RHEYÆ (Rheya 4.2) - Chapitre 01.6

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Elle lui avait trouvé une ressemblance remarquable avec l’homme qu’elle avait rencontré dans l’avion et qui lui avait conseillé de postuler à l’agence Bolt. Elle n’avait pu s’empêcher de lui en faire part.

Cela l’avait d’abord fait sourire, puis il lui avait répondu qu’il y avait de fortes chances pour que ce Maxwell soit son père. Il n’y avait que lui pour l’avoir aiguillée vers l’agence.

Paul avait ajouté, sans autres explications, que Leo ignorait tout de son grand-père et il souhaitait que cela reste ainsi.

Il avait quitté l’agence quelques semaines plus tard.

Cela faisait onze mois, maintenant qu’elle travaillait pour Bolt. Et elle était là, ce soir.

Après sa promenade photographique sur le pont, elle avait attrapé un bus qui l’avait ramenée au pied de son immeuble, salué le concierge, pris l’ascenseur, et s’était calfeutrée chez elle dans son appartement tellement impersonnel, fidèle à son habitude.

Elle avait planifié sa soirée : une douche, un repas rapide, un peu de lecture, puis elle irait se coucher.

En rentrant, elle n’avait pas eu besoin de ranger quoi que ce soit dans cet appartement si vide sans la présence de Louise et de Neil.

Elle avait passé deux soirées à tromper son ennui en faisant du nettoyage et du rangement.

Elle monta le son de la musique pour l’entendre sous sa douche.

Les murs et le sol étaient insonorisés. Les voisins n’entendaient rien, ce qui était assez rare pour ces vieux appartements. La surface était largement suffisante pour trois personnes. Cela aussi, c’était rare.

En même temps, c’était aussi ce qui l’avait rendue exigeante dans sa recherche d’appartement. Elle habitait peut-être loin de son travail et des lieux les plus vivants de la ville, mais lorsqu’elle y réfléchissait, cela avait des avantages qu’elle ne sentait finalement pas si prête à abandonner.

En plus, ses voisins étaient des plus discrets. Encore un luxe qu’elle risquait de perdre…

Elle les avait croisés, quelques fois, dans les escaliers. Ils ne prenaient jamais l’ascenseur. N’obtenant aucune réponse à ses « bonjours », elle avait renoncé à le leur souhaiter.

Ce n’était pas seulement pour cela qu’elle les avait trouvés bizarres, mais aussi parce qu’ils portaient toujours des lunettes noires, l’homme comme la femme, quel que soit le temps à l’extérieur. Ils ne les enlevaient pas à l’intérieur. Elle s’était même dit en plaisantant qu’ils devaient être du genre à les porter pour sortir les poubelles à minuit.

Elle ne les avait pas revus depuis quelques semaines. Elle devrait peut-être se renseigner à ce sujet … Histoire de savoir s’ils étaient toujours de ce monde.

Après la douche, elle revint dans le salon. Elle fit un bref passage par la cuisine : repas asiatique dans le four à micro-ondes. Trois minutes avant de revenir dans le salon.

Contrairement à la majorité des personnes de cette ville, elle n’avait pas cédé à la tentation de supprimer la cuisine de son appartement ou de son emploi du temps, même si ce soir, c’était « soirée relâche » exceptionnellement.

Le plat était bouillant.

Elle détestait quand c’était trop chaud.

La musique lui donnait envie de danser, et danser la détendrait. Ça tombait bien, elle avait trois ou quatre minutes de vides dans son emploi du temps immédiat, alors pourquoi ne pas se laisser aller …

Elle se leva, fit quelques pas dans le salon et se laissa bercer au rythme de la musique.

Elle repensa à l’homme sous le pont. Ses traits s’étaient déjà dilués dans sa mémoire, mais elle se souvenait de ses yeux bleus. Il avait un regard qu’elle connaissait, et qui ne lui déplaisait pas.

C’était la première fois qu’elle se souvenait d’un tel détail …

Elle se sentait de plus en plus légère, vidée de ses peurs … Comme si elles n’existaient plus.

Elle aurait pu savourer, apprécier cette impression si les rares meubles de l’appartement n’avaient pas soudainement pris des contours flous et mouvants.

C’était bizarre.

Était-ce le début d’un malaise ?

La lumière ondulait comme une vague. Elle s’approcha de la fenêtre.

Quelque chose n’allait pas …

Un peu d’air lui ferait du bien.

Une lueur furtive, une ombre en mouvement, dans l’immeuble en face du sien, attirèrent son attention.

Nouvellement construit à la place d’un cinéma, de l’autre côté de l’avenue, l’immeuble n’était pas encore habité.

Elle chercha en tâtonnant les jumelles de Neil.

Il avait passé pas mal de temps à suivre la construction du nouvel immeuble.

