Il veut me tuer !
Ciel bleu, soleil rayonnant, il fait chaud aujourd'hui.
Les lunettes de soleil cachent mes yeux. Mes yeux sont bruns, donc je n'ai pas le droit de les montrer. Dans une semaine, ils seront verts ou bleus et enfin, je pourrais arrêter de les cacher. À l'approche de mon changement, je suis vraiment de bonne humeur.
Mes parents ont leurs yeux verts depuis plusieurs mois déjà. Je pourrais enfin les voir, passer du temps avec eux. Aussi, je pourrais enfin arrêter de travailler dans l'usine. Les usines sont faites pour les gens comme moi. Elles sont puantes, sale, mal aérées et éclairées.
Ciel bleu, soleil rayonnant, il fait très chaud aujourd'hui.
Trop chaud.
Normalement, au mois de février, la chaleur est tolérable. Mais cette année, l'hiver n'a pas duré longtemps et il y a eu de la neige que pour la nouvelle année. Je pense à mon père qui me racontait comment les hivers étaient longs et terribles quand il était jeune. Et aujourd'hui en ce 16 février, la température frôle les 35 degrés Celsius.
Je suffoque dans mes vêtements. Chaque parcelle de ma peau est couverte. Comme mes yeux sont bruns, je fais partit des Autres. Et comme je suis un Autre, je dois me cacher. Sauf pour aller travailler et faire des courses essentielles, je n'ai techniquement pas le droit de sortir de chez moi... Cependant, depuis plusieurs mois, je fais le nécessaire. Je suis irréprochable ! Je suis chaque consigne à la lettre. Voilà pourquoi je suis admissible à l'opération. Quand mes yeux seront verts ou bleus, je serais finalement un humain normal.
Car les Autres, comme moi, ne sont pas considérés humain. Même si j'ai la même morphologie que tout le monde. Quand je suis né, mes yeux étaient bleus, ils sont devenus bruns. Comme plusieurs, j'ai mal réagi. Et mes parents ont mal réagis aux capsules rouges.
Je sens la sueur dégouliner sous mes aisselles. J'ai tellement chaud. J'aimerais tellement me baigner, mais je n'ai pas le droit. Pas encore. Parfois, je me demande comment j'ai pu vivre ainsi pendant 20 ans. Et mes parents ?
Je suis content d'avoir enfin ouvert les yeux. Pendant longtemps, je me suis rebellé contre les lois et la vie en général. Je trouvais ça injuste. Et puis en faisant des recherches, j'ai compris pourquoi les yeux bruns sont les rejets de la société. Ça n'a rien à voir avec la couleur de peau, la sexualité, la religion ou même les points de vue politique.
C'est que les Autres sont mauvais.
Quand la pandémie a frappé la Terre vers 2020, cela a complètement changé le monde. Le virus avait tué près de la moitié des humains. Pendant des années, il fallait suivre des règles extrêmement sévères pour éviter que la maladie se propage. Certaines lois remettaient beaucoup en question la liberté de chacun.
Malgré les vaccins et les capsules, la rage et le mal grandissait. Les gens devenaient enragés, complètement fous. Des guerres civiles et des guerres mondiales sévissaient partout, tout le temps. Des injustices, beaucoup de gouvernements aux tendances dictatoriaux. De terribles manifestations... De 2020 à 2030, ce fut le chaos total. Et étrangement, ceux qui commettaient toutes ses atrocités étaient ceux qui avait les yeux bruns. Comme moi, mes parents et ma petite amie.
J'ose m'asseoir sur un banc de parc. Déjà quelques parents éloignent leurs enfants de moi. J'aimerais leur dire que je ne suis pas méchant. Cependant, ça va empirer la situation. Ils vont appeler l'armée.
Ciel bleu, soleil rayonnant, la chaleur est de plus en plus intense.
J'ai tellement soif, l'abreuvoir m'appelle, mais je n'ai pas le droit d'y boire. S'il pouvait avoir quelques nuages pour cacher le soleil... Ou la pluie... Je fonds sous mes vêtements. Je n'en peux plus, je dois trouver de l'ombre et une ruelle où personne ne me verra. Je pourrais enlever la capuche qui couvre ma tête. Enlever quelques couches de vêtements pour ressentir le vent sur ma peau... Je me lève brusquement et je manque de faire tomber une petite gamine. Elle me tend une bouteille d'eau. Son visage tout sourire. Elle est vraiment adorable. Je lui souris à mon tour et fait non avec ma tête.
Elle fronce ses sourcils et son visage vire au rouge.
- Les Autres sont méchants ! Hurle-t-elle. Mon père avait raison.
Elle me lance la bouteille en pleine face. Ça brise mes lunettes de soleil qui tombe de mes yeux. La petite se met à hurler en voyant mes grands yeux bruns.
- PAPAAAAAAAA IL VEUT ME TUER !
Merde !
Je me suis comporté comme un citoyen exemplaire. J'ai été accepté pour l'opération. Et à cause d'elle, tout risque de tomber à l'eau. Je fuis.
Je cours pour ma vie, pour ma liberté volée à ma naissance. Je cours, car je veux une nouvelle vie. Je ne suis pas une mauvaise personne. Je n'ai rien fais.
Même si je cours, un soldat me rattrape déjà. Il me plaque au sol. Pendant qu'il me menotte, un autre soldat vise ma tête avec un HK416. Je n'arrive pas à le croire... Je n'ai rien fais. J'ai peur, je n'ose même pas respirer.
- Vous n'avez pas le droit de parler. Vous n'avez pas le droit de rentrer en communication avec quiconque. Vous n'avez pas le droit de sortir de chez vous sauf pour des raisons essentielles. Vous n'avez pas le droit de fréquenter des lieux publics. En tout temps, vos yeux doivent être couverts.
Les larmes brouillent mes yeux. Le ciel bleu semble gris d'un coup et le soleil me fait mal aux yeux.
Le soldat me relève violemment. J'ai à peine le temps de me redresser correctement que l'autre soldat me frappe avec son arme. Un coup à la tête, quelques coups aux côtes. Un autre coup au visage. Puis un gros coup en bas de la ceinture. Je pousse un cri de douleur.
- Les merdes comme toi ne devraient pas avoir le droit d'avoir des enfants !
C'est en me réveillant dans une salle blanche que je réalise que j'ai perdu connaissance. À l'aube de ma nouvelle, toutes mes chances viennent de s'effondrer. C'était trop beau pour être vrai... C'est injuste, injuste !
Mon opération sera annulée et ils vont me mettre en prison. Même si mes parents tentent de me libérer, ça ne va rien changer. Je ne suis pas reconnu par le gouvernement. Je ne suis pas considéré comme une personne. J'ai les yeux bruns. Je suis mauvais, mon sang est mauvais, mon âme est mauvaise.
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