Pélerinage

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Après le jour de jeûne rituel, le Cadir partit pour Port Haksias. Là, il trouva un capitaine qui l’embarqua pour le Harthor, terre à laquelle il devait tous ses tourments.

La traversée fut rude.

Cette année–là, les orages émaillant l’été commencèrent très tôt. Le convoi de vaisseaux marchands, ayant subi quelques avaries, dut faire relâche sur une île. Des fragrances de ciste, de sauge et de genêt descendaient des collines, comme portées par les papillons multicolores. Le maquis étincelait de fleurs jaunes et blanches, que reflétaient les eaux calmes de la baie.

Le Cadir, émerveillé par ce paysage verdoyant, descendit à terre. Mais il n’apprécia guère les us rétrogrades et l’esprit étriqué des insulaires, et préféra regagner le bord dès que possible. Le capitaine lui expliqua que la consanguinité limitait un peu l’ouverture d’esprit des pauvres bougres, et que les rafles des pirates, pour alimenter les marchés aux esclaves du sud lointain, les avaient rendus méfiants. Hadhar songea que les malheurs des hommes se trouvaient semés par le monde, avec la même prodigalité que les bienfaits de la Déesse.

Les mœurs des passagers Harthoriens étonnaient beaucoup le Cadir, mais il s’entendit très bien avec les marins, tant la cohésion indispensable de l’équipage face à l’océan rapprochait la discipline du bord des coutumes de son pays. Les hommes confiaient leur vie aux vaisseaux, qu’ils soient du désert ou de la mer. Les marchands se groupaient pour mieux se protéger des pillards. Dans les oasis comme dans les ports, chacun devait se plier aux règles et aux abus des potentats locaux. On risquait de se perdre dans les étendues salées tout autant que dans les déserts de dunes et aussi bien y périr de soif. Et bien sûr, les tempêtes s’avéraient redoutables dans l’un et l’autre cas. Hadhar s’étonna de cette fraternité cachée et loua la Déesse d’avoir décillé ses yeux.

En approchant des blanches falaises de Harthor, une partie des navires quitta la flotte pour s’engager dans un estuaire escarpé vers le nord, tandis que les bâtiments restants suivaient les phares jalonnant les côtes, cap à l’est vers le delta d’un grand fleuve. La nuit suivante, les vigies annoncèrent les signaux des garde–côtes Harthoriens.

La coque de la felouque gémit lorsque le navire de guerre les aborda. Hadhar crut sa dernière heure arrivée, il pria humblement la Déesse dans le branle–bas et les sifflets des quartiers–maîtres. Des soldats montèrent à bord pour fouiller le vaisseau de la proue à la poupe et le navire fut immobilisé jusqu’au matin. Hadhar découvrit un horizon de lagunes et de longues îles de sable, envahies par les oiseaux marins. Alors les passagers furent interrogés un à un, sur le pont, pour établir les taxes d’importation marchande. La terrible efficacité de la bureaucratie royale du Harthor impressionna le Cadir, mais ce qui le confondit tout à trac, fut la parfaite insensibilité des fonctionnaires aux tentatives de corruption.

Mais il n’était pas au bout de ses surprises : l’équipage et tous les passagers furent également auscultés, devant tout le monde ! Femmes et hommes s’alignaient pour être examinés comme des chevaux sur le marché de Sûk Abarrim ! Notre brave Hadhar s’interposa, prêt à dégainer son sabre, pour protéger la pudeur d’une passagère, lorsque vint son tour d’être auscultée par le médecin, mais ladite matrone le houspilla énergiquement : elle rentrait dans son pays, n’avait pas de temps à perdre et on n’allait pas faire de chichis pour si peu ! Et la femme gouailleuse d’ajouter :

– Tu m’as l’air un peu chatouilleux du sabre, toi ! J’ai là de quoi te guérir, il faudra venir me voir ! en épiçant ses œillades de quelques quolibets graveleux, en usage dans les maisons de tolérance de Port Haksias, et que la décence nous interdit de rapporter ici…

Quelle impudence ! Le rouge monta au visage du Cadir et sa moustache en frisa d’indignation ! Hadhar s’apprêtait à sévir, lorsqu’il se souvint qu’il avait fait vœu d’humilité pour obtenir son pardon. Sous les rires de l’équipage, il regagna donc le rang et attendit son tour avec philosophie.

Le capitaine de la felouque eut beau expliquer au Cadir qu’il s’agissait là des procédures en vigueur pour lutter contre la contrebande et les épidémies, Hadhar avait été froissé, et renonça à se lier avec ces gens de peu de pudeur !

Un pilote resta à bord et le convoi reprit sa route, sinuant entre les hautfonds du delta, pour accoster le surlendemain à Havrarthir.

L’immensité de la cité frappa le Cadir au cœur. Hadhar eut là un aperçu terrible de la puissance du Harthor. Des centaines de vaisseaux de toutes tailles, des quais et débarcadères à perte de vue, des entrepôts immenses débordant d’activité, des bataillons de soldats partant pour des terres lointaines, d’autres revenant les bras chargés d’étoffes, une multitude d’échoppes de toutes sortes, un chantier naval inégalé, des marchandises en provenance des quatre coins de l’horizon… Il erra un peu, abasourdi par ces palais et ces dômes, ces dédales de rues sans fin, ces puissants canaux irriguant la ville, ces fortifications plus épaisses et plus hautes que celles des borj de ses montagnes natales ! Et la majestueuse rectitude des avenues arborées, comme un hymne à la grandeur des rois qui les avaient construites !

Ce premier contact ébranla profondément les conceptions de Hadhar. Mais le Cadir ne le vécut pas comme une initiation bienveillante sous la houlette de la Déesse. Comme il se sentait perdu, dépouillé de ses repères dans l’immensité de cette ville inconnue ! Heureusement, il croisait de temps à autres, quelques passants vêtus de la même façon que lui. Il les saluait cérémonieusement, espérant lier connaissance. Mais tous, femmes et hommes, passaient rapidement leur chemin après lui avoir répondu – ou pas ! Les gens couraient constamment dans la grande cité...

Lorsqu’il fut un peu revenu de sa stupéfaction, le Cadir rassembla son courage et demanda son chemin vers le palais royal. Il lui fut répondu, avec un sourire condescendant, qu’il conviendrait tout d’abord pour lui de se rendre à la capitale, Harthorian, située plusieurs douzaines de lieues en amont !

Notre Cadir, visiteur naïf tout juste débarqué de sa province, fut comme souffleté par cette révélation. Hadhar remercia gravement, mais dut en appeler à la Déesse pour ne pas défaillir. Ainsi donc, il était une cité encore plus magnifique que le grand port de Havrarthir ! Le Cadir eut une pensée émue pour l’Oncle, lorsque le vieillard l’exhortait à remettre en cause ses convictions…

Heureusement pour lui, c’était l’heure des dévotions et un compatriote fut assez charitable pour lui indiquer l’emplacement d’une fontaine, où les siens, de passage dans la grande cité, avaient l’habitude de se réunir pour rendre leurs devoirs à la Déesse – Béni soit son nom ! Ainsi Adhar put trouver refuge dans le recueillement et recevoir quelques bons conseils.

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