1.1
«Voici la caisse pour votre équipement. Celle-ci sera pour les bijoux», déclara Pratha, l’un des adeptes favoris du Chram, en désignant deux boîtes en chêne béni.
L’air des vestiaires était gorgé d’un parfum à mi-chemin entre l’encens et la lavande. Au contact de la fraîcheur du sol, la douleur qui accablait les jambes des étrangers s'évanouit.
Le chef des rébéens déposa un fusil au canon usé par le plasma. Le reste de la troupe suivit l'exemple. Avant de refermer la caisse, Pratha jeta un coup d’œil à l’armement entreposé ; des lames électriques émoussées aux dagues-lasers rouillées, en passant par les boucliers et armures magnétiques au bord de la dislocation... Puis il scella le couvercle à l’aide d’une formule, et offrit une serviette à chacun des hommes nus devant lui. De nombreuses cicatrices, mêlées à de la boue séchée, lézardaient leurs corps amaigris. L'adepte les guida ensuite à travers un long couloir de marbre, jusqu’à un bassin taillé directement dans la roche d’une caverne. Quelques lumières faiblardes permettaient de distinguer, à travers la vapeur, les silhouettes de jeunes garçons assoupis.
«Je m’appelle Pratha, déclara l’adepte, gêné par le silence que personne n’avait percé depuis cinq bonnes minutes.
- Sayyêt», répondit nonchalamment le chef du groupe en se passant un savon sous son aisselle droite.
Pratha, qui ne se souvenait pas d’avoir déjà vu des hommes aussi sales, peinait à dissimuler son dégoût.
«Vous venez de l'Est, si j’ai bien compris ? Je vous prie de m’excuser si je fais erreur, je ne connais que très peu le monde en dehors de la Princi...
- C’est bien cela», confirma Sayyêt, désormais occupé à nettoyer son aisselle gauche.
Pratha, intimidé par son aspect sauvage, n’osa poser toutes les questions qu’il avait en tête.
Pourquoi êtes-vous venu ici ? Que vous est-il arrivé pour que vous vous retrouviez dans cet état ? Les habitants de l’Empire sont-ils tous aussi sales que vous ? Aussi peu causants ? Quelle garantie avons-nous que vous n’êtes pas des espions envoyés par je ne sais quel souverain, en vue de nous envahir ? Est-il vrai que, chez vous, on ne vénère pas de dieu mais simplement la "Volonté" ?
Malheureusement, sa bouche resta paralysée et il dut se résoudre à dérouler des dialogues imaginaires dans sa tête.
Sayyêt adressa quelques rares mots en rébéen à ses hommes, sans qu’aucun ne lui réponde. Puis, une fois que les traces de boue dans l'eau eurent disparu, il proposa de quitter le bassin. Déjà ?! aurait voulu s’écrier Pratha, pour qui le bain était aussi sacré qu’une prière, et ne pouvait en aucun cas être réduit à un simple lavage. Ce moment, où le corps se libérait de toute souffrance, était le plus propice pour communier avec les Grands. Peut-être n'ont-ils pas l'habitude de se laver, là-bas, pensa-t-il en observant les étrangers s'essuyer au bord du bassin.
Gopta, le chargé des lessives et ami le plus proche de Pratha, patientait dans les vestiaires, une pile de sawaris dans les bras. Contrairement à son ami, il fut incapable de réprimer une large grimace en voyant les Rébéens arriver. Bien que leur peau sente désormais le savon et soit débarassée de toute crasse, leur blancheur était entravée de tâches grisâtres, répugnantes aux yeux des adeptes. Tandis qu'il remetait leurs tenues aux étrangers, Gopta envoya une pensée à son ami.
Ils ont l’air franchement barbares... tu ne trouves pas ? Pratha se contenta de répondre par un haussement d'épaule et un sourire gêné. Sayyêt les dévisagea froidement. Gopta baissa les yeux.
«Je dois les accompagner jusqu’à la tente du maître, je reviens d’ici une dizaine de minutes. On ira boire le thé ensemble, si tu veux, proposa Pratha.
- Avec plaisir», répondit Gopta avec empressement, chaque seconde plus mal à l’aise en la présence des peaux-blanches.
Le plus petit sembla traduire quelques mots en rébéen qu’il transmit à ses camarades. Pratha et Gopta effectuèrent le salut d’égal à égal, puis ils se séparèrent.
Dans la cour centrale, les étrangers attirèrent tous les regards des adeptes, oisifs durant les dernières heures de l'après-midi. Même les perroquets gardèrent leurs yeux braqués sur ces hôtes, les alpaguant par des phrases aléatoires. Ni Sayyêt ni ses hommes ne semblèrent mal à l’aise à l’idée d’être observés comme des animaux en cage, ce qui surprit grandement Pratha. Leurs visages, il en avait l'impression, ne se seraient décomposés pour rien au monde. Il accéléra le pas, pressé à l’idée d’être libéré de sa tâche.
***
«Vous voilà», sourit le Maître, tandis que les étrangers passaient à travers son rideau en perles de corail.
Pratha effectua le salut honorifique, tandis que Sayyêt et ses hommes se prosternèrent à la rébéenne. Le Grand Qalam, ayant lu dans le regard de son adepte l’envie de partir le plus vite possible, lui fit un petit signe de la main. Pratha quitta l'endroit sans demander son reste.
«Levez-vous, levez-vous donc, ordonna le religieux. Prenez des tabourets, il doit y en avoir assez pour tout le monde.
- Je tiens à vous remercier encore une fois, déclara Sayyêt. Vous nous avez rendu un service... inimaginable.
- Oh, mais au contraire ! J’imagine l’importance du service rendu ! s’exclama le religieux, amusé. Mais dites-moi donc, comment puis-je vous appeler ?
- Sayyêt La-Hwani, répondit le chef. Et voici Kéber, Yahoun, Malki, Djéma, et enfin, Jébril, acheva-t-il en désignant le petit interprète.
- La-Hwani... La-Hwani... Il me semble que c’est une famille plutôt puissante, sur la côte est, si je ne m'abuse ?
- Tout à fait, acquiesça Sayyêt.
- Dans ce cas, par Eshev, pourquoi s'aventurer si loin de chez vous ?
- Mon père m’a envoyé en mission commerciale en Litania, mais nous avons été pris en embuscade par des brigands, à la frontière.
- Étrange... Le gouvernement met un point d'honneur à assurer la sécurité des commerçants. Pourquoi ne pas vous être rendus directement à l'ambassade impériale de Samsharadh, ou même avoir rebroussé chemin jusqu’à l'Empire ? Vous y auriez reçu une aide considérable.
- Nous ne savions pas sur quoi nous allions tomber en route. L’Empire est devenu... une zone de non-droit. Bien plus que vous ne semblez en avoir conscience, si vous me permettez. Votre pays, en revanche, est réputé pour être relativement sûr. Nous connaissons votre Chram jusque dans notre province d'origine, justement est réputé pour toujours se tenir hors des conflits. Nous avons même une expression, chez nous, qui dit qu’un endroit est paisible comme Apourna.»
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