Chapitre 81

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Non, je ne pouvais lui dire ça. C’était contraire à tout ce que je croyais. C’était qu’une gamine, et elle souffrait. Elle avait le droit à l’erreur. Elle pouvait pas comprendre et se remettre en question toute seule, surtout pas dans un contexte familial pareil.

Je me suis reprise, j’ai mentalement effacé cette vilaine réflexion et je lui ai plutôt dit :

- Je suis la mère d’Anouk.

- Ah bon ?

Je savais pas vraiment si c’était une bonne ou une très mauvaise idée, mais c’était trop tard. De toute façon, les mots étaient sortis tous seuls de ma bouche.

- Tu trouves pas qu’elle me ressemble ? Ai-je demandé, étonnée.

- Si, mais je m’y attendais pas, c’est tout. Elle m’a jamais parlé de vous.

- Bon, écoute-moi, je sais que tu lui as fait du mal. Et je ne veux plus jamais que ça se reproduise, c’est clair ?

- C’était pas prévu… je compte pas recommencer...

- On verra ça. J’entends beaucoup parler de toi en ce moment. Mais pas par elle, et c’est ça qui m’inquiète.

- Pour la claque, je me suis déjà excusée plusieurs fois. J’ai déconné…

- Tu l’as frappée ?

- …

Elle a dégluti difficilement. Elle a baissé la tête et a rougi légèrement.

- C’est inadmissible. Si tu recommences, c’est pas avec moi, ou avec le collège que tu auras des problèmes. Ce sera plus grave et ça te poursuivra longtemps. J’espère que tu as bien compris.

- Oui.

Elle tremblait.

- Maintenant, je sais que tu as vécu des choses très difficiles toi aussi, et je suis pas là pour t’accabler. Je cherche juste à protéger Anouk. Les posts dont tu as fait l’objet sur les réseaux sociaux… ont… retenu mon attention. C’est complètement malsain et je ne cautionne pas du tout ce genre de méthode, sache-le.

J’ai soupiré longuement. Puis, ma voix s’est adoucie :

- Je peux t’aider. Personne n’a le droit de te faire de mal.

Je lui ai timidement tendu la main. Elle l’a regardée, incrédule. J’ai esquissé un très léger sourire. Je souhaitais sincèrement l’aider. Pourquoi ? Parce qu’elle est très jeune, qu’elle souffre, qu’elle est capable de ressentir de l’amour, mais qu’elle ne sait plus quoi faire de toute cette colère qui l’envahit. Elle est comme moi à son âge : perdue. Mais elle vaut la peine que quelqu’un lui tende la main. C’est difficile pour moi, mais je me concentre sur ce que je vois dans ses yeux quand je la regarde, et non sur mes fantasmes d’elle en train de martyriser ma fille, car ça ne sert à rien. C’est difficile et c’est justement la raison pour laquelle je lui propose mon aide.

- Tu sais, c’est très dur pour moi de faire ça. Tu as fait du mal à mon enfant et tu es là, en train de souffrir et d’attendre qu’on t’aide, qu’on te soutienne.

- Je vous ai rien demandé.

- C’est dur, mais j’ai envie de le faire.

Je me raclais la gorge avant de reprendre.

- Parce que je le peux.

- Je suis votre défi du mois que votre club de bienveillance pour mères désespérées vous a lancé ?Bientôt vous allez me dire que tout ira bien, que je ne crains rien et vous allez me donner un bonbon ? Mais y’a rien qui va !

Elle avait la mâchoire serrée. Je hochais lentement la tête de droite à gauche en la regardant.

- Mon frère est mort. Maintenant cette pétasse m’a humiliée devant tout le monde. Et en plus, j’ai frappé quelqu’un. J’ai tout le temps envie de frapper des gens.

Elle avait des sanglots dans la voix.

- Cassez-vous maintenant, et qu’on me fiche la paix. La vie c’est de la merde. Chacun pense qu’à sa gueule, sauf pour cracher sa frustration. Là, il faut que ce soit sur les autres. Mais franchement, celle-là, on me l’avait jamais faite. Bravo ! La mère de la fille que je tape vient me voir pour me dire qu’elle veut m’aider.

