2.2
«Kasbahê, ka-sba-hê, répéta le Grand Qalam. Ce qui veut dire : comment allez-vous ? Vous voyez, le djahmarati est resté très proche du skritt !
- Kasbahê, reprit Djéma, visiblement fasciné par la découverte de la langue.
- Je pense que d’ici quelques semaines à peine, vous trois serez en mesure de discuter convenablement. Pour ce qui est de Djéma et Yahoun, il faudra un peu plus de temps.»
Mondhi, l’infirmier du Chram, tourna une énième fois autour des corps nus des rébéens à la recherche de plaies à désinfecter. Ces derniers, plus abîmés encore que le Grand Qalam ne l’avait imaginé, passèrent toute la matinée dans sa tente. Mondhi resta silencieux des heures durant, tandis que le chef du Chram profitait du moment pour leur enseigner des bases de djahmarati.
Surveille-les bien, j’emmène leur chef dans ma tente. Pravak devrait arriver d’ici peu, ordonna en pensée le chef religieux à son adepte. Je ne les lâche pas d’une semelle, répondit Mondhi. Sayyêt les dévisagea longuement. Lorsque tout le monde fut sorti, le Grand Qalam remarqua que le chef s’inclina légèrement en direction de sa tente, avant même qu’il n’ait le temps de dire quoi que ce soit. Eh bien, il semblerait que je ne sois pas le seul à savoir lire dans l’esprit des Hommes ! s’exclama-t-il par télépathie. Sayyêt, totalement maître de lui-même, ne sourcilla pas un instant.
«Un peu de chai ? proposa le Grand Qalam, tandis que le chef des étrangers s’installait sur un tabouret.
- Je veux bien, merci, accepta Sayyêt.
- Alors, où avez-vous appris le don de lecture des esprits ? demanda le sage, les yeux plongés dans ceux de son interlocuteur.
- Excusez-moi, je ne vois pas de quoi vous parlez, répondit Sayyêt en avalant une gorgée.
- Allons, allons. Cela fait plusieurs siècles que je suis là, et j’ai vu passer bien des menteurs dans ma vie. Feindre l’ignorance ne vous sera d’aucune utilité. Néanmoins, je comprends mieux pourquoi votre barrière mentale était si difficile à percer. Vous avez un sacré niveau ! Peu d’adeptes ici peuvent vous égaler. C’est à peine si j’ai eu accès à de maigres bouts de pensée ; toutes en rébéen qui plus est. Ne vous inquiétez pas, je n’ai pas pu violer votre intimité, Seigneur La-Hwani, ajouta-t-il d’un ton railleur.
- Je... Hm... marmonna Sayyêt.
- J’estime avoir le droit de connaître un minimum d'informations sur mon hôte, n’est-ce pas ? demanda le Grand Qalam. De toute manière, si je le souhaitais, je pense que je pourrais détruire toutes vos barrières et accéder à votre esprit entier. Mais si je le faisais, vous me retrouveriez au lit pendant les quatre prochains jours. Peut-être pourrions nous éviter cela ?
- Eh bien... bredouilla le chef rébéen, mon père m’a transmis quelques formules...
- Dans l’Empire ? Ça alors...
- Tant que vous ne vous faites pas attraper par les autorités... Ma famille est loin d’être la seule à la pratiquer. C’est-à-dire que la magie renferme tellement de possibilités dont personne ne bénéficie à cause des lois...
- C’est une honte que des gouvernements tentent de l’interdire, nous sommes d’accord sur ce point», déclara son hôte.
Sayyêt acquiesça en silence.
«Et vous vous permettez donc de sonder nos esprits ? Si j’avais su qu’il fallait rétablir nos barrières...
- Ce n’est pas contre vous. Je... Nous sommes très méfiants, comme vous avez probablement pu le constater. Les brigands, à la frontière, ont abusé de notre confiance.»
La voix de Sayyêt se brouilla et ses yeux se gorgèrent de larmes.
«Je vous expliquerai tout cela un peu plus tard, si vous le souhaitez. Pour le moment, j’ai encore besoin de digérer toute cette histoire et d’un peu de repos.
- Accordé. Je ne vous ai pas faits venir dans ma tente pour vous demander de me parler des circonstances qui vous ont amené ici, de toute manière. Je souhaiterais simplement que vous vous joigniez à ma méditation quotidienne, encore une fois.»
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