Chapitre 26
"Mais non, t’y es pour rien. Te prends pas la tête, c’est pas ta faute."
La réponse de Julien à mon message, qui lui racontait ce que je venais d’apprendre, était jointe d’un gif de pingouin dansant joyeusement.
La petite animation m’arracha un sourire. Je m’empressai de lui répondre par un autre gif, d’un ourson qui faisait un câlin dans le vide.
Julien ne tarda pas à m’envoyer un nouveau message :
"T’es libre mercredi soir prochain ? Je peux faire un saut à Paris, j’ai du temps."
Je consultai mon agenda afin de vérifier que je n’avais rien prévu de particulier ce soir-là, hormis mes habituelles recherches pour mon mémoire, ma future école et le reste des démarches parallèles à ces procédures.
Mon cœur fit un joyeux bond dans ma poitrine lorsque je me rendis compte que nous allions enfin pouvoir nous retrouver. J’aurais pu crier d’excitation, mais il est tard et l’isolation des murs de ma résidence n’est pas idéale…
Mercredi soir, je rentrai du cabinet la tête pleine de soucis, liés à des dossiers en cours qui n’avancent pas. En arrivant chez moi, cependant, je chassai toutes mes pensées négatives et retrouvai le sourire. J’allai revoir Julien, je n’avais plus aucune raison d’être bougonne ce soir !
Lorsque je reçus son coup de fil m’indiquant qu’il était en bas de la résidence, je sautai dans mes chaussures et courus le réceptionner.
En poussant la porte d’entrée du rez-de-chaussée, je l’aperçus derrière le grillage délimitant la résidence. Il se tenait un peu avachi, les mains dans les poches d’un jean délavé, l’air nonchalant.
Je m’empressai de trottiner jusqu’au portail afin de le faire entrer.
Avant qu’il ne prononce le moindre mot, je vis tout de suite son allégresse évidente, qui transparaissait dans ses yeux noisette et son large sourire.
– Dis donc, c’est charmant, chez toi, s’exclama-t-il en franchissant le portail.
Il s’arrêta pour me faire la bise, et je répliquai :
– Figure-toi que je ne vis pas dans la plus moche des résidences du coin. Celle-ci est d’ailleurs franchement correcte, comparée à d’autres.
– Ah oui ? rigola Julien, l’air de ne pas me prendre au sérieux.
– Je t’assure. Je suis tranquille, ici, même s’il y a beaucoup de circulation. Je t’en prie, après toi.
– Qu’est-ce que tu veux, c’est Paris, dit le jeune homme en entrant dans le hall du bâtiment. Enfin, tant que tu dis que t’es en sécurité ici, ça me va, moi.
Je me hâtai de me tourner vers l’ascenseur pour masquer mes joues rosies à Julien.
Installés autour de la petite table de mon studio, nous buvons une infusion, dans mes mugs Spirou et Fantasio.
– J’ai un peu l’impression d’être chez ma grand-mère, c’est sympa, dit Julien en portant la tasse fumante à ses lèvres.
– J’allais pas te proposer un thé ou un café, il est presque dix-neuf heures, tu n’allais pas dormir. Et si tu parlais de la déco, j’ai envie de te répondre que ton appartement, lui, me fait penser à un champ de ruine après un cataclysme particulièrement violent. Entre ça et un décor un peu vieillot, perso j’ai ma préférence.
Julien remplit ses joues de tisane et fit mine de vouloir m’asperger en projetant un jet sur moi.
– T’as pas intérêt, le menaçai-je. Sinon tu nettoies.
Le jeune homme avala sa gorgée et se plaignit :
– Je me suis brûlé, c’est malin ! Bon, quoi de neuf, sinon ?
Je haussai les épaules et rétorquai :
– Pas grand-chose, depuis nos derniers messages. Tu suis mon quotidien presque en direct, tu sais. Et toi, du nouveau ?
– Non, j’ai passé une journée plutôt calme. Je suis bien content d’avoir pu faire un tour ici, ça faisait tellement longtemps qu’on arrivait pas à trouver une date pour se voir !
– Oui, c’est clair… Je t’aurais bien proposé de passer la nuit ici et de ne partir que demain matin, mais je n’ai pas le droit de faire dormir des gens dans la résidence.
– De toute façon, je dois être au fournil avant quatre heures du mat, ricana Julien. Aujourd’hui j’ai passé la journée en cours, j’ai hâte de valider ce CAP pour en finir avec les études. Disons que l’école d’architecte m’a plutôt dégoûté…
– Oui, mais au moins, les matières communes te paraissent simples en comparaison, non ? l’interrogeai-je.
– J’ai que des cours techniques, heureusement. On m’a dispensé d’assister aux autres mais du coup je bosse, pendant ce temps-là.
Je vidai ma tasse et la posai sur la table. Quelque part, j’avais une furieuse envie de continuer à écouter Julien me raconter son quotidien (c’était bien plus ludique en vrai que par messages ou au téléphone), mais d’un autre côté, je voulais le faire taire en pressant mes lèvres contre les siennes.
Le jeune homme prit une gorgée d’infusion et dût remarquer que je fixai sa bouche, car il plaisanta :
– Nat ? T’es là ? Non, t’en fais pas, je compte plus te cracher de la tisane dessus, sois tranquille.
– Julien, soufflai-je alors, qu’est-ce que tu attends de moi ?
Face à la surprise qui se peignit sur le visage de mon ami, j’ajoutai :
– Ne me prends pas pour une folle, mais je n’ai pas arrêté de me poser la question, depuis qu’on s’est rencontrés. Je sais que c’est moi qui suis partie, mais j’ai compris des choses, entre temps. Ce que je n’arrive toujours pas à comprendre, par contre, c’est ce que tu veux, de notre relation.
– Euh, tu veux dire… ? balbutia Julien, l’air ahuri.
Il me désigna du doigt puis le pointa vers lui ensuite, sans paraitre sûr de comprendre. Enhardie par sa soudaine confusion, je lâchai d’une traite :
– Dis-moi clairement, si je ne suis qu’une amie pour toi, et j’arrêterais de me raconter des histoires. Ou alors, dis-moi ce que tu attends et je saurais si ça vaut le coup que je les poursuive. Parce que je ne pourrais pas te cacher très longtemps que tu me fais de l’effet.
Mon cœur s’emballa soudain d’une flamme dévorante, et je ne pus retenir la suite des événements. Julien, son regard reflétant sa surprise suite à ma déclaration, ne fit rien pour esquiver mon geste, lorsque je me penchai pour l’embrasser, pas dans ma tête mais cette fois pour de vrai.
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