J’ai rangé ma main.

- Tu l’aimes ?

Elle a vivement tourné la tête vers moi.

- Quoi ?

Elle avait déjà l’air très fatiguée depuis que je suis arrivée, mais là en plus d’être blanche et cernée, elle avait les yeux rouges, et le visage déformé par la colère et le désespoir.

- Tu es amoureuse d’Anouk ?

- N’importe quoi. Je sais pourquoi elle est aussi folle, celle-là… a-t’elle marmonné pour elle-même.

J’ai ignoré ses sarcasmes.

- Moi, quand j’avais ton âge je parlais tellement mal aux gens que ça les faisait pleurer, des fois.

Elle a levé la tête vers moi, sceptique.

- Et quand je dis mal, je les insultais pas. Je trouvais leur point faible, et je tapais tellement fort là où ça faisait mal, que parfois ils pleuraient. Ils avaient peur de moi, aussi, parfois.

- Mytho… continuait-elle à marmonner. Vous avez fini de vous la péter ? J’y crois pas une seconde. Vous, avec votre visage tout doux, vous faites pleurer des gens ? Je vous aurais plutôt mis dans le camp des harcelés que des harceleurs.

- On peut être les deux. C’est souvent le cas, d’ailleurs. Et puis, je le fais plus du tout, j’en étais pas fière. Je me suis fait aider pour en sortir. Car je virais psycho. J’ai frappé quelqu’un moi aussi, un jour. Et là, je me suis dit que c’était pas possible d’en arriver là. C’était pas rigolo, j’ai mis le nez dans mon caca, comme on dit.

J’ai rigolé.

- Super, a-t’elle conclu d’un ton sarcastique.

- Si tu veux t’en sortir, je sais pas comment faire autrement. Mais je t’assure, c’est mieux que de continuer à s’enfoncer comme ça. Et une fois qu’on a réussi à exprimer ce qui va pas, ça va beaucoup mieux.

- Oui ben pour ça déjà faut être face à quelqu’un en qui on a confiance et trouver où ça coince.

- Pour moi, c’était pas ça le plus difficile. Mais je te promets pas que c’est une partie de plaisir, non.

- C’était quoi le plus dur, pour vous ?

- Parler… Dire ce qui va pas. Parce-que quand on le dit, on peut plus l’ignorer. C’est comme si ça devenait vrai une deuxième fois. On peut plus faire machine arrière. Et ça peut faire peur. Mais en fait c’est le moment où ce qui fait mal sort. On prend du recul ensuite, on comprend mieux pourquoi on fait ça, pourquoi on est comme ça. Après, ça se fait pas toujours instantanément, c’est sûr. Mais petit à petit, la douleur s’en va. Et la colère aussi. Et toutes ces putains de choses qu’elle nous fait faire quand on la garde pour soi.

Elle me regardait fixement. Elle avait l’air de se projeter dans sa guérison. Ça faisait plaisir à voir.

- Je peux te donner les coordonnées de la psychologue qui m’a suivie. C’est quelqu’un de super ouvert, et de très franc. Elle te plairait.

Elle avait l’air de chercher ses mots. Il se passait mille choses dans sa tête. Pour toute réponse, j’ai attrapé mon téléphone, et je lui ai demandé son numéro pour lui envoyer un message. Elle s’est exécutée.

- Je sais que c’est… étonnant que je vienne te voir, ai-je fini par dire. Mais qu’est-ce que j’aurais du faire ? Te menacer ? Te suivre jusqu’à chez toi et trafiquer la voiture de tes parents ? Quand j’aime pas quelqu’un, je me contente de l’ignorer. Sauf quand il s’en prend à moi ou à un membre de ma famille. Là, je lui demande simplement d’arrêter.

- Et pourquoi vous m’aidez, alors ?

- Parce que tu en vaux la peine.

Elle avait entrouvert la bouche à ces mots. Son téléphone a vibré.

