Chapitre 68 - 30 novembre 2014
- Je n’ai rien contre vous, ni contre les homosexuels, mais Norah et Sébastien viennent d’avoir un bébé. Laissez-les tranquilles…
J’avais les yeux dans le vague, fixant un point imaginaire près du visage de Justine.
- Je l’aime, ai-je répondu, désespérée, au bout de quelques secondes.
- Ce n’est pas la bonne personne que vous aimez. Et Norah est hétéro.
- Mais, qu’est-ce que vous en savez ? Elle avait l’air bien, avec moi. Elle était à sa place.
- S’il vous plaît, vous êtes en train de briser un couple avec un jeune bébé, c’est grave.
- Renoncer à l’amour quand il se présente à nous, ça, c’est pas grave ?
- Vous êtes une jolie fille, vous rencontrerez vite quelqu’un d’autre.
- C’est avec elle que je veux être.
- Si vous l’aimez vraiment, vous devez arrêter de lui parler, la laisser vivre sa vie de famille sans l’influencer.
- Ça, c’est des belles paroles ! N’importe quoi, en plus… Si je l’aime vraiment, je dois la laisser tomber ? Mais vous vous entendez parler ? Vous savez que ça va la rendre très malheureuse ?
***
Je ne savais plus que penser. Dans le fond, Shannah avait peut-être raison, mais il était plus facile de le dire que de le faire. Peut-être que je ne devrais pas me mêler des affaires de Norah, cela ne me regardait pas. Surtout en le faisant dans son dos, en son absence. Quand elle reviendrait du travail, Shannah allait le lui dire et ça allait me retomber dessus. C’était pas forcément la meilleure réaction à avoir… Mais je ne pouvait résolument pas la laisser gâcher sa vie.
***
- Tu es d’accord avec elle, alors ? M’a lancé Shannah, mi-agacée mi-triste.
- Pas du tout, mais avoue que ce n’est pas facile, comme situation. Anouk est encore très petite. Nous venons de déménager avec Sébastien. Ça a chamboulé nos vies. Je ne m’attendais pas à une telle remise en question. Et puis, je ne suis pas lesbienne.
- Ah oui ? Mais ouvre les yeux ! C’est évident que tu l’es ! Tu ne le savais pas, c’est tout.
- Tu te trompes, il n’y a qu’avec toi que je ressens ça.
- J’y crois pas une seconde !
Shannah s’était retournée en soupirant de désespoir. Elle a porté sa main droite sur ses lèvres, ses doigts les encadrant, en position de réflexion. Sa main gauche était venue caresser son biceps droit.
- Ça va ? a repris Shannah en tournant brusquement la tête vers Norah qui était de marbre.
- Je pensais à… non, c’est rien, oublie ça, a-t’elle fait en secouant la tête rapidement et en balayant l’air devant son visage.
Shannah lui a pris les mains et l’a supplié, tout doucement :
- Dis-moi, s’il te plaît. Rien de ce que tu as à me dire ne me fait peur. Je t’écouterai sans jugement.
- D’accord, ai-je dit en soupirant. Quand j’avais 12 ans, j’avais une très bonne copine, une amie, même, qui s’appelait Émilie. Un jour, elle m’a invitée à dormir chez elle, comme c’est arrivé plusieurs fois auparavant. J’ai dîné chez elle, avec ses parents et ensuite on est montées dans sa chambre pour regarder des magasines de mode, papoter, écouter de la musique… des trucs d’ados de cet âge-là, quoi.
- Oui, je vois, a répondu Shannah avec un rire complice.
- On s’est mises à parler des garçons, un en particulier, qui lui plaisait. C’est là qu’elle m’a dit qu’elle n’avait jamais embrassé de garçon.
Shannah secouait la tête lentement. Elle attendait la suite.
- Je ne sais pas pourquoi mais je me suis immédiatement penchée sur son visage – elle était allongée sur son lit et moi assise à côté d’elle – et je l’ai embrassée. Elle s’est laissée faire pendant quelques secondes puis elle a éclaté de rire.
Je n’ai rien dit, quant à moi. Je n’avais pas pensé à elle depuis plusieurs années. Qu’avais-je ressenti à ce moment-là ? Douceur, plaisir… et désir. Mais aussi, une certaine honte de l’interdit. J’ai toujours cru que j’avais fait ça pour savoir ce que c’était d’embrasser quelqu’un, un garçon assurément. Je n’ai jamais pensé que cela me révélerait ma bisexualité.
Excitée, je l’étais presque tout le temps à l’époque… et il était difficile de démêler le vrai du faux, de comprendre ce qui se passait dans mon corps, tellement l’adolescence engendrait de changements physiques, psychologiques, émotionnels…
- La première fois que j’ai embrassé une fille j’avais 13 ans, moi, m’a avoué Shannah.
- Ah, je te bats !
- Et ouais…
- Sans rire, je pense que parfois il est difficile d’être bisexuelle. On est ignorés de tous. Les gens ne se doutent de rien, si on est avec quelqu’un du sexe opposé. Les homos croient qu’on est hétéro dans ce cas-là. Et dès qu’on fait son coming-out, tout le monde croit qu’on est homo, en fait.
- Même les homos…
- Surtout les homos !
- Tu as raison. Pardon pour mon étroitesse d’esprit. J’ai du mal avec ça car mon ex l’est. Et que du coup ça a étendu le champ des possibles… et ça m’a rendue jalouse.
- Si tu es bien dans une relation, il n’y a pas de raison d’aller voir ailleurs, même si tu as deux fois plus de possibilités.
- Quand j’étais avec elle, j’estimais qu’il s’agissait de tentations. Elle avait deux fois plus de tentations, pour moi.
- Je comprends.
- J’ai pas mal travaillé sur mes relations en amour dernièrement. Sur ma dépendance affective, et sur ma jalousie, aussi. Je me suis fait aider…
- Avec la personne avec laquelle tu as fait de l’hypnose ?
- Oui… a-t’elle répondu lentement en fronçant les sourcils. Je me rappelle pas t’en avoir parlé.
- C’est Séb qui y a fait allusion. Pardon, c’était pour me parler de ta naissance, de ton jumeau perdu…
- Oui, je comprends. Ça me dérange pas.
- Vous êtes vraiment amis, j’ai l’impression ?
- Oui… tu trouves que c’est malsain ?
- Ce qui est malsain, c’est que je reste avec lui. Je vais le quitter. Je veux être avec toi. Je t’aime.
- Moi aussi je t’aime. Elle s’est ruée vers moi et a mis ses mains en coupe sur mes joues pour m’embrasser.
- Tu sais qu’il y a des chances que ça fasse du bazar, tout ça ? C’est déjà en train d’arriver…
- Je serai là pour te soutenir. Par contre… euh, en attendant…
- Oui, on doit plus se voir, je sais.
- C’est mieux comme ça.
- Tu regrettes ?
- Non, pas du tout. Mais ce serait pas bien de faire comme si de rien n’était.
- Oui, tu as raison.
- Tu vas y arriver ?
- Je sais pas.
J’avais une grosse boule au ventre. Je ne savais pas par où commencer.
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