Chapitre 14
Le retour à Paris fut brutal.
À peine avais-je exprimé ma volonté de partir à Julien, que j’avais rassemblé mes affaires. Un coup de fil plus tard, un taxi était en route pour venir me cueillir en bas de l’immeuble.
- De toute façon, avais-je dit à Julien, ton frère rentre dans quelques heures et je n’ai pas spécialement envie de le croiser…
Ce à quoi le jeune homme avait répondu qu’il comprenait ma position. Il m’avait ensuite souhaité un bon retour.
Peut-être était-ce juste une invention de la part en moi qui regrettait de le quitter si vite, mais j’avais cru déceler le regret dans ses yeux noisette, lorsqu’on s’était fait la bise. Debout au pied de son immeuble gris, nous étions restés silencieux un instant, comme si ni lui ni moi ne parvenions à mettre des mots sur une émotion. Et puis le taximan m’avait complaisamment pressé de monter à bord de son véhicule, dont le moteur tournait depuis son arrivée.
Je ne m’étais pas retournée, lorsque le taxi avait démarré. Au moment où il avait pris le premier virage qui m’avait éloigné de Julien pour de bon, j’avais senti un nœud se former dans ma gorge.
Tout le long du trajet jusqu’à mon appartement, ce nœud n’avait cessé de grossir, et s’était même permis de se balader de mon œsophage à mon estomac. Plusieurs fois, j’avais failli demander au chauffeur de faire demi-tour.
Mais retourner auprès de Julien, signifiait capituler, échouer à ma promesse de ne pas lâcher. J’avais pris ma décision, et je devais faire en sorte, même si c’était dur, d’aller jusqu’au bout.
Parce qu’avec le temps, le nœud qui me comprimait la poitrine serait de moins en moins douloureux. Je devais simplement me montrer patiente et reprendre ma vie où je l’avais arrêtée.
À mon arrivée chez moi, je m’étais immédiatement lancée dans mes révisions, auxquelles je n’avais pas pu me dédier depuis la veille de mon départ, deux jours plus tôt.
Une vague de panique m’avait envahie face à la charge de travail qui m’attendait. Par chance, il était encore tôt dans la soirée et j’avais pu me plonger dans mon travail jusqu’à rattraper tout mon retard, avant 2h du matin.
Je n’imaginais pas ce que ça aurait été si j’avais craqué et décidé de rester auprès de Julien quelques heures supplémentaires.
Voilà, rien n’avait commencé entre nous mais j’avais déjà failli être négligente : en arrivant à Nanterre, j’avais la ferme intention de n’y rester que la journée. Et puis, suite à nos malencontreuses péripéties, je m’étais ramollie, j’avais cédé et accepté de me reposer chez lui plus longtemps, en dépit de mes obligations scolaires.
Mais heureusement, je m’étais reprise et avait coupé court à cette dérive tentante.
Cela faisait une semaine que j’étais rentrée de mon séjour à Nanterre. J’avais retrouvé ma routine à la fac, mes copines de cours, les repas à 1 euro du CROUS… J’avais beau me répéter en boucle que j’avais pris la bonne décision, la plus raisonnable et la plus sage, je me sentais tout de même triste.
J’avais échangé quelques fois par messages avec Julien, notamment pour le remercier une fois de plus pour sa gentillesse à mon égard, malgré mon départ précipité. Il m’avait répondu que ce serait avec grand plaisir qu’il m’accueillerait à nouveau chez son frère et lui si je le souhaitais. Et que je pouvais désormais compter sur un ami que j’avais un ami à Nanterre.
Le mot « ami », qu’il avait sans doute utilisé par pure affabilité, m’avait fait l’effet d’un pansement qu’on arrache. C’était douloureux, mais c’était à la fois un soulagement, le signe que la guérison était en bonne voie.
Comprendre que je n’étais rien de plus qu’une amie aux yeux de Julien (ce qui était déjà beaucoup, étant donné le peu de temps écoulé depuis notre rencontre), m’avait soulagée d’un poids. Au fond, j’étais bien consciente que ça m’avait blessée, mais c’était une bonne chose. Cela m’aiderait à tourner la page plus facilement.
Aujourd’hui, je me suis préparée pour un oral à la fac. J’ai revêtu un ensemble constitué d’un blazer bleu marine et d’un pantalon assorti. J’ai noué ma chevelure en un chignon serré et j’ai troqué mes habituelles baskets pour des chaussures à talons.
J’attends mon tour, dans un couloir de l’université. Devant moi, trois de mes camarades bavardent avec animation, à propos de l’oral qu’on s’apprête à passer.
Une boule d’angoisse me noue le ventre, mais je sais qu’il n’est pas dû qu’au stress. Ce désagréable nœud ne m’a pas quitté depuis que je me suis détournée de Julien.
En tentant de l’analyser, j’ai compris qu’il s’agissait d’un mélange de regret, de chagrin, de frustration et de doute.
Non, en y réfléchissant, même plus que de la frustration, c’était de la colère, qui le nourrissait. Et au-delà du doute, c’était toutes mes certitudes, qui vacillaient.
Lorsque je ressortis de mon oral, quelque temps plus tard, je n’avais plus en tête mes préoccupations futiles à propos de cette ridicule histoire qui s’était montée toute seule dans mon esprit, depuis ma rencontre avec Julien.
L’entretien que je venais de passer, durant lequel j’avais été contrainte de concentrer toute mon attention, mobiliser toutes mes ressources, m’avait éloigné un temps de mes stupides réflexions sur mes sentiments.
Et ça me faisait du bien.
Oui, me dis-je alors, c’était de ça, dont j’avais besoin. De me changer les idées, de focaliser mes pensées sur autre chose, le temps nécessaire à me faire oublier ce qui me rongeait.
Aussitôt rentrée chez moi, ce soir-là, j’envoyai un message à Evie, lui demandant ses disponibilités pour une sortie prochaine.
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