Chapitre 30 : Un homme honteux.
Lorsqu’Elliot ouvrit les yeux le lendemain matin de la mort de sa femme, il trouva sa fille, allongé à côté de lui. Après toute une nuit à pleurer, elle avait enfin trouvé le sommeil. C’est avec peine qu’il la réveilla.
Vide et amorphe, Faye ne trouvait pas le courage de se lever. Elle regardait le plafond longuement en se demandant comment est-ce que son père arrivait encore à bouger. Mais ce dernier n’avait pas le choix, même s’il serait bien aussi resté toute la journée sous la couverture à réconforter la prunelle de ses yeux.
- Debout, Faye, lui dit-il en la secouant doucement.
- Je… suis obligée ? répondit-elle d’une voix rauque et fatiguée.
- Non… mais j’aimerais que tu m’accompagnes quelque part. Je crois que tu en auras envie, alors prépare-toi.
Très peu intriguée, elle s’exécuta pourtant.
Dans la salle de bain, les larmes revenaient lorsqu’elle se vit dans le miroir. Elle ressemblait à une vieille loque essorée. Ne sachant pas où ils se rendaient, elle fit tout de même le minimum d’efforts pour apparaître présentable et elle s’en donna raison dans la voiture.
- Où est-ce qu’on va ? demanda-t-elle peu de temps après avoir démarré.
- Chez les Stein.
Première grosse émotion de la journée après le rappel douloureux d'avoir perdu sa mère. Elle s’étrangla avec sa propre salive à cause de sa réponse.
- Pour… pourquoi ?
- Avant de… partir… Maman m’a fait part d’une dernière requête. Elle voulait une belle robe pour la cérémonie, pour s’en aller avec grâce, expliqua-t-il péniblement. J’ai fait appelle à Marry Stein pour la confectionner, donc nous allons la chercher aujourd’hui.
- Mais pourquoi à Marry Stein ?
- …
- Papa ?
- Quand je t’ai raccompagné cette fois à l’internat… Est-ce qu’Alex Stein est vraiment seulement venu récupérer son cahier ?
- Euh, je …
Ne s'attendant pas le moins du monde à cette question, elle resta bête à ne savoir rien répondre. Après cette discussion avec sa mère, elle ne voulait pas lui mentir, mais en même temps, elle ne se voyait pas lui raconter la vérité. Pas tout de suite, en tout cas. Mais s’il posait la question, c’est qu’au fond, il se doutait déjà de quelque chose.
- Si tu ne me réponds pas, alors je ne te réponds pas non plus. Quoi qu’il en soit, continua-t-il avant qu’elle ne puisse riposter, je me suis dit que ça te ferait peut-être du bien de voir un camarade de classe.
- Nous ne sommes pas amis…
- Ça, je n’en doute pas.
- Papa, je…
- Tu n’es pas obligé de me raconter, tu sais ? Je préférais, mais je comprends, si tu ne veux pas. Ça me fâche un peu, car je me dis que peut-être je ne suis pas digne de confiance…
- Mais non pas du tout, souffla-t-elle, tiraillée.
- De toute façon, ce n’est pas ma priorité aujourd’hui. Je veux juste récupérer cette robe. Après je peux quand même te dire que j’ai choisi Marry Stein parce qu’elle… Je ne sais pas. Elle peut paraître un peu excentrique, mais c’est une bonne personne. Je suis certain qu’elle aura fait du bon travail pour Alice, car elle prend à cœur sa passion. Aussi bizarre que ça puisse te paraître, je crois qu’elle était la mieux placée pour confectionner sa robe. J’ai foi en cette personne... Moins en son fils, je dois bien l’avouer… Mais bon, si tu dis qu’il n’y a rien entre vous, je ne peux que te croire sur parole.