- Merci, a-t’elle dit en soulevant légèrement son téléphone de sa main et en me jetant un coup d’œil. On vient de me le rendre...

Elle a dégluti difficilement.

- Ils t’avaient confisqué ton téléphone ?

- Oui, quand je me suis réveillée, ici, je l’avais pas. Et ils ont pas voulu me le donner avant tout à l’heure. Ils m’ont interdit d’aller sur les réseaux. Ils ont désinstallé toutes mes applis : Insta, Snap etc...

- C’est pour ton bien.

- Je sais les réinstaller, si je veux.

- Tu ferais mieux de regarder une série.

- Vous avez peur que je recommence, vous aussi ? Ça vous arrangerait pas que je réessaie ? Peut-être que je me louperai pas, cette fois-ci ?

- C’est horrible, ce que tu dis. Je souhaite la mort de personne. Et puis, ici, de toute façon, tu peux rien faire, quelqu’un te verrait et t’en empêcherait.

- Vous avez carrément raison. Pire que la prison.

J’ai repris profondément ma respiration.

- Albane est passée en conseil de discipline, au fait, ai-je ajouté.

- Ah. Et qu’est-ce qui va lui arriver ?

- Elle sera exclue de l’établissement. Définitivement. Elle a nié les faits jusqu’au dernier moment. Puis, elle a craqué et a avoué. Mais elle ne semblait montrer aucun remord. À l’entendre c’était presque rien ce qu’elle a fait. Bref…

- Ah.

- Ça ne te soulage pas ?

- Je sais pas. Comment vous savez tout ça ?

- Lola fait partie du conseil d’administration du collège…

- Ah oui, Sainte Lola.

- C’est pas ta copine ?

- Si, si. Désolée, j’ai dit ça comme ça. Elle me soûle un peu, des fois. Elle sait tout, elle fait tout bien comme il faut… bref.

- Mmm, je comprends. Tu n’as rien à lui envier. Vous êtes juste très différentes, mais touchantes, chacune à votre manière.

Je marquais une pause.

- Bon, je vais te laisser.

- D’accord. Du coup, vous êtes pas la psy, alors?

- Ben non…

- Ah oui, je me disais que vous étiez pas très douée, aussi !

- Chacune ses méthodes, ai-je répondu, faussement vexée.

Je me suis levée.

- En tout cas, si tu as besoin de parler, si tu te sens en colère, ou triste, ou quoique ce soit d’autre… hésite pas à m’appeler. Si je peux te répondre, je le ferai.

- C’est quoi déjà votre prénom ? Pour que j’enregistre le numéro.

- Norah. Et toi c’est Sandra.

- Oui.

- Et ton frère, comment est-ce qu’il s’appelait ?

- Cyril.

Elle a baissé la tête.

- C’est lui, là, a-t’elle fait en me montrant l’écran de son smartphone, après avoir déplacé ses doigts dessus à la vitesse de la lumière.

- Je peux dire un truc ? Ai-je demandé.

- Allez-y.

- Il était super beau gosse !

- Oui, je trouve aussi. Mais bon, je pense que je suis pas très objective.

On a rigolé. Sur ce, la porte s’est ouverte. On a tourné nos têtes.

- Bonjour ! Madame, les visites ne sont pas autorisées. Vous êtes pas sa mère, il me semble ? M’a interrogée l’infirmière.

- Non, je suis sa tante.

Elle a froncé les sourcils. Mon mensonge tenait pas la route.

- Je venais juste prendre des nouvelles, ça fait que 5 minutes que je suis là. Et je partais, de toute façon.

- Bon, d’accord.

- Allez, bisous, ai-je dit en me levant et en agitant ma main en signe d’au-revoir.

- Ouais, salut Tatie, a répondu Sandra, fidèle à ma tromperie.

Je errais dans les couloirs pour trouver la sortie. Je m’étais un peu perdue, je crois. J’ai entendu mon téléphone biper. En baissant les yeux vers l’écran, j’ai lu un « merci » envoyé par ma nouvelle confidente.

           FIN

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