Chapitre 29
Le lendemain matin, je me réveillai avec l’image des yeux noisette et du sourire rieur de Julien.
Tout en me préparant pour le travail, j’envoyai un message à Evie pour savoir comment avançaient ses recherches d’emploi. Elle me répondit que rien n’avait bougé et qu’elle commençait elle aussi à avoir la trouille, finalement.
Malgré mes avertissements, elle avait démissionné du magasin où elle était victime d’harcèlement moral par ses employeurs et terminait son préavis. Elle n’aurait donc aucun droit ni indemnité par la suite.
"Mes boss me font vivre un enfer encore pire depuis que j’ai posé ma démission. Je crois que je vais les tuer, Nat. Tu me défendras au tribunal, j’espère ?"
"Courage, tiens bon. Tout ça sera bientôt derrière toi," lui répondis-je par message.
"Mon proprio menace déjà de me mettre à la porte le mois prochain si j’ai pas retrouvé un travail… J’ai peur d’avoir fait une connerie, Nat."
"Il ne peut pas faire ça comme ça, Evie, n’aie pas peur. S’il te cherche des ennuis, il me trouvera, par contre."
"Mais j’ai déjà plusieurs mois de retard sur mon loyer, et je ne suis plus en bon termes avec mes colocs depuis un moment…"
Ma gorge se serra. Dans quel bourbier s’était fichu Evie ? Elle était déjà endettée avant sa démission ?
"Comment ça se fait, que tu as des loyers impayés ? Et qu’est-ce qui s’est passé avec tes colocs ?"
"J’ai beaucoup trop dépensé, ces derniers mois, et je n’arrivais pas à me raisonner. J’ai emprunté de l’argent à mes colocs plusieurs fois et je suis incapable de les rembourser pour le moment…"
"Evie, pourquoi tu ne m’en as pas parlé avant ? J’aurais pu te dépanner, enfin !"
Mon incompréhension se changea en agacement. Si Evie n’était pas capable de gérer ses finances, pourquoi choisissait-elle le moment où elle était le plus vulnérable pour quitter son boulot ?
D’accord, elle n’allait pas très bien à cause de sa situation professionnelle, mais là, elle s’était enfoncée toute seule…
Sa réponse m’énerva encore plus.
"Je ne voulais pas t’inquiéter, et surtout j’avais honte. Je pensais pouvoir m’en tirer rapidement… J’ai tout foiré dans ma vie, Nat."
"Ta vie ne fait que commencer, petite sotte ! Allez, t’as besoin de combien ? Mes intérêts sont vraiment élevés, mais je peux te faire un prix d’amie."
"Tu ne vas pas pouvoir m’aider. J’en ai pour plus de 5000 euros."
Cinq mille euros ?! Mais qu’est-ce qu’elle avait fait, pour s’endetter à ce point ?
Abasourdie, je lui posai la question, tout en me chaussant. Sa réponse arriva alors que je verrouillai la porte d’entrée du studio pour partir travailler.
"Je préfère t’appeler pour en parler."
"Vas-y, je vais prendre mon bus."
Une fois en ligne, j’entendis la voix gémissante d’Evie à l’autre bout du fil se lamenter :
– Nat, pardonne-moi, c’est de ça dont je n’osais pas te parler. C’est ça que je ne voulais pas te dire… En fait, j’ai essayé de monter une boutique de vêtements en auto-entreprise, depuis l’année dernière. Comme ça se passait très mal au magasin où je bosse, j’ai voulu tenter ma chance de mon côté. J’avais le local, du stock, la marque, mais les charges étaient tellement élevées que je n’ai pas tenu trois mois.
Sa déclaration me fit l’effet d’un coup de poing dans le ventre.
Comment avait-elle pu me cacher ça, ne pas me demander mon aide dans la création de son projet ?
Je me remémorai alors le message de Bruno m’avertissant qu’Evie n’allait pas bien et une petite voix narquoise me dit que c’était vrai, ce n’était pas tant ma meilleure amie que ça, au bout du compte.
Evie ne me parlait pas de ses soucis, or une meilleure amie est précisément la personne à qui l’on confie ses doutes, ses tourments !
« Oui, mais rappelle-toi…, fit une autre voix dans ma tête, encore plus pernicieuse. Tu n’as pas été présente pour elle, tu n’as pas su voir qu’elle allait mal. Evidemment qu’elle n’a pas eu envie de s’appuyer sur une amie pareille ! Et pour sa démission, ça te revient aussi, elle t’en a parlé plusieurs fois mais tu n’as jamais été à son écoute pour l’accompagner dans ses démarches… »
Le discours intérieur de ma petite voix me noua l’estomac, tandis que je branchai mes écouteurs afin de poursuivre mon appel dans le bus.
– Evie, mais qu’est-ce que c’est que cette histoire de boutique ? Pourquoi tu ne l’as jamais évoqué ? questionnai-je mon amie, sans parvenir à masquer la fêlure dans ma voix rompue par l’amertume.
Quelque part, même si je le méritais sûrement, je me sentais trahie. Et cette sensation ne fit qu’accroitre ma colère.
– Je ne voulais pas t’en parler avant d’être sûre que le projet tienne la route et fonctionne. J’avais peur qu’il n’aboutisse qu’à un échec, encore, comme tout ce que j’entreprends. Et ça a été le cas. J’ai sans doute pris les mauvaises décisions aux mauvais moments et voilà le résultat…
Face à mon silence, Evie reprit, d’un ton encore plus misérable :
– Pardonne-moi, Nat. Ce n’était pas du tout contre toi, je voulais d’abord me prouver à moi-même que j’en étais capable et ensuite en parler, une fois que tout serait en marche… Très peu de personnes sont au courant, à vrai dire. Je n’ai prévenu que les intervenants nécessaires à la mise en place du projet, et heureusement, puisque tout s’est effondré avant même de réellement commencer…
Une bile amère me remontait douloureusement dans la gorge. Je rétorquai, lâchant ma frustration :
– Mais évidemment, Evie, que tu t’es plantée, en agissant comme tu l’as fait ! Quelle idée d’ouvrir un magasin de fringues toute seule, en plein Paris, sans faire du bouche-à-oreille d’aucune sorte… Je t’aurais supporté inconditionnellement, quoi qu’il advienne de ton projet, pourquoi en as-tu douté ? Tu peux me le dire, si tu penses que je ne suis pas une amie de confiance, je comprendrais…
– C’est pas ça, Nat, je t’en prie, ne t’énerve pas, supplia Evie, d’une petite voix tremblante qui ne fit que renforcer mon agacement.
J’étais arrivée à mon arrêt. Furieuse contre moi-même et contre Evie pour sa bêtise, je raccrochai d’un geste sec.
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