Elliot pensait tout ce qu’il disait sur Marry. De toute la première génération Richess, elle était celle avec qui il avait gardé le plus de contact. Ils ne se voyaient que très rarement, pour de rares occasions comme celle d’un enterrement, mais il avait toujours pu compter sur sa meilleure amie. Ce qui ne signifiait pas qu’il en voulait aux autres de prendre des distances, comme Michael. Il savait son ami de toujours en difficulté.
Ce qu’il pensait moins, par contre, c’était le fait qu’il ne s’agissait pas d’une priorité. Peut-être qu’en feignant l’indifférence, il obtiendrait des aveux et sa tactique semblait fonctionné. Sa fille, pourtant si triste et meurtri, reprenait des couleurs grâce à cette discussion. Les bras croisés, il la voyait réfléchir intensément.
- Maman… a dit que je pouvais te parler…
- Elle a raison, dit-il en esquissant un fin sourire.
- Mais… je ne peux pas…
- Je comprends.
- Comment peux-tu comprendre ?! s’énerva-t-elle soudainement.
- Faye, je ne veux pas me fâcher avec toi. Je comprends que tu ne puisses pas m’en parler, mais tu comprendras que tu en as déjà dit assez, répliqua-t-il d’un ton plus sec. De toute manière, je ne pense pas qu’un beau garçon comme lui soit venu vers toi avec de pures intentions.
- Quoi… Mais ? Non ! Il est très gentil ! Et même … bien plus que moi !
- Oooh, alors tu lui fais la misère ? chantonna-t-il presque. Ça, c’est ma fille, ajouta-t-il en lui faisant un clin d’œil. Je suis fière de toi.
- Papa… pff…
Très content de lui avoir arraché un semblant de sourire, il alluma la radio pour le restant du chemin. Mine de rien, Faye aussi se sentait un peu mieux, même si ça n’effaçait rien à sa grande peine.
Un autre sentiment s’installa dans sa poitrine lorsqu’ils arrivèrent devant la grande demeure. Elle se sentait toute petite et affreusement nerveuse à l’idée de rencontrer la “Marry Stein”. Le personnage haut en couleur lui faisait peur et davantage, car il s’agissait de la mère de son petit ami. Elle appréhendait aussi les remarques de son propre père, puisqu’il n’hésitait pas à la charrier à propos d’Alex. La seule chose qui la rassurait, fut justement le fait qu’il le prenait à la rigolade. La question du pourquoi ne l’effleura pas, trop impressionnée par l’immense domaine qui servait aussi de maison d’hôte. Rien n’était laissé au hasard, chaque détail pensé pour attirer subtilement l’œil, jusqu’aux élégants boutons de manchettes que portait le jeune homme qui les invita à l’intérieur. Le stress ne fit que monter quand elle entendit sa voix de loin et qu’elle la vit apparaître, jupe longue serrée, petit chemisier décolleté et occupée au téléphone. Ses boucles dorées l’éblouirent encore plus qu'elle ne l'avait imaginé et elle se sentit transpercer par son regard, d’abord sévère, puis compatissant.
- J’ai à faire, dit-elle à la personne au bout du fil. Monsieur Fast, vous êtes venus avec votre fille ? demanda-t-elle en venant lui serrer la main.
- Eh bien, j’ai pensé… qu’un peu d’air frais nous feraient le plus grand bien à tous les deux, répondit-il d’une voix chaleureuse.
- Je suis ravie de faire ta connaissance, fit-elle en venant attraper les deux mains de Faye. Et je tenais à vous présenter mes sincères condoléances, à tous les deux.
Elliot hocha de la tête, la remerciant deux fois pour lui et pour Faye qui n’osait pas dire un mot.
- Suivez-moi donc ! s’exclama-t-elle en les guidant dans la grande maison. Je dois m’excuser pour le retard, mais je suis sur les retouches, suite aux mesures que j’ai reçues hier soir.
- Pas de problème, je sais que c’était un peu tardif…
- Je vous emmène dans mon atelier personnel, donc…
Marry se retourna vers les deux roux avant de poursuivre, brandissant son index parfaitement vernis en l’air.
