Chapitre 7 - Jour 1 : Atterrissage d'urgence

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Nous avions fait à peu près les trois quarts du vol lorsque j’ouvris les yeux. Tout s’était déroulé sans encombre. La cabine entière était encore en grande partie endormie. Je levai le volet du hublot. Le ciel orangé de l’après-midi allait bientôt faire place au crépuscule. Encore une petite heure et nous serions à Seattle. Je pourrais alors profiter de ma permission, boire, jouer et coucher, pourquoi pas ? J’en avais envie.

Le signal sonore me sortit de mes rêveries. Le capitaine prit la parole au micro. Avec une voix très cordiale, il dit : « Mesdames et Messieurs, suite à des perturbations inhérentes à notre volonté, nous allons être contraints de modifier notre trajectoire. Nous atterrirons au Portland International à l’instar du Seattle-Tacoma initialement prévu. Nous tenons à nous excuser pour ce désagrément et vous tiendrons informés des correspondances disponibles dans un instant. Merci de votre compréhension. »

Et merde. Il fallait presque trois heures pour rejoindre Seattle depuis Portland par la route, voir plus le soir avec les embouteillages. C’était bien ma veine, je pouvais oublier ma soirée de débauche et de perversité. L’annonce du capitaine avait soulevé un mouvement de mécontentement dans la cabine. On ne pouvait pas ne pas entendre cette mère de famille protester au fond de l’avion.

Le signal sonore retentit de nouveau et un signe lumineux nous indiqua d’attacher notre ceinture. L’ensemble des passagers se préparait pour l’atterrissage et nous amorcions notre descente sur Portland. Après de longues minutes, je voyais par le hublot que nous approchions de la piste. Avec le soir qui tombait, on pouvait voir les lumières qui bordaient le tarmac. L’appareil se posa sans encombre.

Mais un instant plus tard, nous entendions un vacarme assourdissant. J’en étais persuadé, l’avion venait de heurter quelque chose. L’incompréhension montait dans la cabine, alors que l’avion finissait sa course. Une fois à l’arrêt, nous les passagers nous regardions de côté, stupéfaits. Un bébé hurlait quelques rangées plus haut et une femme plutôt âgée demanda « Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? ».

« Je vais quand même aller voir ce qui se passe.

- Je refuse de descendre de cet avion. »

Il était impossible de faire débarquer les voyageurs, les embarcadères, pour une raison obscure, n’avaient pas été mis à disposition. Le capitaine aiguillait comme il pouvait les passagers vers les toboggans qu’il avait déployés. Mais la plupart voulait absolument rester à l’abri dans l’avion en attendant les secours. En vérité, personne ne comprenait, ni n’avait d’informations sur ce qui se passait. Je pris mon sac à dos dans le compartiment à bagage, enfilai ma veste et m’engageai vers la sortie, où je rejoignis le capitaine et quelques personnes décidées à ne pas rester là.

Le spectacle sidérant sous nos yeux était à la hauteur de la violence du choc. Nous étions au beau milieu de la piste, seuls, horrifiés. Des débris de part et d’autre du tarmac. Au loin, des flammes, de la fumée jaillissaient. Puis, je devinais à plusieurs mètres de là le pushback étendu sur le côté, enfoncé, que nous venions sûrement de percuter.

« Le mieux serait de rentrer dans l’aéroport, on ne va pas quand même pas rester au milieu de la piste ?!

- Ecoutez, je ne sais pas ce qui se passe, mais il est hors de question que je reste ici plus d’une minute, dit le pilote.

- En effet, un autre avion pourrait se poser d’un moment à l’autre.

Le capitaine regardait autour de lui. Puis son attention se posa sur l’aéroport, et plus particulièrement sur un embarcadère en hauteur à quelques centaines de mètres de là.

- J’ai l’habitude de transiter par cet aéroport, je pourrais vous guider une fois à l’intérieur.

- Je vous accompagne, dit une jolie jeune femme. Lieutenant Jessie Blake, je suis de la police, afficha-t-elle en nous montrant sa plaque.

Je venais de me faire devancer en toute beauté.

- Moi de même, dis-je. Caporal Kal Ashworth du corps des Marines. Je suis en civil mais on vous maintiendra en sécurité sur le trajet. Le lieutenant a raison, on ne va pas prendre le risque de vous perdre si vous connaissez les lieux.