Les jumelles devaient se trouver sur le fauteuil, près de la baie.

Elle n’eut aucun mal à la retrouver.

Elle ne se sentait vraiment pas bien.

Dans ce brouillard qui l’envahissait de plus en plus, elle distingua la silhouette familière d’un homme qui l’observait.

L’homme du pont …

Son esprit devait lui jouer des tours…

Quelles raisons aurait un SDF de l’avoir suivie pour l’observer de l’immeuble d’en face ?

Cela ne pouvait être qu’une illusion provoquée par son malaise.

Elle secoua ses jumelles en direction de l’illusion.

« Rince-toi l’œil coco … Si tu me vois … Moi aussi, je te vois … Et tu ne me fais pas peur, sale voyeur … J'appelle les flics … »

Comme s’il pouvait l’entendre d’où il était !

Son téléphone était dans son sac à main …

Qu’en avait-elle fait après être rentrée ? Où l’avait-elle posé ?

La douleur, d’abord lancinante, dans son estomac, se fit sentir avec plus de force. Elle devint plus aiguë. Elle allait vomir. Elle ravala la nausée qui montait dans sa gorge.

Où était ce fichu sac, avec ce fichu téléphone ? Qui devait-elle appeler en premier ? La police ou les urgences ?

Ça tournait drôlement autour d’elle.

Elle devait s’allonger … Dans sa chambre si possible.

Sa langue était sèche, râpeuse, et sa salive, acide. L’odeur de la nourriture chinoise n’arrangeait rien.

Elle peinait à se tenir debout.

Son corps tanguait dangereusement. Son esprit s’endormait et la musique s’éloignait, de plus en plus.

Quelque chose lui enserrait la gorge… aussi fort que l’Hécatonchire dans son rêve …

Que lui arrivait-il ? Était-ce la balle logée près de son cœur qui lui jouait une mauvaise blague ?

Le médecin avait pourtant dit qu’elle pouvait vivre longtemps avec. Au moins jusqu’à ce qu’on trouve le moyen de la lui enlever.

Était-ce un empoisonnement alimentaire ?

Elle n’avait presque rien mangé à midi et n’avait pas touché à son dîner … Et si c’était quelque chose dans le bus … Un gaz qui ne faisait effet qu’au bout de quelques minutes …

Encore un acte terroriste ?

Les Windtalkers ?

Encore une fois, il avait fallu qu’elle soit au mauvais endroit …

Non, la foudre ne pouvait pas frapper deux fois la même personne, même à des endroits différents. Statistiquement, c’était …

Ses jambes se dérobèrent sous elle.

Elle se retrouva sous l’eau, comme si elle venait d’y plonger, les pieds en premier.

Elle coulait à pic.

Il y avait beaucoup de bulles minuscules autour d’elle. On aurait dit des perles de nacre et d’argent.

Elle se regardait s’enfoncer dans les eaux profondes, l’esprit dissocié de son corps.

Elle se rendit compte qu’elle n’éprouvait aucune crainte, au contraire. Son visage respirait la sérénité. Elle ne cherchait pas à remonter à la surface.

Elle se sentait bien. Elle souriait. Elle était enfin libre.

Sa lourde robe de velours rouge l’entraînait vers les profondeurs.

D’où lui venait ce vêtement ?

Elle regarda sa main gauche. La cicatrice laissée par la balle de passage était bien visible, rouge comme sa robe. Des perles de couleur sang et or, microscopiques, s’en échappaient comme un essaim d’abeilles s’échapperait de leur ruche condamnée.

Était-ce la mort qui la faisait délirer ainsi ?

Au loin, il lui sembla entendre des coups frappés sur du bois, assourdis par l’eau.

Quelqu’un essayait d’entrer.

Où ? Quand ? Pourquoi ? Qui ?

Est-ce qu’on se posait autant de questions lorsqu’on mourrait ?

Était-elle vraiment condamnée ?

Non, elle était une battante. Elle ne pouvait pas abandonner Louise et Neil …

Elle battait des pieds pour remonter à la surface, mais rien n’y faisait.

Elle continuait à descendre.

Elle battait des mains, elle luttait, mais il était trop tard.

Étrangement, elle n’éprouvait aucune difficulté pour respirer. En fait, elle ne respirait probablement plus, et n’avait plus besoin d’air… c’était juste un dernier réflexe parce qu’elle ne pouvait faire autrement et parce que c’était dans l’ordre des choses.

Une autre voix, qu’il lui semblait reconnaître sans pouvoir l’associer à qui ou à quoi que ce soit lui disait que c’était faux, qu’elle devait encore se battre, ne pas abandonner, parce que rien n’était perdu, parce que l’univers avait besoin d’elle, parce qu’IL avait besoin d’elle.

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