- Je compte sur votre discrétion pour ne pas dévoiler les secrets de mon dressing, plaisanta-t-elle. Je voulais m’occuper personnellement de la robe, donc je me suis installée dans ma pièce. C’est un peu inhabituel pour moi de montrer cette partie de la maison à… des inconnus ? jeta-t-elle à nouveau en œil dans son dos en traversant un grand couloir. Du moins, vous êtes les premiers autres Richess à découvrir mon chez-moi.
- Bien sûr, ce n’est pas notre but. Et je suis heureux de constater votre implication.
- C’est évident ! J’aimais beaucoup Alice ! s’exclama-t-elle avant de se rendre compte qu’elle perdait de son professionnalisme.
En découvrant les yeux ronds de Faye, elle dut s’expliquer.
- Savais-tu que ton père et moi avons partagé la même classe lorsque nous avions ton âge ?
- Je… ne le savais pas ?
- J’ai connu ta maman de la même manière. Tu as le regard aussi doux qu’elle, s’arrêta-t-elle encore pour lui lancer un doux sourire. Et le pétillant de ton père. Tu verras, bientôt tout ira mieux. Je suis certaine qu’une magnifique jeune fille comme toi sera se relever. En attendant, prenez tous les deux le temps qu’il vous faut pour guérir.
- Merci… répondit-elle tout bas et étrangement émue par sa sympathie.
- Plus qu’un couloir et nous y sommes, c’est promis !
Sa bonne humeur mettait du baume au cœur tant à Faye qu’Elliot. Ce dernier tenait sa fille par l’épaule et lui lançait des regards amusants lorsque Marry montait dans les aigus, excitée de les recevoir. Faye pensa qu’Alex ne ressemblait pas du tout à sa mère. Et juste quand elle le voyait dans sa tête, elle le vit apparaître, sortant du fameux dressing, portant une chemise à moitié ouverte.
- Maman, le bouton est…
- Oh mon Dieu, un peu de tenue Alex ! s’écria-t-elle en venant le couvrir de son bras. Excusez-le ! Et toi, petit impoli, dis bonjour à nos invités !
Elliot ricanait en son for intérieur parce qu’il se faisait gronder. Contrairement à la première fois qu’il l’avait croisé, Alex n’arriva pas à faire semblant. Il restait fixé dans les yeux larmoyants de Faye. Elle aussi s’y perdait, souffrante. Joignant ses deux mains, Marry les dévisagea tous les deux un par un.
- Monsieur Fast, Faye… Mes condoléances, dit-il enfin, très brièvement.
- Je te remercie.
- Oh, j’oubliais que vous étiez camarades de classe !
- Oui, lâcha simplement Alex en ne pouvant s’empêcher de la dévorer des yeux.
- Eh bien, eh bien ! Alex, pourquoi ne lui ferrais-tu pas visiter le reste de la maison pendant que j’ajuste les dernières retouches ? Ça ne vous dérange pas Monsieur Fast ?
- Tant que certaines pièces restent intimes.
- Voyons ! Qu’insinuez-vous ! éclata-t-elle de rire.
- Suis-moi, fit alors Alex en l’attirant de son doigt.
Sans rien dire et visiblement bouleversée, Faye s’exécuta. Peu de temps après, feignant le besoin de changer de chemise devant le personnel, Alex la coinça dans sa chambre. Il l’attrapa pour l’embrasser et la serra du plus qu’il le pouvait dans ses bras. Immédiatement, elle fondit en larmes. Pendant qu’ils bravaient les interdits, les deux adultes rentraient dans l’atelier de Marry.
Enfin seuls, celle-ci reprit ses aises, soupirant un grand coup et déposa ses mains sur ses hanches.
- Dieu que c’est épuisant de faire semblant ! Elliot, lui sourit-elle en ouvrant grand ses bras.
