2/2 Miss Châtaigne
Avant d'être chasseur de prime, Firenzo était soldat, effectuant généralement des missions d'éclairage ou de chasse. Il identifiait rapidement les odeurs des animaux cuits. Mais pas cette fois.
Pourtant elle lui était désagréablement connue. En s'informant sur son origine, le cuisinier avait montré un léger signe d'embarrassement et avait clairement menti sur sa supposée ignorance. Cela avait suffit pour renforcer sa méfiance et lui calmer l'appétit.
Second point, l'histoire du frère allant chasser par ce temps l'avait surpris. Au passage c'est assez étonnant pour un commerce proposant surtout des produits issus de la chasse qu'il y ait si peu de trophées.
Mais admettons qu'ils parvienne à revendre les bois, la peau et os. Comment l'homme s'est-il constitué une telle armurerie, la plupart étant de très bonne facture, avec des tarifs aussi bas ?
Disons que c'est une riche famille reconvertie ne recherchant pas le profit. Cet homme était tout de même beaucoup trop serviable. Trop insistant dans ses questions et offres.
Ou alors la guerre et la traque des fugitifs m'ont profondément aigri...
''Faire quérir dame Siria ? À cette heure ? Merde il est fou !
- Contente-toi de faire ton boulot messager !'' avait répondu sèchement un des soldats gardant l'entrée.
Le porteur de nouvelles savait qu'avec eux mieux valait garder sa langue dans la poche.
Boulot, boulot... Mission suicide ouais...
Réveiller la chef au milieu de la nuit était aussi inconscient que de se promener la nuit dans la rue des Tavernes en affichant ses parures précieuses. Dans les deux cas vous passerez au mieux un sale quart d'heure et au pire c'est l'aller direct pour les cieux.
Heureusement que le message était bref.
''Livraison de châtaignes et d'une hérésie à traiter, tel est le message de Sir Firenzo'' déclama le serviteur d'une voix mal assurée.
Ne pas croiser son regard... Ne pas croiser son regard et surtout ne bouge pas ou t'es foutu...
''Hmm ! se réjouit Siria. Heureuse que la bataille soit en automne ! Il y a des châtaignes partout !
- T'es bien l'une des seules soigneuses qui aiment la guerre.
- Ne me fait pas dire ce que je n'ai pas dit mon p'tit Fir' ! J'ai rarement l'occasion de faire une sortie cueillette et de les préparer tout frais. Ou il faut partager...
- T'es vraiment un personnage ! Ria Firenzo. Renoncer à la retraite et au partage pour la gourmandise ? Ça serait pas un péché capital ?
Elle sourit, pensant aux fois où elle avait fait le mur durant sa jeunesse d'apprentissage.
- Quelle vilaine accusation, mais sans preuve c'est de la diffamation ! Donne moi ta part pour la peine !
Firenzo lui céda sans résister. Amusé, il lui demanda jusqu'à quel point en raffolait-elle.
- C'est simple, je pourrais manger des châtaignes n'importe où n'importe quand tant que j'ai de la place, personne à opérer et que mon épée soit dans son fourreau.
Firenzo marqua un temps de réflexion avant de révéler son idée machiavélique.
- Sir' ? Il se passerait quoi si, après la guerre, je me pointe chez toi en plein milieu de la nuit avec une besace pleine de marrons cuits ?
- Je les mange bien sûr... Puis je t'énucle.
Firenzo manqua de s'étouffer alors qu'il se désaltérait. Après avoir calmé sa toux il demanda, effaré, si elle était sérieuse. Il n'y avait plus aucune trace d'amusement sur le regard du soldat. Ni sur celui de la soignante.
- Ou alors t'as intérêt d'avoir une autre très bonne raison pour me lever."
"Réveillez mon bras droit et ma garde personnelle. Faites préparer les chevaux et apportez-moi à la salle de doléance mon matériel opératoire.'' Ordonna-t-elle au messager au teint blaffard.
Toujours aussi majestueuse. Se dit Firenzo en voyant la chef de la forteresse entrer dans la salle. Prêtresse salvatrice de jour et impitoyable faucheuse de nuit. Pourvu que je ne me sois pas trompé.
''Fir' ! Quel plaisir de te revoir après toutes ces années.
Son intonnation sonnait presque comme un reproche.
- Je n'osais point me montrer sans avoir une excellente raison très chère. Mais dis-moi, ton éloquence et exploits de guerre t'ont bien réussi !
Siria agita la main, chassant son compliment comme s'il s'agissait d'une mouche.
- Je t'écoute.''
La maîtresse des lieux était étonnament calme, elle qui ordinairement se transformait en calamité lorsqu'on la sortait intempestivement de son sommeil. En fait, toutes ses mauvaises émotions étaient scellées par une forte curiosité.
En effet, c'était la première fois que Firenzo employait le terme ''hérésie'', ne voyant pas les déviances humaines comme une maladie. L'épéiste à grande gueule s'opposait systématiquement à l'emploi de ce terme et ses propos auraient dû de maintes fois l'envoyer à la potence. Mais à l'époque ce jeune homme était devenu son compagnon d'arme notamment grâce à son talent à l'escrime. Elle avait finit par apprécier sa présence tolérante contrastant avec la vision extrêmiste que lui avait inculquée l'Ordre Inquisitoire. Doctrine qu'elle remettait désormais en question.
Firenzo lui tendit un sac.
''Désolé de t'infliger ce dégoût à cette heure-ci.
S'attendant aux fruits secs, Siria poussa un cri de suprise et de dégoût lorsqu'elle découvrit le contenu sanglant.
- Une explication ? Réclama-t-elle froidement.
- C'est d'origine animal ?
La chirurgienne s'approcha d'un torche, humma l'odeur macabre puis se tourna vers lui la mine sévère, bouillonnant de colère.
- Humain. Je t'ai demandé une...
- Tu l'auras sur la route. L'interrompit calmement le chasseur de prime, visiblement satisfait. Fait sonner tes hommes, on a un aubergiste hérétique à traiter.
Le visage de l'ex-commandante de l'inquisition s'illumina, adoptant une expression à faire battre le coeur de n'importe qui. Excepté ceux ayant déjà combattu à ses côtés. Eux, leur coeur s'est arrêté. La faucheuse s'était réveillée.
- Bien ! On te suis. Mais au fait dis-moi...
Où sont mes chataîgnes ?
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