On refait le match dans des multivers cosmologiques.
Si nous nous plaçons dans la perspective des univers cosmologiques, et si nous refaisons le match, alors la victoire de Kant est beaucoup plus discutable !
En effet, toute l’argumentation de Kant repose sur l’opposition entre une Raison universelle et nécessaire qui impose sa loi et un désir individuel, égoïste et limité de bonheur.
Tout d’abord , dans l’esprit de Kant, cette universalité s’appliquait dans le cadre de notre univers local.
En soi l’extension de cette universalité à un multivers cosmologique ne modifie pas fondamentalement les données du problème : les lois sont les mêmes et l’universel reste l’universel.
Notons toutefois que si nous remettons en cause le concept de lois universelles et nécessaires, alors tout change.
Mais dans notre hypothèse les lois de la nature ne changent pas.
En revanche, l’argument de l’égoïsme ne tient plus vraiment.
En effet, nous n’avons plus affaire à un individu isolé qui réclamerait, illégitimement, son bonheur, mais à des milliards de moi.
Si je choisis une action pour mon profit personnel, la légitimité morale est plus que discutable.
Si mon action contribue au bonheur des huit milliards d’habitants de la planète, elle est hautement morale. Par exemple, si je lutte contre le réchauffement climatique, je contribue au bonheur de huit milliards d’humains, et c’est un devoir moral qui s’impose à moi.
Or, si j’agis pour mon bonheur, j’agis pour le bonheur de milliards de milliards de moi, c’est bien supérieur aux huit milliards d’humains.
Certes, on s’approche du sophisme, car ces moi habitent dans des univers strictement identiques au nôtre, et chacun d’entre eux vit avec huit milliards d’humains.
Cependant, nous comparons des infinis entre eux, et, sans se lancer dans les dédales de la pensée de Cantor, nous savons intuitivement que comparer deux infinis est particulièrement complexe.
Bref, nous passons de un à zéro, en faveur de Kant à zéro / zéro.
Le multivers cosmologique répond aux deux autres objections de Kant.
Que tous nos désirs soient intégralement satisfaits est hautement improbable dans notre univers local, improbable mais pas totalement impossible.
Or, dans un multivers cosmologique, il doit bien exister un univers local où tous mes désirs sont satisfaits. Et il n’existe pas un univers local où tous mes désirs sont satisfaits, mais un nombre infini d’univers locaux, où tous mes désirs sont satisfaits (on retrouve les paradoxes de l’infini).
On peut rétorquer qu’il existe aussi un nombre infini d’univers infinis où je suis incroyablement malheureux.
Lectrice, lecteur, pour ne pas trop te perdre, je laisse de côté le problème suivant : dans les deux cas (bonheur absolu, malheur absolu) ce moi est-il encore moi ?
De nouveau zéro à zéro.
Enfin, le troisième argument de Kant est extrêmement discutable.
Certes, un intellectuel ne peut qu’envier l’imbécile heureux, si sa pensée le déprime et si le bonheur vient de la satisfaction de tous les désirs.
Mais, dans notre univers local, la pensée de Spinoza ne conduit jamais à la misologie !
Son bonheur est sagesse, ce n’est surtout pas la satisfaction de tous les désirs, mais le choix de la victoire des joies de la pensée et d’une vie simple, qui sait se contenter de peu, sur les désirs transformés en passions tristes.
Or, dans un multivers cosmologique, l’amour pour un Dieu, c’est-à-dire la nature, infiniment infini ne peut que nous remplir de joie et donc de bonheur !
Les multivers cosmologiques ne nous rendent pas heureux, ils nous rendent infiniment heureux !
Pour conclure, nous terminons donc le match par : un pour Spinoza et 0 pour Kant.
Mais nous n’avons pas posé la question du devoir.
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