- C’est bon de te voir, annonça-t-il en s’y blottissant.
- Tu ne me le fais pas dire ! Dis-moi, je rêve ou… il y a une certaine tension entre nos chers ados ? demanda-t-elle en allant attraper une grande housse noire parmi d'autres pendues.
- Bien vu, Marry… Bien vu, répéta-t-il plus doucement. Je crois que ton fils a mis le grappin sur ma fille.
- Alors peut-on dire qu’il a bon goût ? Tu peux tout de même me dire ce qui te fait penser ça.
- Nous verrons ça plus tard… Elle est magnifique… s’interloqua-t-il lorsqu’elle sortit la longue robe blanche.
Fière de sa création, Marry l’étala sur la grande table au milieu de sa pièce et sourit à son ami qui avait des étoiles dans les yeux. Simple et élégante, la robe en soie scintillait légèrement sous la lumière. Elliot passa ses doigts délicatement sur les détails en dentelles et les petites fleurs jaune pâle brodées.
- C’est comme… une robe de mariage… Elle lui aurait plu.
- Mais je suis certaine qu’elle lui plaît, n’est-ce pas Alice ? rectifia-t-elle en regardant le plafond. Je me suis inspirée des Lys, tout le monde savait à quel point c’était ses fleurs préférées.
- Merci… Je… Merci beaucoup, Marry, dit-il, très ému. Elle est déjà parfaite. Tu as dit que tu devais faire des retouches ?
- Penses-tu ! Un tout petit mensonge pour que nous soyons seuls un moment. Je ne sais pas ce qu’il se passe entre nos enfants, mais mon fils est tombé à pic. Je voulais prendre la température. Comment te sens-tu ? Tu tiens le coup ? l'interrogea-t-elle, très concernée.
- Marry, si tu savais…
- Tout le mal que l’on me fait, chanta-t-elle la célèbre chanson.
- Ahahah, bon sang ! Marry, vraiment, Il n’y a que toi pour me faire rire après…
- Tu as le droit de pleurer aussi, le devança-t-elle en attrapant ses avants-bras.
Maintenant en parfaite intimité, Elliot baissa sa garde et montra son vrai visage. Une grande tristesse s’en dégageait. Il ne pleurait cependant pas.
- Je n’y arrive pas… Ou plutôt plus.
- Qu’est-ce qu’il se passe ? demanda-t-elle d’un ton très inquiet.
- Lorsqu’elle est partie… J’ai pleuré, toutes les larmes de mon corps, avec ma fille… Mais maintenant, je n’y arrive plus.
- Ça ne fait qu’une journée...
- Justement.
- Que veux-tu dire ?
- Marry… Une journée… Ça ne fait qu’une journée qu’elle est décédée, comme tu le dis si bien et… Comment pourrais-je dire ça ? Non, je ne peux pas, recula-t-il.
- Voyons Elliot ! Tu sais bien que tu peux me parler de tout ! s’outra-t-elle en le forçant à la regarder. Que se passe-t-il ? À quoi penses-tu ? Dis-moi tout, si ça peux te faire du bien…
- Si tu savais… Quel horrible homme je fais !
Son regard blessé fit frémir Marry. Toute cette souffrance et cet amour… Ca semblait maintenant comme une évidence. Elle savait vers quoi ses pensées se dirigeaient ou plutôt vers qui.
- Tu penses à elle ?
D’autant plus touché, des larmes se dessinèrent enfin dans ses yeux. La main sur le torse, il fit un tour sur lui-même. Il passa ensuite ses mains nerveusement dans sa nuque pour tenter de reprendre son calme, essayant de souffler le trop plein d'émotions en lui.
- Tu penses à Katerina.
Il ne répondit qu’en fronçant les sourcils et en se mordant la lèvre inférieure, d’un air si coupable et honteux que Marry se sentit totalement désarmée.
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