Chapitre I - Conférence à Humanitypolis - Partie 4
Jeff arriva à son niveau en se forçant à paraître le plus naturel possible. L’homme lui attrapa l’épaule et enleva sa capuche.
« Pas si vite Docteur Bradley... J’ai deux, trois points à éclaircir avec vous. Je vais vous accompagner à votre loge si cela ne vous dérange pas.
- Je n’y vois aucun inconvénient, c’est un honneur pour moi de vous recevoir, monsieur Hawkwood.
- Très bien... répondit-il froidement »
Une fois dans la loge, Jefferson fit asseoir son interlocuteur et s’assit à son tour.
« Je ne suis pas né avec de l’or dans les doigts Monsieur Bradley, je me suis battu chaque jour pour en arriver là. Je me suis toujours dit ceci Jefferson : dans ce monde, il y a deux types de personnes, les premiers sont des buffles comme vous, très nombreux, dénués d’intelligence, ils suivent leurs congénères sans se poser de questions et représentent des proies pour le second type, des lions, des prédateurs, peu nombreux mais régnant sans conteste sur la savane, chassant les buffles pour se nourrir. Pour survivre dans ce monde il vaut mieux être un lion, croyez-moi. C’est comme cela que j’ai bâti mon empire. Et, monsieur Bradley, je vais vous faire une confidence... Quand on se trouve à la tête d’un empire comme le mien, la plupart des journées sont porteuses de bonnes nouvelles. Mais parfois, la chance s’en va et il arrive que des journées deviennent désastreuses. Prenons l’exemple d’aujourd’hui, ce n’est pas un bon jour pour moi Jefferson, vous vous en doutez...
- Ces nouvelles n’enchantent personne vous savez. Je n’ose imaginer la peine qu’éprouvent les familles des membres de l’équipage... C’est horrible de ne pas savoir s’ils sont vivants ou morts. J’espère avoir des nouvelles rapidement, de bonnes nouvelles.
- Vous savez Jefferson, l’équipage est une chose... Certes, les pertes humaines sont malheureuses... Mais Jefferson, d’après vous, quelle est la raison pour laquelle je vous rends visite ? Certainement pas pour pleurer les morts ou consoler votre chagrin. Jefferson... je suis venu pour parler affaire. »
Il marqua une longue pose pendant laquelle il ne cessa de fixer le docteur Bradley droit dans les yeux.
« 900 milliards de dollars, c’est la fortune que j’avais avant de financer votre projet de ville scientifique et votre lubie folle d’envoyer des trous du cul s’amuser dans l’espace ! Savez-vous combien il me reste aujourd’hui ? 400 milliards... Pour quels résultats ? 50 000 tonnes de ferraille terrienne envoyés à l’autre bout de la galaxie avec un millier de raclures mortes flottant autour. Docteur Bradley, pensez-vous que cela me convienne ?
- J’en doute... Mais nous ne sommes sûrs de rien, nous en saurons bientôt plus, monsieur le président. Il reste de l’espoir.
- J’espère de tout mon cœur que vous avez raison Monsieur Bradley. Vous êtes un des buffles les plus brillants que j’ai rencontrés parmi le troupeau. J’aurais beaucoup de peine à vous voir tomber mystérieusement par terre, un trou entre les deux yeux... C’est pourquoi, j’en suis sûr, nous finirons par trouver un arrangement. Changeons de sujet voulez-vous ? Comment vont vos affaires, docteur Bradley ?
- Elles se portent bien... Mais, vous savez... j’ai créé la Cleverness Factory dans le but de partager mes recherches avec le plus grand nombre. Pas pour faire fortune sur la création d’intelligence artificielle.
- Voilà une nouvelle bien surprenante. Avez-vous la moindre idée de la somme colossale que tout ce business pourrait vous rapporter ?
- Avec tout mon respect monsieur, ce n’est pas ce que je recherche.
- Monsieur n’a que faire de l’argent, il ne recherche ni fortune ni gloire. Mais quand il s’agit de mener à bien ses projets merdiques, monsieur n’hésite pas à jeter 500 milliards de dollars dans l’espace. Pourrait-il songer un seul instant à ouvrir son business aux civils et gagner un peu d’argent... histoire de combler le vide qu’il a créé au sein de mon empire financier.
- Je comprends bien... mais... je regrette. Mes IA ne sont pas à vendre, elles sont réservées à une utilisation purement scientifique et militaire.
- Pff... Ai-je utilisé une tournure de phrase, Monsieur Bradley, qui vous a laissé penser que vous aviez le choix ? Quelle audace vous avez de discuter mes conditions. Ne faites pas le difficile, Bradley, je vous rappelle que je cherche une solution pour ne pas avoir à vous plomber sur place, comme un sale chien... Ce n’est pas l’envie qui m’en manque.
- S’agit-il de menaces ? Cette entrevue est terminée ! Sortez immédiat... »
En une fraction de seconde, le président se leva, prit la tête de Jeff et la frappa contre le bureau à plusieurs reprises. Jeff tenta de se débattre jusqu’à ce qu’il sente le métal froid d’un canon se poser sur sa tempe.
« J’avais pourtant pris la peine de discuter paisiblement avec vous, Bradley... Mais vous n’en faites toujours qu’à votre tête, c’est agaçant. »
Plus il parlait, plus il serrait fort les cheveux de Jeff et appuyait de plus en plus son arme sur son crâne. Jeff voulait hurler au fond de lui, il voulait se tordre de douleur mais il savait qu’il devait encaisser tout ceci sans broncher s’il voulait avoir une chance de s’en sortir. Il n’avait jamais eu aussi peur d’y passer.
« Quand on s'amuse avec mes nerfs, j'ai des envies de sang... c’est embêtant pour vous car il suffit que mon doigt glisse un peu pour que votre cervelle repeigne l’ensemble des murs de cette belle loge en pourpre. Hmmm... Mes conditions ont changées Bradley, votre survie contre votre compagnie d’IA. Vous auriez dû accepter tout à l’heure.
- Je... je sais que vous n’appuierez pas sur la... la... détente... Cela voudrait dire... que vous faites une croix sur... sur votre argent. Je... ne vous léguerai rien... »
- Joue pas au plus con gamin ! Tu vas signer ça tout de suite, après quoi je te laisse aller essuyer la merde que t’as dans le froc.
- Plu... plutôt crever... »
En l’espace d’un instant, trois coups de feu retentirent du colt du président. Trois balles pour trois énormes trous percés dans la table. Jeff avait cru mourir, il était sourd de l’oreille droite et sa joue était brûlée par les déflagrations.
« Bon, tu vas gentiment signer maintenant... »
Jeff s’exécuta et signa le contrat.
« Si une semaine après la date où tes petits cons d’astronautes sont censés arriver sur ta planète de mes deux, tu n’as toujours pas de nouvelles d’eux, ta société m’appartient. Dans les autres cas, on discutera à nouveau. Au revoir gamin ! »
Sur ces mots, le président sortit de la loge en claquant la porte. Bradley n’en revenait pas, il venait de frôler la mort.
« J'ai... j'ai tout enregistré Jeff. Apporte ces preuves à la police tout de suite... dit Altaria dans l'oreillette de Jeff.
- Cet homme est au dessus de la justice ! C'est cette pourriture qui dicte la loi... Ne dis rien à personne. Je n'ai plus qu'à prier pour que Humanity arrive un jour sur Sierra. »
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