Vous avez des fusées de détresses ou des choses de ce genre à bord ?

- Dans l’appareil sur la droite dans le placard, allez vous servir si vous le souhaitez, mais on ne traîne pas, il nous faut quitter les lieux tout de suite et maintenant.

Je revins vers l’avion en courant. C’était la débandade générale à l’intérieur, les gens étaient paniqués, cloîtrés derrière les sièges. Je criai en essayant de les raisonner, eux et le reste de l’équipage, mais c’était bien peine perdue. Résigné, je revins à la porte en montrant le lance-fusée et deux cartouches éclairantes que j’avais trouvés.

- On se dirige vers l’embarcadère et surtout on reste groupés. Le caporal et moi, on reste devant, et vous derrière », déclara Jessie au groupe.

Sur le trajet, on pouvait voir un camion-citerne en flammes, qui avait visiblement été pris pour cible. Des palettes de marchandises étaient également en feu. L’ambiance, lointaine, nous rapportait des grondements sourds et des éclatements distants, mais au final, ici, nous n’entendions que le bruit de notre course, tout autour était d’un silence pesant. Comme si nous étions les seuls survivants dans le secteur. Sans pouvoir nous faire une idée de ce qui nous attendait.

A l’approche d’un contener de catering, un membre du groupe sursauta en criant. Un corps était étalé par terre. Un soldat en treillis, qui avait servi là, juste ici. Le sang séché sur le sol semblait provenir de sa tête, elle avait dû être traversée par une balle, sûrement à bout portant. S’il y avait bien eu conflit comme tout ici le suggérait, tous les cadavres qu’on serait amenés à croiser seraient déjà dépouillés de leurs armes. Si ce gars s’était fait buter, celui qui l’avait tué s’était forcément servi au passage. Il n’y avait sur lui en bon état qu’un gilet tactique, auquel était attachée une grenade fumigène. Je le détachai du mieux que je pouvais et l’enfilai, et donnai en compensation le lance-fusée et ses recharges à Jessie. Elle avait une étincelle déterminée dans le regard et une autorité tout à fait naturelle qui la rendait…très attirante.

Alors que nous nous éloignions toujours en direction de l’aéroport, sur la droite gisait un deuxième corps. Un civil, au corps broyé, déchiqueté. Une scène particulièrement sinistre et macabre. Il n’y avait plus rien que nous ne puissions faire. Nous terminions enfin notre progression sans quelconque signe de vie, au pied de ce qu’il restait d’un pont d’embarquement.

A la force des bras, je grimpai le premier et aidai les autres à se hisser. Nous longeâmes la passerelle pour atteindre enfin le terminal.

« Je connais bien les lieux, je connais un endroit où nous abriter, nous dit le capitaine.

Nous le suivions à travers des salles d’attente vides, l’éclairage grésillait au dessus de nos têtes.

- C’est quoi cette porte ? demanda un membre du groupe en indiquant une porte métallique un peu usée sur la gauche.

- Ce n’est qu’un vieil entrepôt condamné où sont stockés des bagages et des colis perdus, répondit le capitaine. Ne perdons pas de temps.

- Y a peut-être des trucs à choper… »

Le gars essaya d’ouvrir la poignée.

Mais quelque chose semblait buter derrière la porte qui l’empêchait de s’ouvrir.

Le capitaine profita de notre inattention et partit en courant.

« Eh ! », criai-je pour le retenir.

En vain.

Nous n’entendions plus que ses pas qui faisaient écho dans le terminal.

Puis ils s’arrêtèrent net.

Un cri d’horreur déchira l’atmosphère.

Puis un long grincement plus loin.

On voyait à présent plusieurs silhouettes, indéfinissables, des ombres qui déambulaient. Elles avançaient, avançaient encore.

Dans notre direction.

Nous fîmes demi-tour.

Mais derrière nous se trouvaient ces mêmes individus, ensanglantés, à la dégaine morbide.

Il était bien trop tard pour retourner sur nos pas.

« La porte ! Enfoncez-moi cette porte ! »

Les créatures se rapprochaient, alors que nous tirions de toutes nos forces sur la poignée. Mais la porte continuait infatigablement de résister. Les individus gagnaient du terrain. Nous insistions d’autant plus sur la porte, mais elle ne semblait toujours pas s’ouvrir.

