Jumelles
Dès lors, Marie n'eut de cesse d'apprivoiser Meïra, un peu comme elle l'avait fait au zoo avec la chèvre. Elle avait d'abord réitéré sa première consigne :
- Meïra, regarde-moi.
Elle le lui avait dit encore et encore. Huit, dix fois par jour, elles s'étaient dévisagées, et Ezaïle avait senti qu'au fur et à mesure du jeu, le regard de Marie pesait de moins en moins lourd sur Meïra.
Celle-ci cependant semblait perpétuellement attendre qu'on lui demandât quelque chose :
- Meïra, tu veux bien aseptiser les livres ?
Meïra ne répondait rien et s'affairait immédiatement avec rapidité, efficacité et délicatesse. Elle semblait se détendre dans sa tache, mais Ezaïle avait exigé que Marie s'en chargeât un jour sur deux, son double ne devant en aucun cas être "une esclave".
***
Un matin, alors qu'Ezaïle procédait au tri des emballages destinés au recyclage, elle la surprit en disant tout à coup :
- Je peux faire cela. Souhaitez-vous moi le faire ?
- Tu peux m'aider, répondit la mère de famille.
Mais lorsque leurs doigts se frôlèrent sur une capsule ayant contenu des protéïnes synthétiques, La petite rougit et baissa les yeux. Afin de lui prouver qu'elle n'avait commis aucun impair, la mère de famille saisit la main de l'enfant et la garda plusieurs secondes dans la sienne :
- Ce n'est rien, Meïra. Tu es très gentille.
***
Il ne se passa pas plus de quelques semaines avant que Marie ne formulât le souhait de retourner au zoo, et d'y emmener son double. Pour l'occasion, Ezaïle procura aux enfants deux tenues identiques composées de caleçons noirs et de tuniques roses.
Marie en fut ravie.
Meïra, rêveuse, ne cessait de lisser de sa paume l'ourlet de sa tenue.
- Tu préfères ta combinaison grise ? l'interrogea sa maîtresse avec une certaine impatience.
- Non, répondit-elle seulement.
A dire vrai, Meïra décevait Marie, qui ne semblait capable d'éprouver que des émotions négatives : on pouvait le deviner lorsque avait peur, lorsqu'elle avait honte, mais elle paraissait incapable de ressentir du plaisir. Elle appréciait les livres, disait-elle et elle ajoutait : " Ce sont des objets anciens et précieux" mais cette phrase était seulement la réplique exacte de ce que disait toujours Ezaïle.
Meïra se montrait calme, attentive, disciplinée, douce même... mais elle n'avait rien de L'Amie espérée...
***
Ce soir-là cependant, Marie était très excitée lorsqu'elle rentra chez elle en sa compagnie :
- Oh, maman, cria-t-elle, Meïra a pu caresser Anda ! Elle s'est laissé faire tout de suite !
C'était sans doute une question d'odorat : Ezaïle avait lu quelque part que les animaux en possédait un très performant. Sans doute Meïra, clone de Marie, portait-elle la même odeur ? Elle s'apprêtait à faire partager sa réflexion à sa fille lorsque Meïra, jusque-là silencieuse, fit entendre un étrange gloussement, tandis que, de ses yeux, coulait un liquide clair...
Meïra croyait sentir à nouveau le museau de la chevrette qui poussait sa main, puis lui léchait la paume : cela provoquait en elle une sensation inconnue, douce et tendre.
Alors, à la grande surprise d'Ezaïle, elle fut secouée de petits cris aigus qui semblaient ne devoir jamais cesser... et Marie, à son corps défendant d'abord, fit de même, de plus en plus fort, de plus en plus vite.
On eût dit une rivière en crue fracassant un barrage...
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