RHEYÆ (Rheya 4.2) - Chapitre 01.3
Aujourd’hui, les blessures infligées au cours de ces dernières années, partout dans le monde, restaient comme des plaies béantes, et rares étaient ceux qui n’en ressentaient pas les conséquences. Seuls les expatriés des colonies extraterrestres pouvaient espérer être épargnés.
Tant de choses avaient changé depuis cet an 2100 que l’on imaginait tellement différent un siècle plus tôt. On l’avait ainsi rêvé plus avancé technologiquement que celui dans lequel elle vivait.
Au stade actuel de la technologie et des découvertes spatiales et d’après ce qu’elle avait lu dans un journal scientifique, il faudrait au moins trois-cent-cinquante mille ans à un vaisseau voyageant à dix-sept kilomètres par seconde pour atteindre la première planète jumelle de la Terre. Même à une vitesse supérieure, une seule vie humaine n’y suffirait pas.
Et si cela s’avérait possible un jour, il faudrait franchir la barrière de débris qui englobait la planète. Des milliers d’êtres humains y avaient laissé leur vie lors des exodes précédents, notamment pour Mars.
Quelques mois plus tôt, Mars comme les autres colonies sur Io, Europe, Callisto, Ganymède, Titan et Encelade avaient brutalement cessé d’émettre Plus personne n’avait de nouvelle des colons qui étaient partis s’y installer. Aucune mission ne semblait avoir été mises sur pieds pour les secourir, même s’ils n’avaient pas émis de demandes en ce sens. De toute évidence, il n’était pas question d’aller voir ce qui se passait là-haut
L’immortalité, elle, était promise à des prix exorbitants mais toujours pas prouvée. Le rajeunissement des cellules donnait des résultats très aléatoires, de même que le ciblage des gènes, ou encore la bio intelligence qui permettait à une âme de changer de corps. Comme les tentatives sur les humains avaient été interdites, il ne restait plus que les corps artificiels. Ce qui tendait à se rapprocher d’une autre tendance : celle du remplacement des différents membres et organes d’un corps par des éléments artificiels, mécaniques ou biologiques, voire les deux.
Les tentatives de téléportation effectuées en laboratoire restaient inabouties, les voyages d’un bout à l’autre du pays ou du continent étaient toujours soumis aux aléas des transports en commun. Le processus n’était donc pas à l’ordre du jour.
Les voitures ne volaient pas ou peu, mais elles étaient désormais autonomes. Il n’était plus nécessaire de passer son permis de conduire. Du moins pour ceux qui avaient les moyens de se payer de tels véhicules. Quant aux autres véhicules particuliers, comme les vélos, les motos, les scooters et toutes les inventions possibles, autorisées ou non, même s’ils n’étaient plus fabriqués à la chaîne, ils subsistaient toujours, souvent rafistolées dans leur intégralité.
Seule innovation dans ce domaine, l’airboard, une planche de surf extrêmement maniable qui pouvait voler jusqu’à un mètre au-dessus de la Terre ou de la mer, et souvent utilisé par les lycéens, les étudiants et les jeunes travailleurs qui, en début de carrière, n’avaient souvent pas les moyens d’autres choses de plus rapide.
De nombreuses innovations de la première moitié du siècle poursuivaient leur existence sans grandes évolutions, tels que les ordinateurs portables qui ressemblaient à des tablettes ultrafines, dépliantes et adaptables en fonction des utilisateurs. Les téléphones et autres objets nomades possédaient des applications que les auteurs de science-fiction n’auraient pas reniées.
Cependant, malgré ou à cause de la crise leurs prix avaient baissé, certes, mais leurs capacités n’avaient pas évolué depuis vingt ans.
Les réseaux de communication, quant à eux, étaient régulièrement saturés.
Les téléviseurs étaient devenus aussi légers que des films plastiques auxquels ils ressemblaient et que l’on pouvait disposer n’importe où, mais la qualité d’image restait médiocre tant elle était parasitée par les interférences. La plupart des programmes présentés étaient de moindre qualité. On y présentait des programmes vieux de plusieurs décennies, ou bien de nouvelles moutures de ceux-ci, où seuls les acteurs et les décors étaient remis au goût du jour.
Cela pouvait expliquer en partie pourquoi chaque fin de journée se transformait en soir de fête. Les habitants se rendaient volontiers aux spectacles, théâtres et cabarets de rues qui s’étaient multipliés ces dernières années.
