Futur
Fin décembre 6h00 le réveil sonnera
Le café coulera, péniblement asthmatique
Envie de tartines, de pain frais, de beurre premier choix, envie de revenir à sa vie d’avant, mais il s’en passera vu que sa tune passe quasi intégralement dans le picrate et que la tune se fait rare, en plus
Il passera sous la douche pour tenter de se réchauffer les os et s’habillera avec ce qu’il trouvera éparpillé dans son studio
Il ne rasera plus qu’une fois par semaine pour économiser la mousse à raser, mais se lavera encore les chicots, par nécessaire hypocrisie sociale
Impossible de prévoir les horaires des bus, il espérera juste qu’arrivé à l’ANPE ou aux ASSEDIC, il ne se tapera pas la queue dehors dans le froid, sous la neige, à battre le pavé avec les autres fantômes de la vie civile
« Quelle est la différence entre un fonctionnaire et un chômeur ?
Le chômeur a déjà travaillé »
Pense-t-il in petto, le regard noir, avachi dans un vilain siège de métal criard et inconfortable, vissé au sol pour ne pas avoir la tentation de le balancer à la gueule de ces fétides gestionnaires de misère
Assis avec son ticket de passage à la main, il vérifiera compulsivement qu’aucun papier ne manquera dans son dossier, synonyme de deux heures d’attente pour rien et de quinze jours minimum de démarches supplémentaires dans diverses administrations éparpillées aux quatre coins de la ville, en prime
La conseillère sera de toute manière expéditive et pète-sec comme à son habitude, consultera son écran d’ordinateur en lâchant juste des hum, hum, y a rien pour vous comme annonces susceptibles de correspondre à vos compétences, suivant, basta, dehors, ouste et re-bus, dix minutes seulement après être rentré dans son bureau, comme à chaque fois d’ailleurs
Et la matinée passera dans ce désespérant vide administratif
Il trouvera un jour son vieux chat mort dans un coin au milieu des bouteilles vides et des poubelles pas descendues
Saloperie de chienne de vie râlera-t-il devant son cubi, effondré dans son fauteuil usé et sans mousse qui lui fera mal au dos, peinant à être plus triste encore, passablement anesthésié qu’il sera par l’alcool de mauvaise qualité
Un jour de printemps, pluvieux et glacial
Il aura bu le café froid de la veille en guise de petit-déjeuner
Quelques chips ramassés avec les poussières du plat de la main sur la table basse lui serviront de souvenir lointain de tartines
Ce sera en fin de matinée qu’il sortira de sa torpeur et prendra sa douche et s’habillera en tentant de garder un équilibre bien précaire
Il ne se rasera pas ayant depuis pris cette habitude apathique et se brossera malgré tout les dents, longuement pour tromper un peu l’ennui et se fera saigner les gencives
Il aura fait toutes les démarches possibles et imaginables, il connaîtra par cœur les bureaux de la CAF, de l’ANPE, des ASSEDIC, mais aussi les différents bureaux de la mairie, mais ce qu’il tiendra à la main après être allé chercher son courrier aura valeur de fin du monde : il sera en fin de droits et ne touchera désormais plus que le RMI, mais seulement après avoir effectué moult démarches administratives pour espérer prétendre y avoir droit, démarches qu’il ne fera de toute façon pas, fatigué qu’il sera de toute cette inutilité à se justifier pour tout et tout le temps, pour un résultat illusoire en plus
Il ressortira illico s’acheter au Discount Price, avec ses derniers ronds, de quoi boire en chantant tristement comme un clown pathétique ce qui fera rire de malveillance les gamins du quartier dont il sera devenu l’attraction journalière
« Quand mon verre est plein, je le vide,
Quand mon verre est vide, je me plains »
Il finira la journée en se saoulant consciencieusement la gueule et en gerbant dans son studio et en gueulant contre ce monde de pourris et de grandes salopes et de vendus et en shootant dans les poubelles entassées qu’il éventrera
C’est au poste, où là aussi, il commencera à avoir ses petites habitudes et où on ne l’appellera plus que par son surnom, peu flatteur au demeurant, qu’il décuvera sur la froide banquette de béton non sans avoir reçu au passage quelques coups de matraque bien sentis de la part des cognes histoire de rire un peu à ses dépens de ses pantomimes de poivrot instable
Un jour de pluie aigre en fin d’automne 4h53
Ce sera le passage des éboueurs qui lui signifieront que la nuit sera finie et qu’il aura intérêt à vite décamper avant que les flics le lui fassent comprendre à coups de lattes peu amènes dans les côtes
Il ramassera son carton humide et son maigre sac et ce sera en regrettant son bon petit café du matin qu’il commencera à se rincer le gosier avec un fond de canette de bière sans plus aucune bulle, de la veille
Ça fera bien longtemps que les douches ne seront plus qu’un vague souvenir
Sa barbe et son haleine iront tellement bien avec le personnage décrépi qu’il sera devenu, qu’essayer d’améliorer quoi que ce soit ressemblerait à de la rénovation lourde
C’est dans le métro qu’il mendiera maintenant et que, calepin en main, il débitera ses blagues foireuses en espérant glaner quelques sous pour ses quelques bières journalières
C’est dans le métro qu’il croisera son ancienne cheffe, toute mignonne et pomponnée, celle-là même qui avait obtenu sa tête et son licenciement en un temps record et, ça il ne le saurait jamais, qui viendra tout juste d’obtenir une promotion dans l’entreprise, son entreprise, la même qui l’avait viré comme un malpropre et ça c’est proprement dégueulasse
C’est dans le métro qu’avec la force du désespoir, il lui balancera son calepin à la figure et l’agonisera d’injures sous les yeux de passagers trop pressés de ne pas perturber leur petite vie normative, rassurante, de ne surtout pas intervenir pour ne surtout pas arriver en retard à leur petit travail où leur petit café les attend
Passera son mouvement premier de sidération ; et d’un coup de sac à main Vuitton dans sa vilaine trogne de clochard, elle lui assènera avec une rage incontrôlable :
« Que ferait la femme sans l´homme ?
- Elle dresserait un autre animal ! »
De jolie petite poupée bien apprêtée et habillée en Prada, elle se métamorphosera littéralement en une affreuse virago furibarde beuglant son exaspération des minables dans son genre et prête à toutes les extrémités pour écraser coûte que coûte tous ces cons, tous ces enculés de machos de merde comme lui et ainsi se faire sa putain de place au soleil, quitte à asperger à la lacrymo ce pauvre hère qui se cassera la binette comme une vraie merde dans l’allée où il sera achevé à coup de louboutin au milieu des cris hystériques des voyageurs bien trop couards pour tenter d’arrêter ce véritable massacre et qui chercheront à fuir cette scène affreuse où le sang giclera à chaque fois que le talon aiguille rouge transpercera cette grosse et grasse bedaine.
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