Au moment où nous sentions qu’elle allait nous laisser à l’abandon, quelque chose derrière se débloqua. Le loquet céda pour s’ouvrir sur une espèce de débarras. Nous nous précipitâmes à l’intérieur et refermâmes la porte d’un coup sec. Il nous fallait rester derrière la porte en attendant de pouvoir trouver de quoi la bloquer.

Un individu étrange, armé, à l’air dérangé nous dévisageait du fond de la pièce, tandis que nous entassions une armoire et un bureau pour empêcher toute intrusion. Je sentais son regard sur nous.

Il nous épiait.

« C’est dommage, on aurait pu rigoler, dit-il.

- Qu’est-ce qui tourne pas rond chez toi, l’affreux ? lui demandai-je.

- Qu’est-ce qui se passe là, dehors ? coupa Jessie, le lance-fusée au poing.

A l’observer, l’étranger semblait déséquilibré mais pas foncièrement violent. Il avait du matériel et était équipé d’un fusil à pompe. Le plus intriguant chez lui, c’était son visage. Des tatouages, plutôt bien faits. Il avait un AK-47 dessiné sous l’œil droit et sa bouche était tatouée et creusée façon Dio de los Muertos jusqu’au milieu de ses joues. Difficile de tirer des conclusions sur l’identité du personnage, mais ce n’était pas un individu lambda.

- La survie, ça me connaît. Et ne pose pas trop de questions, dit-il à Jessie, c’est moi qui suis armé ici.

- Tu es armé, soit, mais tu es tout seul alors qu’on est cinq, affirma-t-elle.

- Justement…alors tout le monde se calme et il n’y aura pas de problème, leur dis-je à tous les deux.

L’individu regarda Jessie droit dans les yeux. Mais il finit par céder et recula, jusqu’au mur du fond.

- Je ne sais pas ce qui nous attaque, ma jolie. Tout ce que je sais, c’est qu’il faut s’en tenir à bonne distance…et surtout, surtout…

Il regarda furtivement sur sa droite, comme s’il y avait quelqu’un,

puis nous regarda de nouveau.

…ne sortez pas la nuit, je vous le déconseille.

Le type n’avait pas vraiment l’air net. Il n’était certainement pas très fiable,

mais il restait adossé à son mur, sans bouger.

- Tu permets qu’on fouille ce qu’il y a ici ? »

Il acquiesça d’un bref signe de tête.

Tandis que certains renversaient des valises et des attachés-cases, d’autres s’affairaient sur des palettes aux planches en parties arrachées. Nous étions plutôt en sécurité ici et il nous fallait absolument rassembler un maximum de choses utiles, d’armes et de munitions pour sortir au lever du jour. A force de recherche, nous avions fini par trouver un marteau, sûrement oublié là, et des liasses de papier pour faire du feu. Maigre butin, mais nous serions obligés de faire avec.

L’étranger, après nous avoir vu retourner tout ce qui se trouvait dans cette pièce, revint vers nous.

« Vous pouvez passer la nuit ici…je vous conseille de dormir…j’avais l’intention de quitter cet endroit dès demain…hmmm je vais vous conduire demain, je vais vous conduire jusqu’au nord…il faut quitter la ville, ça grouille de partout ici…quitter la ville par le nord, c’est notre seule chance de sortir de ce merdier…

Pendant un moment, le tatoué était sur la défensive et nous montrait qu’il était en position de force, et l’instant d’après, il nous proposait de nous reposer et de nous guider le lendemain vers une zone apparemment plus sûre.

Etrange comme changement de discours.

Et Jessie l’avait senti aussi.

- Ok, dis-je. Mais je prends le premier tour de garde. »

Nous changions de ronde comme nous l’avions convenu et avions pu dormir quelques heures. Et pour cause. Notre avion avait été dévié sans raison apparente et avait atterri sur une piste hors d’usage dans un aéroport dévasté. Nous avions été surpris par des créatures sorties de nulle part et avions dû trouver rapidement refuge dans un vieux local. Mais nous étions déterminés à sortir vivants de cette situation, et le groupe se ralliait derrière Jessie et moi pour s’organiser et trouver de quoi se défendre. Mais je doutais que cela suffise.

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