Plutôt que de cuisiner dans des appartements trop petits, mal aérés, tristes et bruyants, les familles, les couples, et plus encore les personnes seules déjeunaient, dînaient, ou encore mangeaient à toute heure de la journée, dans l’un des multiples et minuscules restaurants qui fleurissaient les rues. Souvent, ces échoppes ne disposaient que d’un nombre limité de place et il était difficile de savoir de quoi était réellement composé le menu…
Enfin, il n’y avait pas eu de premier contact avec des extraterrestres, ni de soucoupes volantes.
Seulement des rumeurs non fondées, comme toujours.
En attendant, les temps étaient difficiles pour tout le monde. Et nul n’était à l’abri d’un revers de fortune.
Ainsi, l’année précédente s’était achevée sur ces explosions nucléaires au Japon, suivies deux mois plus tard par une succession d’attaques informatiques de grande envergure.
L’Amérique et l’Europe avaient subi cette vague de cyberattaques sans pouvoir lutter malgré les moyens déployés. Des banques, des entreprises et organismes dits sensibles avaient été ciblés. Les deux attaques avaient été revendiquées par un groupe de terroristes qui se faisait appeler Les Windtalkers. Ses membres militaient pour une redistribution des richesses et « l’avènement réel de la méritocratie ».
En attendant, ce n’était pas les grosses entreprises qu’elles avaient mises au tapis, mais des millions d’employés et les derniers petits épargnants, pour la plupart des personnes âgés qui avaient toujours vécu selon les normes du premier tiers du vingt et unième siècle. Ils avaient refusé de voir et d’entendre les soubresauts de ce siècle qui s’était brutalement rappelé à eux.
Curieusement, ces dernières affaires n’avaient pas fait les grands titres des journaux très longtemps. Peu d’infos filtraient à leur sujet, ou bien elles avaient été effacées.
Par curiosité, elle avait fait des recherches sur différents sites, et elle était tombée sur des pages récentes concernant les Windtalkers. Cependant, elle n’avait rien trouvé d’important. Quelques noms comme Train Vert, le Cossi-Cavala, Bikini-Bombay leur avaient été associés sur certaines pages sans vraiment les citer. Ces mots semblaient sortir d’un roman de gare. C’était sûrement pour cela qu’elle s’en souvenait.
Elle avait cherché des noms de membres supposés en fonction de leur appartenance politique ou de leur idéologie, sans succès. Finalement, elle avait trouvé une page concernant le Train Vert. Elle avait suivi la piste et avait eu l’impression de se retrouver dans un univers inconnu, un espace différent du freenet.
Elle avait déjà entendu parler de ces réseaux parallèles, le DarkNet, l’UnderNet, et même plus récemment, l’OverNet … Était-ce l’un d’entre eux ?
Elle avait tâtonné un moment sans aboutir à quoi que ce soit.
Lorsqu’elle y était retournée, quelques jours plus tard, elle avait eu des difficultés à retrouver cet espace parallèle, mais elle y était parvenue.
Elle avait ouvert des pages au hasard, et n’y avait pas compris grand-chose. La plupart des textes étaient écrits dans une ou plusieurs langues qui lui étaient inconnues. Mais il s’agissait bien de langages cohérents.
Elle avait essayé de trouver des clés pour les déchiffrer, de les comprendre. En vain. Elle avait fini par abandonner. La tâche était trop ardue. Mais la curiosité l’avait bien piquée.
Le lendemain, elle avait essayé d’y retourner mais, cette fois, cet espace inconnu s’était révélé impénétrable … Elle n’était même pas parvenue à trouver la page du Train Vert qui lui avait permis le passage du Net officiel à l’autre espace … Toutes les issues avaient été bloquées. Aucun des codes d’accès qu’elle avait réussis à craquer les fois précédentes ne fonctionnait.
Sa dernière tentative datait d’aujourd’hui.
Elle n’avait rien trouvé. Toutes les traces semblaient avoir disparues, comme si elles avaient été effacées … C’était vraiment du bon travail, mais c’était dommage aussi.
S’il s’agissait d’une sorte de jeu interactif comme il en fleurissait depuis des années sur le Net, elle aurait aimé voir jusqu’où elle aurait été capable d’aller.
Elle soupira.
Tant pis, elle retenterait encore une fois demain. En attendant, elle devait se détendre un peu.
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