L’attente devient longue. Depuis quand un titan se doit de patienter et de quémander devant un dieu ? Notre temps a certes été révolu, il n’empêche que j’ai l’impression d’être le seul parmi mes semblables à le tenir encore tête. Peut-être est-ce dû à notre amitié, ou encore par rapport à ce qui nous lie tous les deux. Mes yeux s’attardent, en attendant, sur sa demeure et de plus en plus sur ces tours obsidiennes noires. Zeus a toujours eu du goût pour mettre en avant sa demeure, la rendre plus remarquable avec cette pierre de qualité. Le dieu des enfers fait toujours un travail remarquable avec elle. D’ailleurs, comment gère-t-il cette nouvelle en enfer ? Comment les morts de ces types d’humains sont-ils accueillis en enfer ? Sont-ils libérés de l’emprise de Zeus ? Sont-ils envoyés directement boire de l’eau du fleuve de Léthé ?

A ce moment-là, la grande porte s’ouvre, mettant fin à mes réflexions et laissant place aux rayons de lumière sortir de la pièce du Dieu de l’Olympe. Il est là, assis sur son trône, ses jambes immobiles tandis qu’une aura de grandeur émane de lui, presque aussi imposante qu’une statue.

Avec un geste de bras, il m’invite à rentrer. Sous ce regard doré accueillant et ce masque de roi de l’Olympe illuminant le monde, comme un voile chatoyant, je ne peux m’empêcher de percevoir une lueur calculatrice, presque froide, un dieu rusé.
“Que me vaut cette visite, mon cher Prométhée ? “demande-t-il d’une voix calme et amicale, avec son masque de bienveillance bien en place, dissimulant à peine une pointe de méfiance. La prudence est souvent de rigueur avec lui.
D’une voix calme mais remplie de détermination, je lui réponds: “ Zeus, Je sais que je suis la dernière personne avec qui tu souhaites parler de ça, mais je te pris de considérer ce que je vais dire.

• Je t’écoute”, dit-il d'une voix calme et intimidante.

“Faire ça aux humains, je crois qu’on casse un équilibre sur Terre”, exposé-je avec prévoyance, cherchant à éclairer Zeus sur les conséquences de ses actes. ” Comment vont-ils évoluer si tu les traites comme des marionnettes? Ils ont besoin d’avoir conscience de leurs erreurs et d’apprendre. Ça peut prendre du temps, je ne doute pas. Mais ça permet de voir cette lumière, cette lueur d’espoir dans leurs yeux que tout peut s’arranger s’ils ne perdent pas espoir. Redonne-leur leur libre arbitre et ils pourront évoluer d’une manière qui ne perturbera pas l’équilibre que nous cherchons à retrouver.

• L’espoir est une arme dangereuse. Je pensais que tu l’avais compris avec ta belle sœur”, me rétorque- t-il en laissant place à un sourire froid et imperturbable. “D’ailleurs comment va Epiméthée ? ” susurre-t-il, en essayant de m’atteindre avec cette foutue boite.

Mon regard soutient le sien, amusé par ses pics. Il ne touchera plus jamais à ma famille pour m’atteindre.
Non.

Mon frère.

Plus jamais.
“Ne transfert pas la faute des maux de l’humanité sur mon frère et sa femme” lui répondant avec calme, dénué d’émotion alors qu’à l’intérieur de moi, ma colère s’enflamme de plus en plus. “ C’est toi qui as mis à l’intérieur toute cette cupidité, ces maladies, cette douleur et cette envie. Ca a certes été néfaste, mais grâce à ton fils, qui a eu l’intelligence de mettre l’espoir dans cette boite, l’homme a pu lutter contre tous ces maux. Grâce à cet espoir, l’humanité a pu échapper à la résignation, et mieux vivre.

• Tu penses que l’espoir permet aux humains de mieux vivre? Mon cher Prométhée, tu es bien naïf. Avec ce poison en eux, l’homme est bloqué dans ses attentes égoïstes. Regarde notre ami Sisyphe”, dit Zeus d’un air dédaigneux. “Regarde où l’espoir chez l'être humain l’a emmené, qui pour lui, par rapport à son absurdité humaine soulève encore aujourd’hui ce rocher aux Tartares jusqu’au sommet. Pour quelle raison, encore? Ah oui, comment l’oublier: une attente égoïste, d'acquérir l’immortalité. “ Cet homme était certes plus jeune que moi, pourtant j’ai l’impression que son rôle l’a davantage vieilli et l'a rendu aigri.

“Mais qu’es-tu devenu mon ami!”, lui lancé-je en le regardant droit dans les yeux. “Toi, qui avant, te faisais une joie de créer de nouvelles choses et de nouvelles créatures. Ce poison, comme tu le dis si bien, leur donne du courage et devient un moteur d’action. Grâce à ça, la créativité prend place chez eux, pour créer de nouvelles choses. Et dire qu’avant tu étais en admiration de tout. Regarde comment tu les traites.”

Le sourire en coin de Zeus semble se figer. Les tapotements de ses doigts commencent légèrement à raisonner dans ce silence de mort, révélant une certaine tension derrière sa façade royale.

“Doucement Prométhée, je te rappelle que c’est à cause de toi, que mes humains ont une conscience. Je pourrais te renvoyer aux Tartares et te condamner à souffrir à nouveau chaque jour pour ton affront. Ne me menace pas, “ prévient-il, connaissant bien ma peur des vautours et des souffrances passées.
Ces dernières paroles vibrent le sol et la pièce. Les tours obsidiennes tremblent tellement que des morceaux s’en détachent près d’eux. En le regardant, ses yeux dorés étincellent de fureur, prêts à me foudroyer sur place. Les cicatrices faites par leurs griffes me crient de douleurs, à ce moment-là. Comme si, à cet instant précis, mon visage se fait de nouveau érafler par elles. Il me faut une volonté de fer pour me faire violence et réfréner l’envie de les toucher dans l’espoir d’apaiser cette douleur lancinante. Mais lui montrer que son châtiment a encore de l’impact sur moi-même est hors de question.

“Pars, et hors de ma vue”, gronde Zeus.

Ce n’était pas le moment de le mettre sur les nerfs. Il faut que je trouve un point d’attaque et pas comme la dernière fois. J’ai maintenant besoin de soutien, d’alliés pour tenir tête à Zeus. L’espoir est sûrement une arme dangereuse mais c’est aussi l’essence même de l’humanité. Si Hermès m’entendait, il se moquerait certainement de moi.