'est du passé maintenant.
En l'entendant évoquer le passé de maman, je tourne mon regard vers la cheminée sur laquelle repose un cadre contenant une photographie en noir et blanc. Elle représente ma génitrice enfant aux côtés de mon oncle Sieg. Ils sont assis sur les genoux de mamie Dina. Papi Grisha se tient debout à côté d'eux. Ils sourient tous à l'obectif. Elle m'a expliqué qu'elle avait moins de cinq ans lorsque cette photographie a été prise.
- Maman m'a dit que c'était le seul souvenir matériel de son enfance, déclaré-je à papa en lui désignant l'objet.
- Je sais.
- Est-ce qu'il t'en reste un ? lui demandé-je.
- Oui.
- Montre-le moi, s'il te plait ! réclamé-je, curieuse et enthousiaste à la fois.
- Il est sous tes yeux depuis le début, m'informe-t-il en posant une main à la cravate blanche qu'il porte toujours autour du cou. À l'origine, c'était la robe de ma mère. J'en ai récupéré un morceau au moment de quitter les bas-fonds où j'ai grandi et je le garde toujours sur moi depuis.
Fascinée et touchée par l'histoire de ce tissu, je le touche délicatement du bout des doigts. Papa ajoute :
- Un jour, il sera à toi. . .
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