Le coton imbibé d'antiseptique me picota lorsqu'il entra en contact avec la petite blessure sur mon poignet. J'avais retiré le bout de verre qui y était incrusté.

Malgré mes protestations, Julien avait insisté pour désinfecter ma plaie avant les siennes. Ce n'était qu'un petit bobo de rien du tout, il n'avait pas, tout à coup, à jouer les chevaliers galants.

Nous étions dans la salle-de-bain de son studio. Je ne m'attendais pas à grand-chose, mais le désordre qu'il était visiblement capable de mettre dans un si petit espace me scotchait.

- À ton tour, lui dis-je.

Je lui tendis le flacon de Biesptine et les cotons propres, avant de réaliser qu'il serait plus simple pour lui que je le fasse à sa place.

Le point sur son cou ne le fit pas frémir, mais la blessure à sa joue lui arracha une grimace lorsque je passai délicatement le coton dessus.

- Vous croyez que je suis défiguré à jamais, docteur ? s'enquit-il.

- Absolument. Je regrette, il n'y a plus rien à faire, répondis-je.

- Quel dommage, soupira-t-il. Un si beau visage, gâché par la petite bouteille d'une binouze... L'alcool est vraiment dangereux pour la santé...

Je ricanai.

Malgré ma légèreté apparente, je n'avais toujours pas l'impression de m'être remise de notre péripétie. Même si mon corps s'était calmé et que j'avais cessé de pleurer lorsque nous étions monté dans le tram pour venir jusque chez Julien, j'étais toujours fébrile de l'intérieur.

- C'est bon, l'informai-je, jetant le coton qui m'avait servi à désinfecter ses plaies.

Julien me remercia d'un sourire, et, lorsque nos regards se croisèrent, je fus tentée de me pencher vers lui pour le gratifier d'un baiser. Mais il se détourna avant que je ne puisse me décider, baillant à s'en décrocher la mâchoire.

- Je suis mort, dit-il en s'étirant. Ça t'embête pas si je te chasse de la salle-de-bains deux minutes ? J'ai vraiment besoin de prendre une douche...

- Non, bien sûr, soufflai-je.

Je sortis de la petite pièce, pour m'asseoir sur le canapé-lit du jeune homme, à-côté de mon sac.

- Hésite pas à te servir dans le frigo si t'as faim, ou à prendre une boisson. Fais comme chez toi.

- Merci.

Après avoir attrapé un caleçon et un tee-shirt dans sa penderie en désordre, Julien referma la porte de la salle-de-bain derrière lui. Je restai seule avec mes pensées, tandis que l'eau se mettait à couler dans la pièce derrière moi.

L'adrénaline qui avait fusé dans mes veines au cours de notre fâcheuse aventure, était retombée depuis longtemps, me laissant faible et exténuée. Quelque part dans mon ventre, mon estomac semblait crier famine, mais j'étais trop éreintée et ébranlée pour y prêter attention.

"Il attendra demain, me dis-je. Quand même, quelle journée de malade... J'ai quitté Paris ce matin, pourtant j'ai l'impression que c'était il y a plusieurs semaines. L'expo, la balade, le bubble tea avec Julien, la séance de ciné, notre course-poursuite dans la rue, notre attente au comissariat... Et dire qu'il y a des jours où je n'arrive même pas à faire une activité jusqu'au bout ! Les journées ne sont pas toutes égales entre elles, ce n'est pas possible..."

Je repoussai d'un geste las mon sac au bout du canapé-lit et me laissai rouler sur le côté, en position allongée.

"Et Julien... Je ne savais presque rien de lui il y a seulement quelques heures, pourtant c'est comme si on était proches, maintenant. C'est fou comme des événements traversés ensemble peuvent donner la sensation de connaitre quelqu'un depuis toujours..."

Sans m'en rendre compte, bercée par le bruit de la douche en fond sonore, je m'endormis.