Mountain (Rheya 6.9) - Chapitre 04.4
Elle acheva de se sangler alors que les soldats avaient déjà découpé les deux tiers de la paroi.
Circé s’activait toujours sur ses programmations. Elle faisait des allers-retours entre les consoles en marmonnant des mots incompréhensibles. Elle était pâle et nerveuse. Dans le bocal, rien ne semblait se passer.
Du moins rien de ce que la magicienne attendait, car Mountain voyait maintenant très nettement le filament laiteux voler dans tous les sens. Il avait même gonflé et semblait vouloir s'échapper du bocal. De nouveaux filaments apparurent et entrèrent dans la danse aléatoire du premier. Mountain comprit alors.
C’était ça la Porte, la Bouche, le Portail, dont lui avait parlé la magicienne. C’était comme si on avait mis un trou noir dans un très grand aquarium. Sauf que le maelstrom, ici, était blanc, à la fois neigeux, laiteux et laineux.
Sans qu’elle sache comment, Circé se rendit compte que Mountain était quasiment préparée.
L’aveugle la surprenait toujours. Elle lui fit signe de venir vers elle. Au passage elle attrapa le casque qui était posé au coin d’une petite table.
— Pourquoi ne venez-vous pas avec moi ? ne put-elle s’empêcher de demander. Ils vont vous tuer… ou vous torturer… tous les deux.
Circé sembla la regarder.
Mountain avait du mal à soutenir ce regard vide d’expression. Elle s’y força néanmoins.
La magicienne lui caressa les cheveux qu’elle avait trop courts. Encore un héritage de l’armée des Terrannihilisateurs qu’elle ne regretterait sûrement pas. Le geste de Circé était l’un de ses rares signes d’affection envers elle. Ce qui ne l’empêchait pas d’aimer l’enfant, presque comme si elle était la sienne, mais elle ne pouvait se permettre de se laisser aller à ses sentiments ou ses émotions.
— Il faut quelqu’un pour protéger ta fuite, les empêcher de te suivre.
Mountain observa le vieil homme qui s’approchait d’elles.
— Quoi qu’il puisse nous arriver dans les prochaines minutes, cela n’a aucune importance, dit-il avec un sourire sincère mais d’une profonde tristesse.
Elle aurait voulu leur dire que cela en avait une pour elle, surtout si elle devait échouer.
— Si tu réussis ta mission, alors cela n’arrivera pas, ajouta Circé. Tu te rappelles ce que je t’ai expliqué sur ton voyage. L’histoire que je t’ai racontée.
— Le papillon sous la semelle, acquiesça Mountain. C’est votre frère Adad… Baal qui vous avez raconté cette histoire. Il l’avait lu dans un livre, lorsqu’il vivait sur la Terre. Comment pourrai-je savoir si j’ai changé l’avenir ? Vous m’avez dit que mon voyage était à sens unique… que je ne pourrai pas revenir dans le futur…
— Pas de la manière dont tu en es partie, c’est certain. Si tu parviens à modifier le cours des évènements, ou à le faire changer, Circé et moi, nous ignorons ce qui arrivera ensuite.
— Je cesserai sûrement d’exister parce que Circé n’aura jamais envoyé de clone dans le passé…
— Ou bien tu continueras à vivre, comme une sorte d’anachronisme, ou une greffe sur l’une des branches de la spatio-temporalité.
— Nous ignorons quels sont les effets du Puits de L’Éternité, ajouta Circé en lui passant le casque.
Les soldats avaient pratiquement terminé leur ouverture dans la paroi. Néanmoins, Lando retint le geste de Circé. Il sortit un objet de la poche de sa veste, un pendentif de couleur vermeille qu’il passa autour du cou de la fillette et fit glisser dans sa combinaison.
— Un cadeau pour te souvenir de nous, dit-il. Garde-le toujours auprès de toi pendant tes voyages… Où qu’ils te mènent. Il te portera chance, j’en suis certain.
Elle le remercia d’un signe de tête. Elle l’aurait embrassé si la Magicienne ne lui avait pas aussitôt passé le casque sur la tête. Elle scella le casque à la combinaison. Aussitôt tous les joints de celle-ci se consolidèrent dans un léger sifflement.
Circé tapa un code sur la serrure électronique de l’aquarium. La porte s’ouvrit. Elle y poussa Mountain et referma derrière elle avant de commencer à détruire méthodiquement la serrure avec une sorte de marteau improvisé.
Mountain se retourna et fit face au maelstrom qui se trouvait devant elle. Il était deux fois plus grand qu’elle. Sans cesse en mouvement, il semblait néanmoins attendre qu’elle se décide à avancer vers lui.
Dans son champ de vision périphérique, elle vit les soldats entrer dans la pièce où se trouvaient les consoles. À part le bruit du maelstrom, elle n’entendait rien de ce qui se passait à l’extérieur du bocal hermétique. Elle tourna la tête en direction de Circé, mais c’est Lando qu’elle vit en premier, l’expression de douleur sur son visage et le trou large comme une patte de Sangdor, sur sa poitrine.
Le vieil homme s’écroula.
Deux hastati maintenaient fermement la Magicienne. Des soldats de la Garde tentaient de stopper le processus, mais aucun n’essaya d’entrer dans la pièce en brisant la vitre. Mountain comprit que le maelstrom les effrayait. Ils avaient peur de ne pas pouvoir le contenir. Peut-être aussi que le fait qu’elle porte une combinaison étanche et pas eux les avait-il alertés sur un risque. Tout ce qu’ils pouvaient faire, c’était lui signifier de s’écarter, voire de sortir de la pièce. Comme si elle allait leur obéir… Même si Circé en avait bloqué le seul accès en détruisant la serrure. Elle regrettait vraiment de n’avoir pas pris son détonateur avec elle. En guise de consolation, elle se dit, qu’avec un peu de chance, lorsque les appartements de la magicienne seraient fouillés, celui qui le trouverait ne résisterait pas à l’envie de rassembler les deux parties d’un drôle d’objet qui était à cent lieues de ressembler à un détonateur.
Elle vit soudain les consoles prendre feu. Un système d’autodestruction s’était mis en fonction.
Elle fit un pas vers le maelstrom. Les filaments commencèrent à l’envelopper. Elle le regarda faire, sans bouger. Elle se retrouva dans un brouillard s’épaississait un peu plus à chaque seconde qui passait, mais pas assez vite. De l’autre côté de la verrière, les gestes des soldats lui semblèrent ralentis. Mais pas assez pour l’empêcher de voir ce qui arriva à l’enchanteresse...
Le hastatus qui retenait Insigo le poussa devant Circé toujours maintenue de force. Il faisait deux têtes, presque trois, de moins qu’elle. L’un des ruges lui dit quelques mots à l'oreille avant de lui présenter une fibule à la pointe longue et fine. Ce genre d’arme était généralement trempé dans un poison causant un trépas instantané, ou bien d’atroces douleurs qui vous faisaient regretter de ne pas être mort.
Le hastatus libéra le gamin qui prit la fibule. Un prétorien dégrafa violemment le haut de la robe Circé, découvrant sa gorge légèrement marbrée et attendit.
Pas longtemps.
Sans hésitation, Insigo planta l’aiguille dans le sternum de la magicienne, juste à la base du cou, tuant la Dræganne et son hôte dans le même temps.
La dernière chose que Mountain vit, avant que tout disparaisse autour d’elle fut le visage d’Insigo lorsqu’il la regarda partir. Il était froid, sans la moindre émotion, mais ses yeux, eux, exprimaient la colère et la peur.
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